Paragraphe 1 : la difficile mise en oeuvre du
contrôle par le conseil constitutionnel.
La mise en oeuvre du contrôle de l'administration
étatique par la juridiction constitutionnelle au Cameroun en
l'occurrence le conseil constitutionnel, se heurte à un certain nombre
de contraintes à la fois statutaires (A) et fonctionnelles voire
procédurales. (B)
A- les contraintes statutaires dans l'activité du
juge constitutionnel.
L'exercice de la fonction de juge, de surcroît
constitutionnel, nécessite un ensemble de garanties à la fois
personnelles et organiques387. Ce sont selon le professeur
Nguélé Abada « les garanties statutaires
organisant l'indépendance et la dignité dans l'exercice des
fonctions au sein de la juridiction constitutionnelle. »388
Cela dit, dans ses rapports avec le pouvoir politique, le juge fait face
à un certain nombre de contraintes389 qui ne rendent pas
toujours évidente son office de contrepouvoir d'une part et de
défenseur des libertés d'autres part.
En effet , soulignera le professeur Aba'a Oyono
dans ce sens, « la fonction de protection contre les abus du
pouvoir administratif n'est pas exercée dans des conditions de
387 NGUELE ABADA (M) ; « l'indépendance des
juridictions constitutionnelles dans le constitutionnalisme des États
francophones post guerre froide : l'exemple du conseil constitutionnel
camerounais. » p.3
388 AVRIL (P) et GUIQUEL (J), Le conseil constitutionnel
» cité par NGUELE ABADA (M) ; op.cit. p.3
389 DIALLO (I) ; « à la recherche d'un
modèle africain de justice constitutionnelle. » in annuaire
international de justice constitutionnelle 20-2004, 2005. P.105.
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sérénité institutionnelle, ce qui
matériellement en mine l'essence. »390 Ce postulat
démontre notamment la fragilité du juge constitutionnel à
plusieurs égards.
En première analyse, l'article 51(2) de la constitution
camerounaise de 1996 dispose « (...) les membres du conseil
constitutionnel sont nommés par le président de la
république. » et désignés par lui-même et
quelques autorités de la république.391 Si
d'emblée selon le professeur Jean-Louis Atangana Amougou,
un effort est perceptible relativement la démocratisation dans
la désignation des conseillers392, il n'en reste pas moins
vrai que la pratique institutionnelle met clairement en relief une image de
« transactions douteuses de nature à subodorer une certaine
collaboration de fait393» au profit de l'exécutif. Ce
qui induit naturellement une forte implication, une prégnance du chef de
l'État dans la désignation et dans la nomination des
conseillers.
Quoi qu'il en soit, ou plus exactement quels que soient les
modalités de désignation ou de nomination des membres du conseil
constitutionnel, cela ne saurait justifier la passivité des juges dans
le contrôle de l'État. D'ailleurs R. Badinter ne
préconisait-il pas un devoir « d'ingratitude » des juges du
conseil à l'égard des autorités les ayant nommés ?
C'est donc à dire que la véritable contrainte qui entrave la
fonction des juges constitutionnelles c'est davantage l'influence des pouvoirs
politique sur la durée du mandat des juges constitutionnels que les
modalités de leur désignation.
En effet, le constituant camerounais lors de la
création du conseil constitutionnel avait comme son homologue
français fixé le mandat des juges constitutionnel à neuf
ans non renouvelable.394 Mais les modifications du texte
observées à la faveur de l'adoption de la loi n°2008/001 du
14 avril 2008395, ont fortement fragilisé le statut du juge
constitutionnel au Cameroun. Le mandat des juges constitutionnels est
passé de neuf ans non renouvelable à « six ans
éventuellement renouvelable. »396 Au-delà de la
durée du mandat, qui elle-même n'est pas une curiosité en
Afrique,397 la disposition en question pose un véritable
problème du
390 ABA'A OYONO (J-C) ; « les fondements constitutionnels du
droit administratif (...) » op.cit. P.18
391 Il s'agit du président de l'assemblée
nationale qui désigne trois membres sur les onze ; du président
du sénat qui en désigne trois et du conseil supérieur de
la magistrature qui lui désigne deux membres.
392 ATANGANA AMOUGOU (J.-L) « la constitutionnalisation
du droit en Afrique : l'exemple de la création du conseil
constitutionnel camerounais. » in Annuaire international de de justice
constitutionnelle, 19-2003, 2004. P.52
393 Idem.
394 Article 56 de la constitution française du 04 octobre
1958.
395 Ce texte de loi sera d'ailleurs une des raisons des
protestations sociales observées dans la même année dans
plusieurs régions du pays.
396 Article 52(1) de la constitution camerounaise de 1996
modifiée en 2008.
397 La durée du mandat des conseillers est de six ans au
Sénégal, en Côte d'ivoire ; de cinq ans au Bénin, au
Gabon.
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point de vue de l'État de droit, en ce qu'elle renforce
une fois de plus les possibilités de
pression du pouvoir politique sur les juges à travers
le caractère « éventuellement
»398renouvelable si ce n'est révocable399 du
mandat des conseillers.400 Dans ces conditions, le juge ne peut
qu'être prudent car il se sait vulnérable.401
Dans ce contexte juridico-politique incertain où
l'indépendance des juges ne tient qu'au bout d'un fil, comment
véritablement assurer la protection des libertés face à un
pouvoir exerçant une mainmise dans le fonctionnement des institutions de
la république402? Cette réflexion conduit
inexorablement à se pencher sur la question des contraintes
procédurales mettant à mal la protection des libertés
publiques par le juge constitutionnel.
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