Paragraphe 2 : l'extension des pouvoirs de police
au-delà des prescriptions légales.
La préoccupation première de la police
administrative face aux libertés est selon G.
Burdeau326 de s'assurer de l'exercice ou de l'usage
desdites libertés sans que celles-ci ne compromettent l'ordre public. En
droit camerounais de telles considérations n'entrent pas
forcément dans la logique des autorités de police administrative.
En effet, s'il est des règles qui régissent l'exercice des
libertés publiques au Cameroun, force est de s'apercevoir dans la
pratique une attitude récalcitrante de certaines autorités de
police qui, passant outre le cadre
323 Idem p.456
324 C'est justement l'une des illustrations de la
résurgence de l'idéologie de la construction nationale
démontrée par BEYEGUE BOULOUMEGUE M. dans l'article
intitulé « la persistance de l'idéologie de construction de
l'unité nationale en matière de police administrative. »
325 BEYEGUE BOULOUMEGUE M. parle à cet effet d'une
hypertrophie des instruments de puissance publique dans l'armature
institutionnelle chargée d'assurer le maintien de l'ordre. Lire à
ce propos « la persistance de l'idéologie de construction de
l'unité nationale en matière de police administrative. » in
ONDOA (M) et ABANE ENGOLO (P) ; de du droit administratif camerounais.
Yaoundé, l'Harmattan CERCAF.
326 BURDEAU (G), Les libertés publiques
op.cit. p.30
69
réglementaire persistent à limiter l'exercice
desdites libertés. C'est ainsi que l'on observe chez les pouvoirs
publics une tendance générale qui se caractérise par
l'instauration de facto d'un régime de police (A) et la rupture
d'égalité dans l'activité de police administrative(B).
A- L'instauration de facto d'un régime de
police.
Comme le relevait Georges Burdeau, « en
face des libertés publiques, l'État peut adopter deux attitudes :
la répression ou la prévention. »327 C'est donc
à dire en d'autres termes qu'il existe en principe deux régimes
relatifs à la règlementation des libertés publiques. Il
s'agit du régime répressif d'une part que l'on assimile
généralement au régime de droit ; et d'autre part du
régime préventif très souvent qualifié de
régime de police.
En effet, il y'a régime répressif lorsque «
l'État laisse le citoyen libre d'agir selon sa propre
détermination quitte à l'obliger à subir les
conséquences de ses actes s'ils sont contraires au droit.
»328 dans cette hypothèse, précisera
G. Burdeau, « l'individu aura
été libre d'agir, mais l'usage maladroit ou malfaisant qu'il aura
fait de sa liberté l'exposera à des sanctions et à
l'obligation de réparer le dommage qu'il aura causé. »329
Par ailleurs, il y'a régime préventif lorsque
l'autorité vise à empêcher préventivement les abus
dans l'exercice des libertés publiques. C'est un régime qui
organise l'exercice des libertés autour de deux modalités,
à savoir l'autorisation et l'interdiction330. Cela dit, ce
régime est par nature contraire à l'idée même de
liberté, puisqu'on est libre seulement si on est autorisé
à l'être.331 Autrement dit, cela signifie que les
libertés ne s'exercent en principe qu'après la permission de
l'autorité, de manière à déconsidérer
l'axiome selon lequel « ce qui n'est interdit est permis. » il va de
soi que des deux régimes sus présentés c'est le premier
qui est le plus favorable à la jouissance des libertés publiques
; dans la mesure où il « laisse libre champs » à
l'individu dans l'exercice de ses libertés en engageant pleinement sa
responsabilité. C'est donc selon qu'il s'agit de l'un ou de l'autre
régime que les manifestations publiques sont organisées autour
des modalités que sont la déclaration préalable et
l'autorisation.
Dans l'ordre juridique camerounais, du moins au plan textuel
depuis les réformes des années 1990, c'est le régime
répressif qui est observé dans l'exercice des libertés.
Seulement,
327Ibid. p.45.
328 Idem. P.30
329 Ibid.
330 METOU (B-M) ; « vingt ans de contentieux des
libertés publiques au Cameroun »,op cit. p.272
331 ALCARAZ (H) ; « La liberté de manifestation dans
l'espace public en Espagne »op.cit. p.10
70
à bien observer, il se trouve que dans la pratique, il
est un usage dévoyé des pouvoirs de police administrative au
Cameroun à tel point que l'exercice des libertés à
l'instar des manifestations est presque toujours subordonnée à
l'intervention permissive des autorités publiques. Cela dit, si la
déclaration est dans son principe un avis, une simple communication
préalable à l'autorité administrative compétente de
l'intention de manifester332, elle s'avère être en
pratique assimilée à une « demande d'autorisation ». Il
se crée alors un véritable amalgame relatif à l'exercice
des libertés. Certaines autorités se prêtent au jeu
lorsqu'elles utilisent souvent et ce à contresens des formules tels que
« manifestations non autorisées » ou « sans autorisation
». Cette confusion volontaire pour certains333 ou involontaire
pour d'autres334 rend davantage complexe l'exercice des
libertés publiques au Cameroun. L'on est bien forcé de convenir
avec Jean Rivero et Hugues Moutouh lorsqu'ils
soulignent que « si le régime répressif est en
général considéré comme le plus favorable aux
libertés, les modalités selon lesquels il est susceptible
d'être aménagé peuvent faire varier ou même faire
disparaitre sa valeur libérale. »335 Ce constat se veut
plus frappant lorsque l'activité de police administrative devient
partisane.
|