La police de la grève en droit administratif camerounaispar Gaetan Gildas Yamkam Fankam Université de Yaoundé Il - Master 2 droit public 2018 |
Paragraphe 1 : la criminalisation des libertés publiques.La crise socio-politique ouverte au Cameroun dans une ambiance de paix civile incertaine et tendue vient renforcer l'hostilité des pouvoirs publics à l'égard des libertés.347C'est fort de cela que l'on assiste à un durcissement de la police administrative dans l'encadrement des libertés publiques de manière générale, (A) et davantage encore en ce qui concerne les rassemblements publiques ; de manière à converger vers une neutralisation tous azimuts des libertés.(B) A- Le durcissement dans l'encadrement des libertés publiques.La question sécuritaire depuis 2014 occupe une place majeure dans les préoccupations des pouvoirs publics348 eu égards de la recrudescence des ennemis à la fois exogènes 343 BELOMO ESSONO (P.C) L'ordre et la sécurité publics dans la construction de l'État au Cameroun. Op.cit. p.15 344 Idem. P.13 345 Il s'agit notamment du grand nord, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest généralement appelées régions anglophones et de la région de l'Est. 346 SHRAMEK (O): « Sécurité et libertés », in RFDA 2011, P.1093 347 ATEMENGUE (JDN) ; la police administrative au Cameroun ; op.cit. ; p.98. 348 BELOMO ESSONO (P.C) L'ordre et la sécurité publics dans la construction de l'État au Cameroun. Op.cit. p.12 73 qu'endogènes mettant à mal la tranquillité de l'État et de ses institutions. Dans un tel contexte alors marqué par le paradigme de l'ennemi avec pour fil conducteur une logique d'éradication de la dissidence, les libertés publiques de manière générale se verront dès lors considérablement compromises. En effet, face à ces menaces de nature particulière les pouvoirs publics ont opté pour une riposte caractérisée selon M. F. Bikié Roland par la mise entre parenthèse de la mission de l'État de droit pour l'instauration d'un instrument voire une machine destructrice des droits de l'homme349. S'inscrivant dans cette perspective, le législateur camerounais adoptera la loi n°2014/028 portant répression du terrorisme. L'analyse de la loi de 2014 portant répression du terrorisme soulève un certain nombre d'inquiétudes du point de vue de son impact sur les libertés publiques. En effet l'un des aspects les plus controversés de ce texte de loi porte notamment sur la définition ou plus exactement sur la technique d'incrimination de l'acte de terrorisme. À cet égard comme le relève M. F. Bikié Roland, le législateur camerounais a opté pour « une incrimination fourre-tout »350 de l'infraction terroriste induisant ainsi une véritable incertitude quant à l'étendu même de la notion de terrorisme. Le texte dispose précisément en son article 2 : « est punit de la peine de mort, celui qui à titre personnel, en complicité ou en co-action, commet tout acte ou menace d'acte susceptible de causer la mort, de mettre en danger l'intégrité physique, d'occasionner des dommages corporels ou matériels, des dommages des ressources naturelles, à l'environnement ou au patrimoine culturel dans l'intention:
D'emblée la lecture de cette disposition pose l'épineux problème de l'équilibre entre droits et libertés fondamentaux, et sécurité. Autrement dit, comment exercer sa liberté sans 349 BIKIE ROLAND (F) « le droit pénal à l'aune du paradigme de l'ennemi », la revue des droits de l'homme en ligne, 2017 http// journals.opedition.org/redh/2789 p.3 350 Idem P.7 74 être taxé de terroriste? La question semble trouver tout son sens notamment en ce qui concerne l'exercice des manifestations publiques contestataires. En effet, les manifestations publiques voire les mouvements de grèves sont par essence des droits qui consistent à exercer une pression sur l'élite dirigeante en vue d'obtenir de ces derniers un résultat ou une solution bien déterminée. Ce faisant, leur exercice entraine forcément quelques perturbations des services publiques. À titre illustratif, les grèves récemment observées en France contre la réforme des retraites ont paralysé pendant plusieurs semaines des « services essentiels » voire des secteurs entiers de l'économie française notamment les transports, le tourisme entre autres351. De telles manifestations en droit camerounais pourraient être considérés comme des infractions terroristes au regard de l'article 2 de la loi anti-terroriste de 2014 susmentionnée. Également dans la même perspective, l'exercice des mouvements de grèves peut occasionner quelques fois des débordements entrainant au passage quelques dommages de natures diverses. Or faut-il le préciser, ces infractions relevant de l'exercice abusif des grèves et manifestations publiques sont déjà prévues notamment dans le code pénal et même dans la loi n°90/054 du 19 décembre 1990 relative au maintien de l'ordre. En dernière analyse, à la lecture de la législation antiterroriste au Cameroun, force est de constater que la frontière entre l'exercice des libertés et l'acte de terrorisme semble relativement incertaine. Ceci non seulement du fait de l'incrimination à la fois trop vague352 et trop englobante de l'acte terroriste mais également en raison des dangers liés à l'instrumentalisation politique de la menace terroriste. Cela démontre une fois de plus comme l'explique M. STEVE THIERY BILOUNGA, l'atmosphère d'instabilité autour de laquelle vit quotidiennement le citoyen dans ses rapports avec la loi353. Dans ces conditions l'exercice de certaines libertés devient alors périlleux compte tenu du climat d'insécurité juridique suscité par l'adoption et l'application de la loi antiterroriste de 2014. Convergeons nous alors inévitablement vers une neutralisation des libertés publiques au Cameroun. |
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