Paragraphe 2 : la restriction des libertés par
l'intérêt supérieur de l'État.
Comme le relève le professeur Abane
Engolo, « au Cameroun, dans tous les discours officiels on
évoque l'intérêt supérieur de l'État
»184 cette formulation au combien flou, pose un certain nombre
d'interrogations relativement à l'identification de l'État
titulaire de l'intérêt en question, (A)de sa signification et
même de sa capacité à véritablement remettre en
cause des libertés publiques (B).
178 BIKORO (J.M), les paradoxes constitutionnels en droit positif
camerounais ; op.cit. p.92
179 JACQUINOT (N), Ordre public et Constitution,
cité par S.-G. SORO PAMATHIN ; op.cit. p.30.
180 SORO PAMATHIN (S-G), L'exigence de conciliation de la
liberté d'opinion avec l'ordre public sécuritaire en Afrique
subsaharienne francophone à la lumière des grandes
démocraties contemporaines ; op.cit. p.29.
181 ROLAND (S), « L'ordre public et l'État.
Brèves réflexions sur la nature duale de l'ordre public»,
op.cit. spé. p.13
182 FRIER (P-L) et PETIT (J), Précis de droit
administratif, 6ème éd.,
Montchrestien-lextenso éditions, Coll. « Domat droit public »,
Paris, 2010, p. 257.
183 ABA'A OYONO (J.-C) ; « les fondements constitutionnels
du droit administratif (...) » ; op.cit. p.17.
184 ABANE ENGOLO (P) « existe-il un droit administratif
camerounais ? » ; op.cit. p. 18.
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A- L'indétermination dans l'identification de
l'État.
La question relative à la détermination de
l'État oppose deux parties de la doctrine, d'une part, nous avons celle
qui postule de la conception institutionnelle de l'État (1), et d'autre
part celle qui défend l'idée de l'incarnation de l'État
par le président de la république. (2)
1-La conception institutionnelle de
l'État.
Selon la thèse relative à la conception
institutionnelle de l'État, il existe une distinction entre
l'État et les gouvernants. En effet, l'État se distingue des
individus qui gouvernent dans la mesure où il constitue une institution
au sens de Maurice Hauriou185 ; et par ce fait
même est doté d'une certaine stabilité dans le temps.
Georges Burdeau écrira également que les
gouvernants doivent être considérés comme des « agents
d'un pouvoir qui les dépasse »186 ; en d'autres termes
ce sont des « instruments » au service de l'État. Cela dit,
l'institutionnalisation de l'État se résume dans la
célèbre expression française selon laquelle « la
couronne ne meurt pas en France. »187. En effet,
écrivait Georges Burdeau, les hommes ont inventé
l'État pour servir de siège à un pouvoir dont les
gouvernants ne seraient pas les propriétaires mais les agents
d'exercice188.
En clair, relativement à cette considération
institutionnelle de l'Etat, le concept « intérêt
supérieur de l'État » retenu dans le texte constitutionnel
du 18 janvier 1996 dans le préambule, apparait alors comme une
donnée abstraite, une idée dont le contenu n'est pas facile
à percevoir ou du moins n'est clairement mentionné. Certainement,
conviendra-t-il alors de donner à cette notion un contenu plus concret,
de nature à rendre compte une fois pour toute de la signification
à donner à ce « bouclier juridique »189 dont
l'administration fait régulièrement recours pour bafouer les
libertés publiques. Une tentative de solution sera apportée
à cet effet par une autre approche doctrinale qui présentera
plutôt la thèse de l'incarnation de l'État dans la personne
du président de la république, thèse défendue
notamment par le professeur Maurice Kamto.
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