Paragraphe 2 : la portée restrictive des moyens
de prévention des troubles.
La prévention des troubles à l'ordre public au
Cameroun se caractérise par sa portée véritablement
restrictive vis-à-vis des libertés publiques. Si le principe est
celui de l'aménagement favorable à l'exercice des manifestations,
(A) l'on assiste au Cameroun à une systématisation des
interdictions de manifester. (B)
A- De l'aménagement dans l'exercice des
manifestations.
Il est désormais de notoriété
incontestable au sein de la jurisprudence française depuis l'arrêt
Baldy jusqu'à l'arrêt benjamin, qu'il est un principe selon lequel
les limitations apportées aux libertés par l'autorité de
police ne sont légales que si le maintien de l'ordre public les rend
nécessaires238. C'est donc à dire que la restriction
des libertés, notamment lors des rassemblements publics ne constitue pas
au premier chef l'activité des autorités de police
administrative. Bien au contraire, même lorsque l'ordre est susceptible
d'être menacé, les autorités de police doivent mettre en
oeuvre des mesures ou des moyens alternatifs239 permettant le
déroulement pacifique des manifestations licites240 ; et
quand bien même elles ne sont pas licites c'est-à-dire non
déclarées, les manifestations doivent être
tolérées par les autorités de police.241 La
doctrine française retiendra dans ce sens que plusieurs mesures sont
possibles dans l'encadrement des libertés. L'administration doit choisir
parmi elles celles qui affectent le moins la liberté de
l'individu.242 Il est ainsi consacré une protection optimale
de la liberté de manifester.
Georges Burdeau écrira à cet
effet : « le rôle de l'État est de procurer à la
dialectique de l'ordre et du mouvement (contestataire) les cadres juridiques
qui lui permettent de se dérouler sans heurts trop violents.
»243 Également, dans la même perspective,
Olivier Le Bot, soulignera que l'autorité
informée de la tenue d'une manifestation par le truchement de la
déclaration préalable, se doit « de prendre la mesure de la
réunion ou de la manifestation
238 CHAPUS (R), Droit administratif
général, tome 1, Montchrestien, Domat droit public,
Paris, 15e édition, 2001, pp. 699.
239 LE BOT (O) ; La liberté de manifestation en France :
un droit fondamental sur la sellette ? » p.39
240 DENIZEAU (C) « la liberté de manifestation en
droit européen » in la liberté de manifester et ses limites
; op.cit. P.31
241 Idem.
242 BURDEAU (G), les libertés publiques ;
op.cit. p.43
243 BURDEAU (G), « L'État, entre conflit et consensus
» ; P.69
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projetée et de prévoir tout en les adaptant, les
mesures nécessaires à son bon déroulement.
».244C'est donc à dire en réalité que les
autorités de police administrative jouent ici un rôle de
facilitateurs dans l'exercice des libertés publiques de manière
générale. À cet effet, elles disposent de plusieurs
mesures alternatives245 dans l'aménagement de l'organisation
des manifestations en vue de garantir dans la mesure du possible246,
un déroulement respectueux de l'ordre public. Dans cette perspective,
les autorités de police peuvent entre autre modifier la date, le lieu ou
l'itinéraire des manifestations publiques lorsque les circonstances
l'exigent. Outre mesure, elles sont tenues de mettre à disposition un
nombre raisonnable de forces de police,247 non pas pour
réprimer mais davantage pour garantir le bon déroulement de la
manifestation en contenant les débordements mais également en
assurant la sécurité des manifestants. Cela dit, la simple
abstention de l'État ne suffit donc pas à la garantie de
l'exercice des manifestations publiques.
L'ordre juridique camerounais est partit sur la base de ce
postulat dans la réglementation des manifestations publiques. Seulement,
le législateur camerounais notamment dans la loi n°90/055,
définit limitativement les options alternatives de la police
administrative dans l'aménagement des manifestations publiques.
L'article 8 alinéa 2 de la loi de cette loi prévoit que
lorsqu'une manifestation est susceptible de troubler gravement l'ordre public,
l'autorité administrative dans le but de prévenir le trouble peut
«lui assigner un autre lieu ou un autre itinéraire » ; dans le
cas contraire, c'est l'interdiction pure et simple de la manifestation. Or on
l'a vu, l'obligation d'action positive qui incombe à l'État dans
la garantie des manifestations implique que les autorités de police
prennent toutes les mesures nécessaires en vue de permettre à la
manifestation de se dérouler sans entraves. Il va sans dire que le texte
législatif ne met pas suffisamment en lumière l'office de
facilitateur de la police administrative dans la protection effective de la
liberté de manifestation. Celle-ci est davantage soucieuse de la
préservation de l'ordre que de l'exercice des libertés.
En définitive, si sous d'autres cieux, ce n'est que
lorsque les risques susceptibles d'être générés par
les manifestations ne peuvent être contenus par d'autres mesures
alternatives moins attentatoires ; que les autorités de police
administratives prennent des mesures restrictives extrêmes telles que les
interdictions. Toujours est-il que la police camerounaise, pour peu qu'une
manifestation présente un risque de trouble, priorise presque toujours
les interdictions.
244 LE BOT (O), « La liberté de manifestation en
France : un droit fondamental sur la sellette ? », op.cit. p.12
245 Ces mesures sont alternatives doivent être les moins
attentatoires possibles aux libertés publiques
246 Il s'agit d'une obligation de moyens, qui pèse sur
l'autorité administrative et non une obligation de résultat.
247 LE BOT (O) ; « La liberté de manifestation en
France : un droit fondamental sur la sellette ? », op.cit. p.41.
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Or, on le sait très bien toute manifestation est
potentiellement facteur de trouble248 ; et c'est à travers
l'obligation d'encadrement qui pèse sur l'État que les
manifestations peuvent effectivement être garanties. Auquel cas l'on
pourrait assister à la multiplication voire à la
systématisation des interdictions à chaque fois qu'une
manifestation serait déclarée au motif de sa potentielle menace
pour l'ordre public.
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