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La police de la grève en droit administratif camerounais


par Gaetan Gildas Yamkam Fankam
Université de Yaoundé Il  - Master 2 droit public 2018
  

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SECTION I : LA RELATIVE OBSCURITE DE L'ENCADREMENT LEGAL DES

LIBERTES PUBLIQUES.

« L'obscurité des lois rend le droit imprévisible, en fait un instrument de l'arbitraire, indulgent envers les plus habiles et les plus puissants, impitoyable envers les faibles et les

212 Article 7 de la loi n°90/055 du 19 décembre 1990.

213« Le chef de district ou le sous-préfet » selon les termes de l'article 7(1) et 8(1) 214 Article 8 alinéa 2 de la loi n°90/055 du 19 décembre 1990.

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maladroits. »215 Ce propos cher à Philippe Malaurie s'illustre parfaitement dans la règlementation en matière de libertés publiques au Cameroun. En effet, l'inintelligibilité des lois semble véritablement porter atteinte à la qualité de celles-ci216 en ce sens où elle les rend malléables à souhait,217 faisant d'elles un instrument taillé à la mesure de l'administration. En ce qui concerne la règlementation des manifestations publiques au Cameroun, elle soulève quelques incompréhensions relatives justement au contenu de certaines dispositions qui, on l'a vu ne sont pas toujours claires, simples, limpides, voire transparentes218. Ainsi sans dire en quoi consiste la notion de trouble (grave à l'ordre), le législateur offre aux pouvoirs publics un fort potentiel restrictif à l'égard des libertés. La difficulté d'une telle disposition est perceptible à travers l'indétermination de la notion de trouble grave à l'ordre public, (P1) dont une interprétation dévoyée donne forcement lieu à une propension restrictive dans les moyens de préventions desdits troubles. (P2)

Paragraphe 1 : l'indétermination de la notion de trouble grave à l'ordre public.

Le trouble grave à l'ordre public au Cameroun fournit le parfait exemple d'un concept à la fois incertain et imprévisible (A) ; offrant ainsi le soin aux autorités administratives d'en apprécier le contenu. (B)

A- L'incertitude dans la détermination légale du trouble grave à l'ordre public.

La définition du trouble grave à l'ordre public suppose non seulement l'existence d'une menace à l'ordre public (1) mais également que celui-ci soit d'une gravité notable (2).

1-L'existence d'une menace à l'ordre public.

Il est un principe consacré dans la jurisprudence française, notamment à la faveur de l'arrêt Benjamin219, selon lequel la liberté est la règle et la restriction l'exception. Ce postulat fixe une orientation de la police administrative dans l'encadrement des libertés. En effet, les libertés doivent s'exercer sans entrave des pouvoirs publics, sauf hypothèse relevant de l'ordre public.

215 MALAURIE (P) ; « l'intelligibilité des lois » in pouvoir 2005/3n°114 p.131

216 BILOUNGA (S.T); « la crise de la loi en droit public camerounais. » ; les annales du droit, 11/ 2017, p.23

217 Ibid.

218 PHILIPPE MALAURIE ; « l'intelligibilité des lois » op.cit. p.131

219 CE, 19 mai 1933, Benjamin, Rec. Leb. p. 541, GDJDA, p. 333). Dans cette affaire, le Conseil d'État a estimé qu'une interdiction préventive ne pouvait être licite que si la menace à l'ordre public était d'une exceptionnelle gravité et que le maire ne pouvait disposer des forces de police nécessaires au maintien de l'ordre.

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Ainsi, les restrictions en matière de libertés publiques, nécessitent la justification par l'autorité, de l'existence d'une menace susceptible d'occasionner l'atteinte ou l'altération de l'ordre public. Les nécessités d'ordre public visent d'une part à éviter que l'exercice des libertés ne compromette l'intégrité des personnes et des biens, mais également qu'il ne porte atteinte à d'autre droits et libertés à valeur constitutionnelle. Tout compte fait, cela revient à dire prosaïquement que l'exercice des libertés des uns ne doit pas nuire à la jouissance des libertés des autres. Le principe a été tant bien que mal réceptionné en droit Camerounais.

En effet, l'ordre public retenu en droit camerounais comme un motif insidieux utilisé par l'administration pour fortement remettre en cause les libertés publiques se distingue de celui appliqué en France220. L'ordre public, on l'a vu n'est pas véritablement défini dans la législation camerounaise, d'autant plus qu'il s'agit d'une notion à contenu variable qui fluctue au gré des intérêts de l'État. C'est sans doute à l'aune de cette logique de préservation de l'intérêt de l'État que l'administration met en oeuvre son pouvoir de restriction pour mettre à mal l'exercice de certaines libertés, sans que le caractère attentatoire à l'ordre public ne soit démontré. Et même lorsque c'est le cas, les motivations de l'administration se caractérisent par un laconisme flagrant 221. Pourtant, le juge administratif camerounais depuis l'affaire Mbarga Raphael avait posé en principe l'obligation de motivation de l'acte administratif en ces termes : « Attendu (...) que doivent être motivées les décisions à portée individuelle qui infligent une sanction, retirent ou abrogent une décision créatrice de droit »222 cette décision du juge se justifie en droit administratif en matière de police administrative dans la mesure où en l'absence d'obligation de motivation des mesures restrictives, tout fait est susceptible de contrarier l'ordre public et ainsi justifier la mesure de restriction au détriment de la liberté.223

La loi n°90/055 du 19 décembre 1990 viendra outre mesure, en matière de liberté de manifestation, préciser que certes la limitation de l'exercice des manifestations doit être fondée sur l'existence d'un trouble, mais celui-ci doit être considéré comme suffisamment grave pour justifier la mesure de restriction.224

2- La relative gravité du trouble à l'ordre public.

Aux termes de l'article 8 alinéa 1 de la loi de 90/055 susmentionnée, il en ressort en substance que la simple possibilité relative à l'existence d'un trouble susceptible d'être porté à

220 ABANE ENGOLO (P) « existe-t-il un droit administratif camerounais ? » ; op.cit., pp. 13-30.

221 Lire METOU (B-M) « vingt ans de contentieux des libertés publiques au Cameroun » op.cit. ; P.277

222 CS/CA, jugement n°73 du 29 juin 1989, Mbarga Raphaël C/ État du Cameroun.

223 Lire dans ce sens BIKORO (J. M), les paradoxes constitutionnels en doit positif au Cameroun ; op.cit. p.94 224Article 8 de la loi n°90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et manifestations publiques.

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l'ordre public ne constitue pas un motif suffisant pour la restriction des manifestations. En effet, le législateur souligne que la manifestation projetée doit être de nature à troubler gravement l'ordre public pour justifier les mesures de restriction. Autrement dit, la menace ou le trouble doivent être tels que l'abstention de l'administration soit susceptible d'entrainer des conséquences graves et/ou irréversibles. Outre ces cas de figure, la liberté de manifester ne doit ou ne devrait en principe souffrir d'aucune restriction de la part des autorités administratives.

Par ailleurs, comment apprécier la gravité de la menace ou du trouble à l'ordre ? Évidemment, aucun texte n'en dit mot ; ni le constituant, ni le législateur ne définissent clairement les critères à partir desquels il serait possible de déterminer si une liberté publique de manière générale est ou non susceptible de troubler (gravement) l'ordre public. C'est en pratique, c'est-à-dire à l'aune des circonstances que la gravité du trouble pourrait s'apprécier notamment, à partir de données factuelles225, ou contextuelles devant orienter le jugement de l'autorité.

Or le contexte camerounais est depuis toujours marqué par la prégnance d'un régime de consolidation du pouvoir administratif226 et d'autoritarisation de la police administrative. Vu de la sorte, toute liberté remettant en cause cette autorité n'est pas forcément vu d'un bon oeil ; cela dit leur exercice serait d'ores et déjà en lui-même susceptible de constituer un trouble qui plus est, un « trouble grave à l'ordre ». Un tel état des choses rend véritablement difficile l'exercice des libertés au Cameroun dans la mesure où la limite entre l'exercice normal des libertés et le trouble grave à l'ordre public devient de plus en plus incertaine. Cela étant, toute contestation ou revendication pourrait facilement être considérée comme un trouble grave à l'ordre public. D'autant plus qu'en fin de compte, le pouvoir d'appréciation en matière d'ordre public est laissé à la seule discrétion des autorités de police administrative.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon