B- A la systématisation des interdictions de
manifester.
L'interdiction des manifestations publiques peut être
considérée comme une solution extrême qui en tant que
telle, ne doit être envisagée que lorsque les mesures
préventives s'avèrent inefficaces ou inadaptées pour la
sauvegarde de l'ordre public. Ainsi, la mesure d'interdiction doit être
motivée par l'existence de causes sérieuses suffisamment graves
et attentatoires à l'ordre public. Autrement dit, c'est à l'aune
de la gravité de la menace ou de la dimension du trouble que l'on
apprécie la mesure d'interdiction. Également, faut-il le
préciser, la décision d'interdiction des manifestations,
représente une telle restriction pour les libertés publiques
qu'elle soulève presque toujours la question de sa
nécessité et même de sa proportionnalité au regard
des libertés sacrifiées. C'est alors relativement à cet
ordre de pensée que la jurisprudence française, 249a
retenu que le simple soupçon de la menace ou de la survenance d'un
trouble dans une manifestation ne peut constituer un motif raisonnable
d'interdiction. Aussi dans la même logique, les interdictions
générales et absolues sont interdites. Georges Burdeau
écrira à cet effet, la préoccupation
première des autorités administratives ne doit pas être
« comment vais-je maintenir l'ordre ? » mais : « comment vais-je
permettre l'usage de la liberté sans compromettre l'ordre ? (...) la
solution de facilité qu'est l'interdiction est (donc) en principe
illégale. »250
Le Cameroun une fois de plus s'illustre par un système
rigoureux dans l'encadrement des libertés publiques. En effet, les
mouvements contestataires tels que manifestés lors des descentes dans
les rues se voient généralement, presque systématiquement
opposer des interdictions par les autorités administratives. C'est ce
qui entraine une multiplication des mouvements spontanés. La tendance
à l'interdiction est tant et plus accentuée lors des
périodes dites de tensions sociales à l'instar des mouvements
sociaux des années, 1990 des émeutes de 2008 et plus
récemment encore depuis la période post-électorale de
2018. En effet, les autorités
248 Ibid.
249 C.E., 23 mars 1935, D.H. 1935.367 ; C.E. 12 novembre 1997
; lire à ce propos GUILLUY (T), « liberté de manifestation,
un droit introuvable » RFDA, 2015 P.499.
250 G. BURDEAU ; Libertés publiques op.
cit. P.45
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en ces périodes dites de fortes contestations sociales
n'hésitent pas à procéder à des interdictions
générales251 de nature à étouffer voire
à supprimer le recours à la rue comme moyens d'expression ou de
revendication. Le recours aux interdictions est devenu un
réflexe252 de l'administration à l'égard des
manifestations publiques ; à tel point que la mesure d'interdiction est
devenue la règle et l'exercice des libertés l'exception. Ainsi,
Manifester au Cameroun du moins dans la légalité est devenue une
exception. La règlementation en matière de manifestation y
contribue fortement en ce qu'elle offre la latitude aux autorités
d'exercer à travers leur pouvoir prohibitif, ce que M.
Bouloumegue253 qualifie « d'action
hégémonique » de la police administrative camerounaise. Or,
sous d'autres cieux, écrira le professeur Abane E. Engolo,
l'on oblige l'administration à n'interdire les manifestations
que lorsqu'elle ne peut les encadrer.254
Il est donc à préciser dans ce contexte que
l'administration repose et a toujours été fortement
attachée à des fondements impérialistes,
c'est-à-dire dominateurs, hégémonique.255C'est
justement relativement à ce rapport fragile entre État et
libertés publiques, que Charles Debbasch et Jacques Bourdon
soulignerons que « La souveraineté étatique se
méfie toujours des puissances rivales qu'elle n'encadre pas. Tout groupe
organisé est un concurrent pour l'État : la tentation des
gouvernants est de l'interdire, d'en limiter l'efficacité, de le
contrôler ».256 Cette attitude hostile de
l'administration se matérialise et se concrétise à travers
la multiplication de dispositions répressives en matière de
rassemblements publics. Ainsi remarquerons-nous l'instauration ou la fixation
d'un régime sanctionnateur des libertés publiques au Cameroun.
251 Cf. l'arrêté préfectoral
n°125/AP/C19/SP du 14 janvier 1991 interdisant les manifestations sur la
voie publique dans le département du Wouri ; ou l'arrêté
préfectoral de 2008 interdisant les manifestations dans la même
localité au cours de la période des mouvements sociaux de 2008
;
252 ABANE E. ENGOLO op.cit. P. 29
253 B. BOULOUMEGUE EMMANUEL GHILSLAIN op.cit. P.303
254 ABANE ENGOLO (P) « existe-t-il un droit administratif
camerounis op.cit. P.29
255 Ibid.
256 DEBBASCH (C) et BOURDON (J): « Introduction »,
Presses Universitaires de France « Les associations ». 2006. p. 3.
Cité par MOKNI (H B), L'exercice des libertés publiques en
période de transition démocratique : le cas de la Tunisie
P.180
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