SECTION I: LE DETOURNEMENT DES POUVOIRS DE POLICE
ADMINISTRATIVE.
Les pouvoirs sont attribués à l'administration
dans un but bien déterminé. Le détournement de pouvoir
existe ainsi lorsqu'une autorité administrative use de ses pouvoirs
à des fins autres que celles pour lesquelles ils lui ont
été conférés.308Ainsi, si en
matière de police administrative, les pouvoirs reconnus aux
autorités sont en principe destinés au maintien, de l'ordre
public ; force est de constater un usage de plus en plus dévoyé
de l'ordre public, qui au-delà des considérations juridiques
aboutit à une politisation de la notion d'ordre public. Or si l'ordre
public est la raison d'être, le motif nécessaire et obligatoire de
la police administrative,309 et si comme le relève le
professeur J. D.N. Atemengue, la politisation de la notion
d'ordre public débouche sur la politisation du droit
lui-même,310 alors aboutit-on forcément à une
politisation de la police administrative.
307 BURDEAU (G), Les libertés publiques ;
op.cit. p.41
308 DEBBASCH (C) et RICCI (J-C) Contentieux administratif
; op.cit. p. 602
309 MOREAU (J), Polices administratives :
Théorie générale, juris-classeur administratif (JCA)
Fasc.200, 11. 1985, p. 9-10. Cité par ATEMENGUE (JDN) « le pouvoir
de police du président de la république » op.cit. p.83 ;
310 ATEMENGUE (J.D.N); la police administrative au Cameroun ;
op.cit. p.91
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C'est suivant cette logique que l'on assiste dans l'ordre
juridique camerounais à une extension voire un détournement du
champ d'action des pouvoirs de police administrative, tantôt en dehors du
cadre tel que défini (P1) par les prescriptions légales
tantôt au-delà même de la règlementation en vigueur.
(P2)
Paragraphe 1 : l'utilisation des pouvoirs de police en
dehors des prescriptions légales.
La fonction instrumentale de la police administrative au
Cameroun se situe en dehors même de toutes considérations
juridiques. Cela s'illustre véritablement au regard de son utilisation
dans la préservation du pouvoir politique (A) d'une part, et au regard
de son déploiement dans l'annihilation de la protestation politique
d'autre part (B).
A-La police administrative : instrument de
préservation du pouvoir politique.
Le constitutionnalisme africain est orienté vers un
impératif de pérennisation et d'intangibilité des
détenteurs du pouvoir311. Cette logique de
pérennisation du « chef de l'État » est liée
à la nature profonde du présidentialisme africain en
général et camerounais en particulier. C'est ce que le professeur
Maurice Kamto qualifie de monocentrisme
présidentiel312. En effet suivant cette perspective, les
pouvoirs publics auront naturellement tendance à « ne supporter
d'être sous la menace d'une révocation alors même qu'une
grande partie de leur puissance vient de leur
intangibilité.»313 La police administrative apparait
ainsi aux mains du pouvoir politique comme un instrument indispensable voire
capital.
En effet, au Cameroun le président de la
république définit la politique de la nation,314
oriente Les objectifs de l'administration dont la plupart des agents tiennent
leurs fonctions de lui. Cette posture de « chef de l'administration
»315 du président de la république crée
à l'égard de l'administration de manière
générale, un devoir de loyalisme politique316. Cela se
justifie notamment au regard de l'article 8 de la constitution selon lequel le
président de la république détient à leur
égard un pouvoir discrétionnaire de nomination317 et a
fortiori de révocation. Au vu de Cela l'on en vient à constater
une fois de plus que l'action administrative notamment en matière de
police est inéluctablement conditionnée par
l'intérêt supérieur de l'État ou pour
311 KAMTO (M) pouvoir et droit en Afrique noire
; op.cit. p.456
312 Ibid.
313 Idem.
314 Article 11 de la constitution camerounaise de 1996.
315 Pour amples développement, lire ABANE ENGOLO (P) ;
« existe-t-il un droit administratif camerounais ? » ; op.cit.
p.20
316 GOHIN (O), SORBARA (J-G) ; Institutions
administratives op. cit. p.33
317 Article 8 alinéa 10 de la constitution de 1996
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être plus exacte, du président de la
république. C'est donc fort de ce loyalisme politique
caractérisé entre autres par une obligation de conformité
vis-à-vis du supérieur hiérarchique que l'administration
est instrumentalisée de manière à assurer un renforcement
ou une pérennisation du pouvoir auquel il est idéologiquement
subjugué. Pourtant, comme le soulignait le grand sociologue Max Weber,
« le véritable fonctionnaire ne doit pas faire de politique il doit
administrer avant tout de façon non partisane. Il doit s'acquitter de sa
tache sans ressentiment et sans partis pris. »318
Dans un tel contexte, la garantie des libertés
publiques ne se présente pas forcement comme un objectif prioritaire ;
ce qui est recherché, écrira le professeur Gérard
Conac « c'est la continuité et non l'alternance, la
plénitude et non l'équilibre. »319 C'est dans
cette perspective de pérennisation du pouvoir politique que la police
administrative sera naturellement instrumentalisée dans l'annihilation
des protestations politiques.
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