La police de la grève en droit administratif camerounaispar Gaetan Gildas Yamkam Fankam Université de Yaoundé Il - Master 2 droit public 2018 |
B- L'extension dans la répression des rassemblements illicites.Les mouvements contestataires, dans les régimes autoritaires sont très généralement assimilés à tort ou à raison à des bandes armées, (1) des mouvements insurrectionnels, ou des attroupements et de ce fait sont soumis à des sanctions lourdes. (2) cela notamment du fait du législateur qui en offre les moyens aux autorités étatiques. 1- la répression des bandes armées. L'article 115 du code pénal282 camerounais dispose : « est puni d'un emprisonnement de 10 à 20ans (toute personne) ayant seulement participé à la réunion des bandes armées. » À l'analyse de cette disposition, le problème qui se pose aux premiers abords est celui de la définition même de la notion de bande armée. À cet effet le texte prévoit que « constitue une bande armée (...) tout rassemblement d'au moins cinq personnes dont l'une au moins est porteuse d'une arme apparente ou cachée.» A ce niveau encore la frontière parait très mince 279 Article 281alinéa 2 du code pénal repris par l'article 10 de la loi n°90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et manifestations publiques. 280 En effet CLEMENCEAU (G), s'interrogeait en 1907 sur l'existence d'un droit de manifester en ces termes « je ne suis pas bien sûr qu'il existe un droit de manifestation, mais je suis d'avis cependant qu'il peut et doit y avoir une tolérance de manifestation. » ; lire à ce propos GUILLUY (T), « la liberté de manifestation, un droit introuvable ? » op.cit. ; p.499 281 Cf. infra (la partie concernant la rupture d'égalité dans l'activité de police administrative) 282 Loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant code pénal ; op.cit. 59 entre les bandes armées et les mouvements de grèves et manifestations publiques. Ceci dans la mesure où une manifestation peut rassembler un grand nombre de participants, mobiliser un nombre important de protestataires d'origines différentes ; et il suffirait ainsi qu'un seul individu, participant ou non pour peu qu'il soit à titre personnel porteur d'une arme, suffise à changer le régime ou le statut de manifestation à celui de bande armée. Pourtant, les articles 237 et 238 du même code pénal répriment déjà à titre individuel la détention illégale d'arme. C'est donc pour ainsi dire que lorsque l'on est en présence des cas isolés de port illégal d'arme, il conviendrait de sanctionner le contrevenant sans que la liberté de manifestation n'en pâtisse. Si aucune contestation ne se pose en ce qui concerne la condamnation relative au port illégal des armes à feux et des armes blanches, là où le bât blesse283 véritablement c'est au niveau de la définition que le législateur de manière générale prévoit dans le code pénal. En effet l'article 117 dispose : « (...) sont considérés comme armes tous les objets portés avec l'intention de causer des dommages corporels ou matériels » le danger d'une telle disposition est qu'elle consacre à l'égard de l'autorité de police un pouvoir d'appréciation et de décision trop important, et même à la limite exorbitant. En effet il lui revient lors d'une manifestation de déterminer si tel ou tel objet peut être considéré comme arme susceptible de « causer des dommage corporels ou matériels ». À l'aune de quoi mesure t'on l'intention de nuire sinon lorsque le dommage a déjà été causé ? Vu de la sorte, tout objet pourrait potentiellement être assimilé à une arme lorsque l'autorité estime que son porteur manifeste l'intention de s'en servir dans le but de commettre une infraction. En tout état de cause, au regard de cette « structure permissive du droit »284 occasionnée à travers la définition ambiguë, incertaine des notions ou infractions contenues dans le code pénal, Les mouvements de grèves ou manifestations contestataires ne sont pas à l'abri de la riposte répressive de l'autorité administrative. Que dire alors de la répression des attroupements et des mouvements insurrectionnels ? 2- la répression des attroupements et des mouvements insurrectionnels. Du latin « insurrectus » qui veut dire s'est soulevé, l'insurrection désigne de manière générale un soulèvement, une rébellion de la masse populaire contre l'État le régime ou le pouvoir politique établi285. Initialement considérée comme « un droit naturel et 283 Expression utilisée par le professeur ABA'A OYONO (J-C) dans « les fondements constitutionnels du droit administratif (...) » p.16 284 FUNK (A) ; « Police militarisée » : une notion ambiguë. In: Déviance et société. 1992 - Vol. 16 - N°4 p.394 285 La notion d'insurrection est inconnue du lexique des termes juridique. Lire MBAHEA JOSEPH MARCEL II le régime juridique de l'insurrection : une étude des cas libyens et syrien. 60 imprescriptible »286, et bien plus encore comme « le plus indispensable des devoirs »287, lorsque le gouvernement viole des droits du peuple ; cette notion sera au fil du temps retirée des textes internationaux et de ce fait cessera d'être considéré comme un droit de l'homme en raison de ce qu'elle de plus en plus était considérée comme un facteur d'instabilité et de désordre susceptible de fragiliser l'intégrité de l'État et de ses institutions. Ce qui naguère était considéré comme un droit de l'homme se présente aujourd'hui comme une atteinte à l'ordre constitutionnel, une infraction qualifiée d'hostilité contre l'État. En droit camerounais, le législateur ne définit pas expressément le terme insurrection288 ; c'est donc en ayant recours au droit comparé, notamment celui appliqué en France que l'on pourra définir un mouvement insurrectionnel comme « toute violence collective de nature à mettre en péril les institutions de la république ou porter atteinte à l'intégrité territoriale (...)»289 l'absence ou du moins le floue qui caractérise la notion et dans une certaine mesure L'incrimination de l'insurrection en droit camerounais fait d'elle une arme aux mains du pouvoir politique, un motif ou un instrument de nature à justifier voire légitimer le durcissement des pratiques policières et du dispositif répressif à l'égard des mouvements contestataires exercés contre l'autorité étatique. L'un des exemples les plus récents est justement l'arrestation des partisans du M.R.C et de leurs leaders à la suite de manifestations qualifiées de « marches blanches" organisées le 26 janvier 2019, à la faveur de la crise postélectorale d'octobre 2018.290 Parmi les chefs d'accusations qui étaient retenus contre ces derniers figuraient entre autres l'acte d'insurrection et l'incitation à l'insurrection. Partant de cela, le constat est clair : la frontière entre l'exercice ou l'expression collective des libertés, et les mouvements insurrectionnels est incertaine, compte tenu du reflexe291 des autorités administratives caractérisé par la mise à l'écart des voix dissidentes. Ce constat s'étend également dans la répression des attroupements. En effet, en ce qui concerne la répression des attroupements, convient-il au préalable que nous définissions la notion d'attroupement. Celle-ci en réalité peut être définie au sens de G. Burdeau comme toute réunion de personnes en rébellion délibérée contre l'autorité.292 Le 286 Article 2 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 287 Confère la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1793 288 L'article 116 de la loi n°2016/007 du 12 juillet 2016 portant code pénal au Cameroun est porte sur l'insurrection. Seulement le législateur de définit point la notion ; il se contente tout au plus à réprimer un certain nombre d'infractions spécifiques commis dans le cadre d'un mouvement insurrectionnel. 289 Article 412-3 du code pénal français. 290 Camerountribune.com publié le 20 mars 2019. 291 ABANE ENGOLO (P); « existe-t-il un droit administratif camerounais ? » op.cit. p.29. 292 BURDEAU (G); Les libertés publiques op.cit. p.308. 61 code pénal camerounais quant à lui définit l'attroupement comme « toute réunion sur la voie publique d'au moins cinq personnes de nature à troubler la paix publique. »293 À ce niveau généralement, il n'est pas rare qu'en pratique les notions d'attroupement et de manifestations publiques se confondent. M. Thibault Guilluy ira même jusqu'à définir une manifestation comme « une forme d'attroupement sur la voie publique »294. C'est donc à dire que la différence ici est mince entre ces deux notions ; et c'est généralement écrira G. Burdeau, à l'aune de « l'élément délictuel »295 que l'attroupement se détermine. Il y'a par exemple attroupement en cas de refus d'obéir de la part des manifestants à la première injonction de dispersion de l'autorité de police296. L'infraction est d'autant plus aggravée lorsque les manifestants demeurent dans l'attroupement jusqu'à la dispersion par la force297 ou encore lorsque les attroupements ont un caractère armé.298 En tout état de cause, au regard de la batterie de textes à caractère répressif qui encadrent de manière générale l'exercice des libertés publiques au Cameroun, le constat est clair : « il est au (Cameroun) plus un ordre de limitation des libertés qu'un ordre de protection de ces libertés »299 293 Article 232 de la loi n°2016/007 portant code pénal au Cameroun op.cit. 294 GUILLUY (T) ; «« la liberté de manifestation, un droit introuvable ? » op. cit.p.499 295 BURDEAU (G) ; Les libertés publiques op.cit. p.213. 296 Article 232 alinéa 2 du code pénal ; op.cit 297 Article 232 alinéa 3 du code pénal ; op.cit 298 Article 233 du code pénal ; op.cit 299 BEYEGUE BOULOUMEGUE (E). « La persistance de l'idéologie de construction nationale en matière de police administrative » op.cit. p.308 CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE. 62 L'analyse des réformes relatives aux libertés publiques au Cameroun témoigne de son adhésion (du moins de la volonté d'y adhérer) ; aux principes de l'État de droit depuis la mouvance de démocratisation des années 1990 observée dans les pays d'Afrique noire francophone. Cela s'est traduit par une avancée dans la concrétisation et même la garantie des libertés publiques. Seulement, cette démarche ne s'est pas faite sans un certain nombre de vicissitudes qui rendent encore difficile l'exercice de certaines libertés au Cameroun. Cela dit, la règlementation des libertés publiques de manière générale reste encore véritablement restrictive. En effet, si les textes aux premiers abords donnent l'impression de garantir la jouissance et même l'exercice des libertés publiques au Cameroun, paradoxalement, ceux-ci érigent des butoirs liberticides,300 tels que l'ordre public ou l'intérêt supérieur de l'État ; grâce auxquels l'administration bafoue un certain nombre de libertés. À titre d'illustration, si d'un côté l'exercice de la grève semble jouir d'une garantie constitutionnelle, à l'inverse d'un autre côté la mise en oeuvre de celle-ci se heurte en pratique et ce systématiquement à un système restrictif voire coercitif. Les libertés publiques se trouvant ainsi malmenés dans un mouvement paradoxal particulièrement déstabilisant.301 Une telle réalité rend véritablement imprévisible le droit des libertés publiques au Cameroun. Or, comme le souligne si bien P. Malaurie, un droit imprévisible devient alors l'instrument de l'arbitraire.302 Vu de la sorte, l'on aboutit alors inévitablement à une inflation des pouvoirs discrétionnaires des autorités en matière de police administrative, au grand dam des libertés publiques. 300 ABA'A OYONO (J-C), « les fondements constitutionnels du droit administratif (...) » ; op.cit. p.16. 301 ROUDIER (K), « La liberté de manifestation aujourd'hui en Italie. Quels problèmes, quelles perspectives « op.cit., P.58. 302 MALAURIE (P) « l'intelligibilité des lois » ; op.cit., p.131.
64 Les différentes zones d'ombres de la législation camerounaises en matière de gestion administrative des tensions sociales, doublée de la recherche obsessionnelle de la sauvegarde de l'intérêt de l'État vont contribuer à renforcer de manière significative le champ d'action des autorités de police en matière de maintien de l'ordre ; et surtout, comme on le verra plus loin face à la résurgence des questions sécuritaires. À cet égard, comme le relève le professeur L. Guessele Isseme l'on aboutit alors forcément à une situation dans laquelle « les pouvoirs qui sont reconnus (...) aux autorités en matière de police, leur donne la latitude d'assurer le maintien de l'ordre public sans aucune limite303 ». « En d'autres termes les compétences de police administrative deviennent illimitées et ne connaissent plus l'obstacle des droits et libertés des citoyens.»304 Or, du pouvoir discrétionnaire à l'arbitraire, il n'y'a qu'un pas étant donné que ce dernier s'appréhende comme le « pouvoir absolu dont les décisions ne sont soumises qu'aux caprices de ses détenteurs », « qui n'est pas le résultat de l'application d'une règle existante mais le produit d'une volonté libre »305, souvent à « caractère injuste. »306 C'est fort de cette situation que l'inflation des compétences de police administrative se manifeste dès lors par l'instrumentalisation des pouvoirs de police (chapitre I) en face desquels les organes de contrôle semblent manifestement inopérants (chapitre II). 303 GUESSELE ISSEME (L) l'apport de la cour suprême au droit administratif camerounais, op.cit., p.503. 304 Idem. 305 CHAUVET CLEMENT, « Arbitraire et discrétionnaire en droit administratif », dans : Gilles J. GUGLIELMI éd., La faveur et le droit. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Hors collection », 2009, p. 335-355. 306 Idem. CHAPITRE I: L'INSTRUMENTALISATION DES POUVOIRS DE POLICE ADMINISTRATIVE. 65 En vertu du pouvoir général qui leur appartient d'assurer le bon ordre, les autorités de police peuvent intervenir dans le domaine d'une liberté quelconque sans avoir à y être autorisés307 ; ni sans que cela ne requiert le consentement des administrés destinataires des décisions. Quoiqu'il en soit, les pouvoirs des autorités de police administrative doivent s'exercer dans le cadre du respect de la légalité et de l'intérêt général. Dans l'ordre juridique camerounais, l'étendue des pouvoirs de police administrative semble en proie à des manipulations et instrumentalisation diverses. Ce postulat s'observe non seulement à l'analyse du détournement des pouvoirs de police administrative par les pouvoirs publics. (Section I) mais également au regard des préoccupations sécuritaires, qui de manière insidieuse justifieront l'orientation sécuritaire de la police administrative. (Section II) |
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