B- Les contraintes procédurales dans la garantie des
libertés publiques.
S'il est très souvent reproché à la cour
constitutionnelle béninoise de trop en faire403 dans la
protection des droits et libertés fondamentaux, l'observation ne saurait
être la même dans l'ordre juridique camerounais. Bien au contraire,
le juge camerounais n'en fait pas assez dans la protection des libertés
face à l'arbitraire administratif. Cela dit on y observe une
quasi-vacuité du contentieux404 en la matière.
Plusieurs raisons matérielles peuvent justifier cette inaptitude du juge
constitutionnel à garantir les libertés publique au Cameroun.
Cette défaillance du système de protection
constitutionnelle des libertés publiques face à l'arbitraire
administratif s'explique tout d'abord au regard de l'inaccessibilité du
citoyen lésé devant le juge constitutionnel.405 La
saisine du conseil étant limitée à une certaine
catégorie de personnalités politiques bien
déterminées. Il s'agit justement aux termes de
398 Le constituant camerounais utilise des adverbes qui
très souvent rendent véritablement imprécis et incertain
le contenu de certaines dispositions constitutionnelles.
399 À l'exemple du cas Tandja du Niger où le
parlement et la cours constitutionnelle, respectivement consultés dans
le cadre d'une procédure de révision constitutionnelle, avaient
formulés des avis signifiant au président Tandja qu'il ne pouvait
réviser la constitution même pas par voie de
référendum. Celui-ci passant outre ces avis décida tout
simplement de dissoudre le parlement et de suspendre la cour et de convoquer un
référendum constitutionnel. Mettant ainsi fin de façon
arbitraire à la fonction des parlementaires et des membres de la
juridiction constitutionnelle de manière à supprimer les
obstacles institutionnels à la manipulation dudit texte constitutionnel.
Lire MOUHAMADOU NDIAYE « la stabilité constitutionnelle, nouveau
défi pour le juge africain » annuaire international de droit
constitutionnel XXXIII-2017. pp.668-688
400 DIALLO (I); « à la recherche d'un modèle
africain de justice constitutionnelle. » ;op.cit. p.105
401 CONAC (G), « le juge constitutionnel en Afrique,
censeur ou pédagogue ? in les cours suprêmes en Afrique, Paris,
Economica 1989. Cité par DIALLO (I); « à la recherche d'un
modèle africain de justice constitutionnelle. » ; op.cit. p.107
402 Idem p.106.
403 Dans ce sens lire GNAMOU (D), « la cour
constitutionnelle du Bénin en fait-elle trop ? » in JOEL AIVO
(dir.), la constitution béninoise du 11 décembre 1990.
404 ABA'A OYONO (J-C) « les fondements constitutionnels
du droit administratif : de sa vertueuse origine française à sa
graduelle transposition vicieuse dans des États stables et instables de
l'Afrique » ; op.cit. 17.
405 Idem 18
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l'article 47 (2) de la constitution camerounaise de 1996 :
« du président de la république, du président de
l'assemblée nationale, du président du sénat, (d') un
tiers des députés, (d') un tiers des sénateurs »
également, les chefs des exécutifs régionaux peuvent
saisir le conseil constitutionnel lorsque leur intérêt est mis en
cause.406 Un tel état de choses limite déjà
significativement le droit de se faire rendre justice407 des
citoyens qui notamment dans leurs rapport avec la machine administrative se
sont vu lésés dans leurs droits.
Pourtant le constituant béninois dispose en son article
122 « tout citoyen peut saisir la cour constitutionnelle sur la
constitutionnalité des lois soit directement soit par la
procédure d'exception d'inconstitutionnalité invoquée dans
une affaire qui le concerne devant une juridiction. » également,
l'article 120 du même texte institue une plainte en violation des droits
fondamentaux. Ceci dit, tout citoyen peut saisir la cour constitutionnelle
béninoise d'une atteinte aux droits de la personne humaine et aux
libertés publiques.408
Par-delà même les modalités de saisine du
conseil constitutionnel, qui faut-il le préciser sont assez restrictifs
; le système de protection des libertés publiques contre les
violations du pouvoir étatique en Afrique noire francophone de
manière générale et au Cameroun en particulier ne laisse
pas véritablement ou du moins pas suffisamment de marge de manoeuvre au
juge constitutionnel dont l'action se retrouve limitée voire
phagocytée.409
Le Cameroun, ayant opté pour un système de
contrôle inspiré du modèle européen de justice
constitutionnelle dont il convient ici de rappeler quelques traits
caractéristiques. Il s'agit ici d'un contrôle
concentré,410 a priori,411 et
abstrait.412 Force est de constater que ces mécanismes
classiques ne sont pas toujours efficaces dans la protection des droits et
libertés fondamentaux contre l'arbitraire administratif. C'est sans
doute en raison de cela que le constitutionnalisme béninois s'est
illustré par un certain nombre originalités qui d'ailleurs lui
406 Article 47 de la constitution camerounaise de 1996.
407 Lire le préambule de la constitution camerounaise
op.cit.
408 DEGBOE (D), « les vicissitudes de la protection des
libertés par la cour constitutionnelle du Bénin », les
annales du droit (en ligne) 10/2016 mis en ligne le 18 janvier 2018,
consulté le 23 avril 2019. p.124
409 DIALLO (I) ; « à la recherche d'un modèle
africain de justice constitutionnelle. » ; op.cit. p.107
410 C'est un contrôle aux mains d'une juridiction
spéciale exerce le monopole en matière constitutionnelle.
Confère article 46 de la constitution camerounaise de 1996.
411 Contrôle intervenant avant que la norme en question
ne soit entrée en vigueur. On parle également de contrôle
préventif. Article 47 alinéa 3 de la constitution
camerounaise.
412 IL s'agit ici de contrôler la conformité de la
norme inférieure à la norme suprême : c'est un
contrôle dit de norme à norme. Ainsi dans le cas où la loi
viole une liberté consacrée par la constitution, le conseil
constitutionnel peut la neutraliser.
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ont valu le fait d'être considéré comme
« avant-garde du constitutionnalisme africain. »413 En
effet le contentieux constitutionnel béninois se décline en deux
modalités : un contrôle a priori obligatoire et un contrôle
a posteriori facultatiø14 par ailleurs, les
compétences du juge constitutionnel béninois s'étendent
au-delà même du contrôle des lois stricto sensu. En effet,
celui-ci connait « aussi bien des comportements, des actes
législatifs ou administratifs415 etc. susceptibles de
méconnaitre un droit ou une liberté
constitutionnels»416 à titre illustratif, la cours
constitutionnelle béninoise dans la décision DDC 18-117 du 22 mai
2018 a déclaré contraire à la constitution un texte
règlementaire interdisant les manifestations publiques à
caractère revendicatif.
En tout état de cause, il semble évident de
reconnaitre que le contentieux constitutionnel en matière de protection
des libertés publiques au Cameroun semble avoir du mal à
décoller. Certains doctrinaires n'hésitent pas à parler
d'une paralysie417 voire d'un tarissement du contentieux
constitutionnel418 en la matière. C'est ainsi que la
difficile mise en oeuvre du contentieux des libertés publiques se
répercute au niveau des juridictions ordinaires.
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