Paragraphe 2 :l'insuffisance du contrôle par les
juridictions ordinaires.
La protection des libertés publiques au Cameroun par
les juridictions ordinaires reste encore fortement limitée en raison
notamment de l'inefficacité du contrôle par le juge administratif
(A) et de La faiblesse du contentieux des manifestations devant le juge
judiciaire. (B)
A- l'inefficacité du contrôle par le juge
administratif.
L'inefficacité du juge administratif dans la protection
juridictionnelle des libertés contre la police administrative
relève d'un certain nombre de verrous, d'obstacles qui contribuent
à enrayer le processus relatif à l'exercice du droit à la
justice devant le juge administratif camerounais.419
413 Lire FALL (A.B), « le juge constitutionnel
béninois, avant-garde du constitutionnalisme africain ? » dans AIVO
(J) ; (dir.) La constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un
modèle pour l'Afrique ? Mélanges en l'honneur de
Ahanhanzo-Glélé (M). Paris : l'Harmattan, 2014, 798p.
414 DEGBOE (D), « les vicissitudes de la protection des
libertés par la cour constitutionnelle du Bénin » op.cit.
p.123
415 DDC 18-117 du 22 mai 2018 décision dans laquelle le
juge annule une décision interdisant une manifestation publique.
416 Idem. P.132 consulter également l'article 117 de la
constitution béninoise de 1990.
417 ABA'A OYONO (J-C) « les fondements constitutionnels du
droit administratif (...) » ; op.cit. p.18
418 GOUNELLE (M), « la cour suprême dans le
système politique sénégalais » cité par
IBRAHIMA DIALLO op.cit. p.107
419 ABANE ENGOLO (P)., «existe-t-il un droit administratif
camerounais ? » op.cit. p.30
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En effet, l'accès au juge administratif au Cameroun est
caractérisé par une extrême technicité420
à laquelle il convient d'ajouter la longueur observée dans les
procédures. À ce propos écrira justement le professeur
Maurice Kamto, l'accès au prétoire du juge
administratif au Cameroun relève d'un véritable «
casse-tête chinois. »421 Cet état de choses rend
nécessairement difficultueuse la protection des libertés
publiques devant le juge administratif. Cela est davantage perceptible en
matière de contentieux des manifestations publiques.
Le législateur camerounais a toujours exigé que
toute procédure contentieuse devant le prétoire du juge
administratif requiert l'accomplissement par le justiciable ou le recourant,
d'un recours gracieux préalable.422 Si certaines doctrinaires
trouvent dans le recours gracieux préalable un moyen encourageant la
résolution à l'amiable des différents entre
l'administration et ses administrés.423 D'autres par contre
sans le remettre en cause ne voient pas toujours cela d'un très bon
oeil. C'est justement le cas du professeur Aba'a Oyono qui
voit le recours gracieux préalable comme un véritable grain de
sable qui concourt à enrayer l'exercice du recours au juge administratif
camerounais. 424
C'est donc à dire en fin de compte que « le
recours au juge administratif nécessite une grande patience, la
procédure contentieuse étant habituellement longue, les
intéressés perdent espoir et l'objet de leur requête
s'estompe avant que le juge ne se soit prononcé »425.
Or, la procédure contentieuse en matière de manifestations
publique implique une certaine promptitude.426 Cela dit, même
si la procédure contentieuse aboutit à une invalidation de la
mesure d'interdiction, elle n'aura pas empêché à la mesure
illégale de produire ses effets (le non déroulement de la
manifestation). En effet, la décision du juge administratif
n'intervenant généralement que de manière a posteriori
voire tardive, souvent plusieurs années après les faits (la
violation de la liberté).427
420 METOU (B-M) ; « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun » op.cit. p.278
421 KAMTO (M), Droit processuel du litige : que faire en cas
de litige contre l'administration ; cité par ABANE ENGOLO P. op.cit.
p.30.
422 Article 17 de la n°2006/022 du 29 décembre
2006 fixant l'organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs au
Cameroun.
423 HOLO (T) le contrôle de la légalité et
la protection des administrés au Bénin RBSJA, n°5, juin
1985, pp.23-28 ; cité par ABANE ENGOLO P. op.cit. p.30
424Lire à cet effet ABA'A OYONO J-C «
chronique du grain de sable dans la fluidité jurisprudentielle de la
chambre administrative au Cameroun » RASJ vol.5 n°1, 2008 p.51-75.
425 METOU (B-M) ; « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun »op.cit. p.278
426 Idem.
427 Sur ce thème lire GUILLUY (T), « la
liberté de manifestation, un droit introuvable ? » op.cit.
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Et même lorsqu'il s'agit du contentieux de l'urgence, le
législateur exige sous peine d'irrecevabilité428
l'introduction préalable d'un recours gracieux devant l'autorité
auteur de l'acte litigieux.429 Encore faut-il que la requête
ne porte sur un acte n'intéressant « ni l'ordre public, ni la
sécurité ou la tranquillité publique. »430
Au vu de cela l'on est bien forcé de convenir avec le professeur
Abane Engolo lorsqu'il relève que « le contentieux
de l'urgence (au Cameroun) n'est pas toujours un contentieux urgent.
»431
Pourtant, le droit français avait déjà
réglé la question à travers l'introduction du
référé liberté depuis janvier 2001.432
L'article L.251-2 du code de justice administrative dispose en effet : «
saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des
référés peut ordonner toutes mesures nécessaires
à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une
personne morale de droit public ou un organisme de droit privé
chargé de la gestion d'un service public aurait porté ; dans
l'exercice de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement
illégale. Le juge des référés se prononce dans un
délai de quarante-huit heures. » C'est donc à dire que
dès lors que les droits libertés fondamentaux se trouvent remis
en cause, et que les conditions d'urgence sont réunis, le justiciable
lésé peut désormais saisir le juge des
référés afin que celui-ci fasse cesser l'atteinte desdits
droits dans les plus brefs délais.433
Force est de constater là encore que le juge
administratif camerounais ne s'inscrit pas nécessairement dans cette
logique. C'est fort de cela que le législateur fera intervenir le juge
judiciaire dans la protection des libertés publiques au Cameroun
notamment en matière de contentieux des manifestations publiques.
428 CS/CA, Ordonnance n° 01 du 23 janvier 2009 SDF
c./État du Cameroun. Dans cette affaire, le juge a rejeté
l'hypothèse de saisine directe du juge de l'urgence lorsqu'il affirmait
: « le sursis à exécution peut-être
demandé dès l'introduction du recours gracieux (...)
» ; cité par BIPELE KEMFOUEDIO, (J) et FANDJIP
(O), « le nouveau procès administratif au Cameroun :
réflexion sur le recours gracieux en matière d'urgence », in
revue internationale de droit comparé. Vol 64 N°4, 2012 p.991
429 Article 30 de la loi de 2006/022 op.cit.
430 Idem. Voir aussi ordonnance n°04/OSE/PCA/CS/ 93-94,
union des populations du Cameroun (UPC) c/ État du Cameroun. Dans
l'affaire, le juge pose le principe selon lequel les mesures de police ne
peuvent faire l'objet de sursis à exécution. Lire
également ESSOMBA NTSAMA (J), la répartition des
compétences entre le juge administratif et le juge judiciaire en
matière de libertés publiques au Cameroun. Mémoire de DEA
en droit public, université de Yaoundé II. P.48.
431 ABANE ENGOLO (P) ; « existe-t-il un droit administratif
camerounais ? » ; op.cit. p.31.
432 Date d'entrée en vigueur de la réforme du 30
juin 2000 sur la nouvelle procédure des référés
libertés.
433 Lire GUILLUY (T), « la liberté de manifestation,
un droit introuvable ? » op.cit.
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