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La police de la grève en droit administratif camerounais


par Gaetan Gildas Yamkam Fankam
Université de Yaoundé Il  - Master 2 droit public 2018
  

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B- la compromission des libertés face à l'intérêt supérieur de l'État

Deux conséquences logiques découlent de l'insertion de la clause relative à l'intérêt supérieur de l'État dans la constitution. Il s'agit d'une part de la transcendance du pouvoir politique sur les libertés (1) et d'autre part, de la subsidiarité des libertés face à l'intérêt supérieur de l'État.(2)

1-la transcendance du politique sur les libertés.

L'écriture constitutionnelle dans les pays d'Afrique noire francophone se caractérise par la relation « dialectique » qui existe entre le pouvoir et le droit.199 Dans ce rapport, expliquera le professeur Maurice Kamto, « le pouvoir transcende le droit et le réduit à un rôle instrumental. »200 Il en résulte une forte relativisation de la norme constitutionnelle, à la faveur du pouvoir, dont le but politique et social prime sur le droit.201Cette suprématie du pouvoir politique sur la norme juridique est d'ailleurs perceptible dans les textes constitutionnels africains. Une illustration de cette transcendance du pouvoir politique sur le droit est inscrite dans la constitution camerounaise du 18 janvier 1996 plus précisément dans le préambule qui dispose : « les droits et libertés sont garantis aux citoyens dans le respect (...) de l'intérêt supérieur de l'État. »

Une telle énonciation des droits et libertés selon le professeur Aba'a Oyono offre « aux autorités administratives étatiques la latitude de moduler l'exercice de la liberté en fonction des préoccupations qui sont les leurs »202. Vu de la sorte, le droit ne serait en réalité que la volonté affirmée du pouvoir politique. Ainsi, l'administration camerounaise ou plus exactement les autorités de police administrative sont sous l'emprise du président de la république. Il faut éviter à cet effet de compromettre le supérieur hiérarchique au risque perdre son poste.203 Cela étant,

198 ATEMENGUE (JDN) : « les pouvoirs de police administrative du président de la république au Cameroun », verfassung und Recht in Übersee / law and politics in Africa, Asia, and Latin America, vol. 35, n°1, (1. Quartal 2002), p.106

199 KAMTO (M) ; pouvoir et droit en Afrique noire, op.cit. P.436-447.

200 Idem.

201 Idem.

202 ABA'A OYONO (J.-C) « les fondements constitutionnels du droit administratif (...) » ; op.cit. p.17.

203 ABANE ENGOLO (P) « existe-t-il un droit administratif camerounais ? » op.cit. p.20

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les agents (de l'État) sont tenus de respecter scrupuleusement voire religieusement « les consignes données par leur chef »204

En tout état de cause, l'énoncé des libertés dans le texte constitutionnel par le truchement des notions fluctuantes permet selon le professeur Aba'a Oyono de mettre en exergue l'influence négative que le constituant exerce sur la protection des libertés205. Intéressons-nous à la subsidiarité des libertés face à l'intérêt supérieur de l'État.

2- La subsidiarité des libertés face au pouvoir politique.

L'utilisation dans la constitution de l'expression intérêt supérieure de l'État démontre également de manière claire et précise la place réservée aux libertés publiques en droit camerounais. En effet, les libertés publiques sont reléguées au second rang, face à l'intérêt supérieur qui est très souvent plus politique que juridique. Vu sous cet angle, telle ou telle autre liberté peut être ignorée ou piétinée lorsqu'elle n'entre pas en droite ligne des préoccupations et attentes des gouvernants.

Il se pose ainsi le problème relatif au contenu, voire à la signification à donner au concept intérêt supérieur de l'État. Le texte constitutionnel ne répond pas à la question. Pourtant, une telle expression comporte un contenu véritablement abstrait et potentiellement attentatoire aux libertés, dans la mesure où « tout fait anodin »206 relevant de l'exercice d'une liberté est susceptible d'être sanctionné en raison de ce qu'il constituerait une atteinte à l'intérêt supérieur de l'État. Pour reprendre la formule du professeur Maurice Kamto qui relativement à l'insertion dans la constitution des notions floues et fuyantes et de leurs influence restrictive sur les libertés, l'on pourrait dire que le constituant camerounais a introduit le loup dans la bergerie207. C'est donc à dire en fin de compte que le concept relatif à l'intérêt supérieur de l'État a pour conséquence directe « l'instauration d'un droit administratif dans lequel la raison de l'État (et partant de l'administration) est au-dessus de toute autre finalité comme l'intérêt général »208

À l'analyse de la proclamation constitutionnelles des libertés publiques, l'on peut retenir que la réforme constitutionnelle du 18 janvier 1996, aux premiers abords semblait sonner

204 Idem.

205 ABA'A OYONO (J-C), «Les fondements constitutionnels du droit administratif : de sa vertueuse origine française a sa graduelle transposition vicieuse dans des états stable et instable de l'Afrique francophone» op.cit. p.17.

206 BIKORO (J.M), les paradoxes constitutionnels en droit positif camerounais, op.cit., p.94.

207 KAMTO (M), cité par ABA'A OYONO (J.-C), les fondements constitutionnels du droit administratif (...) » ; op.cit. p.17.

208 ABANE ENGOLO (P) « existe-t-il un droit administratif camerounais ? », op.cit., p.19.

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le tocsin d'une protection renforcée des droits fondamentaux209; mais en réalité étant encore fortement marquée par les relents de l'autoritarisme210 voire de l'hégémonie de l'administration, étatique, n'a pu contribuer qu'à faire des libertés publiques une simple enseigne décorative.211 Offrant ainsi au législateur la voie royale vers un aménagement davantage vicieux des libertés.

209 ABA'A OYONO (J-C), « les fondements constitutionnels du droit administratif (...) » op.cit. p.15.

210 BEYEGUE BOULOUMEGUE (E G) ; « la persistance de l'idéologie de la construction nationale en matière de police administrative. » P.30.

211 Idem. P.303.

CHAPITRE II : LES VICISSITUDES DANS L'AMENAGEMENT DE L'EXERCICE

DES LIBERTES.

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L'organisation au Cameroun des rassemblements ou plus exactement des manifestations publiques nécessite l'accomplissement d'un certain nombre d'obligations légales prescrites par le législateur. C'est ainsi que la loi n°90/055 du 19 décembre 1990 portant régime des réunions et manifestations publiques pose l'exigence d'une déclaration préalable qui doit avoir lieu sept jours francs au moins avant la date de la manifestation.212 En contrepartie, l'autorité administrative qui reçoit la déclaration213 doit immédiatement délivrer un récépissé.214 En effet, faut-il le préciser, la satisfaction de cette formalité dont la vocation première est d'informer l'autorité sur la tenue de la manifestation, oblige ladite autorité à délivrer le récépissé. Ce dernier ne dispose d'aucun pouvoir discrétionnaire en la matière. Cela dit, le récépissé n'équivaut pas à une autorisation ; tout au plus, il ne s'agit là que d'un accusé de réception attestant que l'autorité a effectivement reçu la déclaration.

Cependant s'il est théoriquement reconnu depuis les lois de 1990, une avancée considérable dans le domaine des libertés publiques de manière générale et des manifestations publiques précisément, leur exercice semble encore fortement incertain. Force est de reconnaitre que le texte fait très souvent l'objet d'interprétations voire d'applications restrictives à l'égard des libertés. Cela se justifie notamment à travers la relative obscurité de l'encadrement légal des libertés (de manifestation en l'occurrence) (Section I) et davantage encore au regard de la posture sanctionnatrice du législateur vis-à-vis desdites libertés (section II).

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand