B- L'extension de la compétence des tribunaux
militaires dans la répression des civils.
Il est un certain nombre de garanties reconnues aux
justiciables dans la protection de ses droits devant les juridictions. Au rang
de celles-ci, figure le droit à un procès équitable. En
effet, considéré comme un élément central et
essentiel de l'État de droit,369 le droit à un
procès équitable a été consacré au plan
international dans la déclaration universelle des droits de l'homme de
1948370, dans le pacte international relatif aux droits de l'homme
de 1966, entré en vigueur en 1976371 ; et au niveau
régional dans la charte africaine des droits de l'homme et
364 MESSING (J.L), la problématique de du maintien de
l'ordre dans les États d'Afrique noire francophone : le cas du Cameroun.
p.165.
365 JOBARD (F), « peurs entretenues ; quand la police fait
l'armée, l'armée fait la police. » 2005/1 n° »
p.60.
366 EMINI (Z) « la police au Cameroun : de
l'autoritarisme à la gouvernance sécuritaire » in revue de
droit et de science politique 16e année de parution 2005,
n° 63 P.64
367 JOBARD (F), « peurs entretenues ; quand la police fait
l'armée, l'armée fait la police. » op.cit. p.60.
368 ATEBA EYONG (R) « l'évolution du fondement
idéologique du droit administratif camerounais » op.cit. p. 275.
369 Lire NGUELE ABADA (M). « la réception des
règles du procès équitable dans le contentieux du droit
public » in revue de droit et de science politique 16e
année de parution 2005, n° 63 p.19 ; lire également NGONO
(S), « l'application des règles internationales du procès
équitable du juge judiciaire » de la même parution p.34
370 Article 10 et 11.
371 Article 14.
78
des peuples372. Le Cameroun à son tour a
ratifié ces conventions qu'il a d'ailleurs réaffirmées
dans le texte constitutionnel de 1996.373
Cela dit, la réalisation voire la concrétisation
du droit à un procès équitable se traduit
nécessairement par l'exigence d'une juridiction indépendante et
impartiale. Si ces deux exigences se confondent en pratique et semblent
redondantes374, la réalité est qu'elles se distinguent
intrinsèquement et même substantiellement. En effet, la
première exigence, notamment celle relative à
l'indépendance, constitue une précondition de la seconde c'est
à dire de l'impartialité. Ainsi un juge doit être libre de
toute influence extérieure susceptible de vicier son jugement. Par
ailleurs, soulignera le professeur Nguélé Abada
un juge indépendant et a fortiori impartial est un juge sans
préjugés.375
De telles conditions ne s'intègrent pas toujours dans
l'ordre juridique camerounais, lorsque l'on observe la répression de
certaines libertés publiques devant la juridiction militaire. En effet,
instituée pour connaitre des infractions purement militaires, les
juridictions militaires se caractérisent par un régime juridique
spécial376 et fortement coercitif. À l'analyse de la
loi n°2008/015 du 29 décembre 2008 portant organisation et fixant
des règles de procédure applicable devant les tribunaux
militaires, il en ressort que les juridictions militaires n'ont en principe pas
à juger des civils exceptés dans des cas particuliers
prévus par la loi.377
Seulement, très souvent, les questions de sureté
nationale et d'intégrité territoriale servent de prétexte
justifiant l'extension de la compétence des tribunaux militaires
au-delà des infractions militaires, prenant au passage de fortes
propensions politiques. Ainsi, des notions telles que l'insurrection, la
rébellion ou le terrorisme entre autres ; aux contenues vagues et
imprécis concourent à élargir le champ d'action des
juridictions militaires sur les civils et par voie de conséquence
à renforcer de manière significative la répression des
libertés publiques au Cameroun.
372 Article 7 et 26.
373 Article 37.
374 NGUELE ABADA (M) « la réception des
règles du procès équitable dans le contentieux du droit
public » op.cit. p.23
375 Idem. P.23.
376 L'article 2 de loi de 2008 portant organisation et fixant des
règles de procédure applicable devant les tribunaux militaires,
dispose justement que « les tribunaux militaires sont des juridictions
à compétence spéciale. » 377Article 8 de
la loi de 2008 susmentionnée.
79
C'est fort de cela que la reconnaissance de la
compétence des tribunaux militaires pose un véritable
problème du point de vue des garanties liées au procès
équitable et davantage relativement à la construction d'un
État de droit.
D'emblée, les juges militaires se caractérisent
par leur soumission au pouvoir central représenté à
l'occasion par le ministre délégué à la
présidence en charge de la défense, dont dépend leur
carrière. Au vu de cela, que retenir des « juges militaires »
? Sont-ce des juges ou alors des militaires ?378 Cette interrogation
aux allures d'oxymore relève d'autant plus de la bizarrerie juridique
dans la mesure où, « l'essence du juge est son indépendance
alors que (celle) du militaire est l'obéissance c'est-à-dire le
contraire »379. Par ailleurs, lorsque l'on observe la
composition ou la formation de l'instance décisionnelle telle que
décrite dans l'article 6 de la loi de 2008 en question, celle-ci
soulève de sérieux doutes au regard de la connotation martiale et
par conséquent partiale des juges militaires face au justiciable qui
d'emblée est considéré comme un ennemi. Assiste-t-on alors
à ce que M. Fabrice Bikié qualifie de «
droit pénal de l'ennemi par opposition à un droit pénal du
citoyen. »380 Comment donc dans un tel contexte garantir les
libertés publiques contre les abus de l'administration étatique ?
Cette question pose inexorablement le problème du contrôle des
autorités administratives investies du pouvoir de police.
378 GARRETON (R), « La compétence des Tribunaux
Militaires et d'Exception ; rapport de synthèse » in juridictions
militaires et tribunaux d'exception en mutation : perspectives comparées
et internationale ; UMR de droit comparé de Paris, Mai 2007. P.15
379 Idem.
380 BIKIE (F.R) ; « le droit pénal à l'aune du
paradigme de l'ennemi » ; op.cit. P.
CHAPITRE II: L'INCONSISTANCE DU CONTROLE RELATIF AUX
POUVOIRS
DES AUTORITES DE POLICE ADMINISTRATIVE.
80
Poser la liberté n'est rien s'il s'agit seulement d'une
affirmation verbale.381 Ce qui importe c'est de lui faire sa place
dans un ordre social viable.382 Une telle initiative met
nécessairement en jeu les mécanismes de protection,
d'effectivité voire de contrôle des libertés dans un ordre
juridique bien déterminé.
En effet, le contrôle s'appréhende ici au sens de
OST F. comme « le droit ou le pouvoir dont dispose une
personne ou une institution, à effet de s'assurer du respect d'un
ensemble de règles »383 ou d'objectifs384.
L'objectif visé ici est donc la garantie des libertés publiques
contre les dérives d'un pouvoir autoritaire.
La réalité étant celle de l'existence en
Afrique et partant au Cameroun d'un exécutif fort,385 et
d'une administration véritablement puissante. Cet état des choses
ne rend pas évidente l'émergence des contres pouvoirs
chargés d'assurer la garantie des libertés face aux abus de
l'administration étatique.
Ainsi, si dans une démocratie effective, le pouvoir est
censé contrôler voire arrêter le pouvoir, force est de
relever que le contrôle de l'exécutif se présente comme une
tache hargneuse, dont l'effectivité reste encore purement
fictive386. C'est donc à dire en clair que la garanties des
libertés publiques face à l'arbitraire administratif se
caractérise généralement par L'insatisfaction relative au
contrôle juridictionnel (Section I); et par l'inconsistance du
contrôle non juridictionnel. (Section II)
381 G. BURDEAU, Les libertés publiques,
op.cit., p. 23.
382 Idem.
383 OST (F.), « Juge pacificateur, juge arbitre, juge
entraîneur : trois modèles de justice », in fonction de juger
et pouvoir judiciaire, Publications des facultés universitaires de
Saint-Louis, 1983, p. 1et s
384 KHADIM (T), Le contrôle de l'exécutif dans la
création de l'État de droit en Afrique francophone. Droit.
Université de Bordeaux, 2018. Français. P.19.
385 AIVO (F.J), Le Président de la
République en Afrique noire francophone, genèse, mutation et
avenir de la fonction, Paris, l'Harmattan, 2006
386 KHADIM (T), Le contrôle de l'exécutif dans la
création de l'État de droit en Afrique francophone op.cit.,
p.21.
81
SECTION I : L'INSATISFACTION RELATIVE AU
CONTRÔLE JURIDICTIONNEL DES AUTORITES DE POLICE
ADMINISTRATIVES.
La garantie juridictionnelle des libertés publiques
contre l'exécutif présente un certain nombre de lacunes
imputables à l'organisation de la justice au Cameroun, qui rendent
insatisfaisante voire insignifiante la mission de contre-pouvoir
institutionnalisé qui incombes aux organes juridictionnels. Un tel
état des choses se concrétise d'une part, par la difficile mise
en oeuvre du contrôle par le conseil constitutionnel (P1) ; et d'autre
part, par l'insuffisance du contrôle par les juridictions ordinaires.
(P2)
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