B- L'interprétation extensive de l'ordre public.
L'interprétation extensive de l'ordre public au
Cameroun se traduit au regard du renforcement de l'ordre public
sécuritaire, (1) dans un contexte relatif à la politisation de
l'ordre public. (2)
1- Le renforcement de l'ordre public
sécuritaire.
Le renforcement de l'ordre public sécuritaire s'observe
comme la volonté affichée des pouvoirs politiques d'instaurer un
climat peu propice à l'expression des libertés publiques et des
oppositions de toutes sortes.171En ce sens garantir la
sécurité au sein de l'État consiste pour l'administration,
à assurer au-delà de la protection des biens et des personnes, la
préservation même de la sureté de l'État.
En droit camerounais, l'administration en matière de
police est de plus en plus encline à des préoccupations d'ordre
sécuritaire, notamment au regard de la conjoncture socio-politique de
crise qui fait l'actualité. Considérée par la doctrine
comme une des principales composantes
165 Cf. le fameux arrête de la section du Conseil
d'État en date du 18 décembre 1959 ; société «
Les films Lutétia »
166 Cf. le célèbre arrêt du Conseil
d'État français rendu le 27 octobre 1995, commune
Morsang-sur-Orge ; encore appelé l'affaire « du lancer des nains
»
167 CE, 27/07/2001, Ville d'Etampes.
168 LEBRETON (G), « ordre public », in TSIMBA ZOVINA
(J.A), GAUDIN (H), MARGENAUD (J-P), RIALS (S), SURDE (F) (dir.), Dictionnaire
des droits de l'homme, P.U.F., Quadrige, Paris, 2008, pp. 717-719.
169 GERVIER (P), la limitation des droits fondamentaux
constitutionnels par l'ordre public, op.cit. p.26
170 ROLAND (S), « l'ordre public et l'État.
Brèves réflexion sur la nature duale de l'ordre public »,
DUBREUIL (C-A) (dir.), l'ordre public, édition Cujas, coll. Actes et
études, Paris, 2013, pp. 9-20, spé. P.17
171 ATEMENGUE (J.D.N), la police administrative au Cameroun ;
op.cit., p.219.
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de la notion d'ordre public,172 la
sécurité publique sera l'occasion pour les autorités de
police administrative de renforcer le contrôle de l'exercice de certaines
libertés, très souvent au péril des principes fondamentaux
qui gouvernent dans un État de droit.
Bien que d'un point de vue juridique, la situation au Cameroun
ne relève pas de l'état d'urgence,173 notamment en
l'absence d'un décret instituant l'état d'urgence174,
force est d'admettre qu'en pratique, l'état des libertés
publiques, principalement celles considérées par les
autorités comme « susceptibles à entretenir voire à
animer les troubles », laisse penser à une réglementation de
crise. Les pouvoirs publics s'orientent alors relativement au contexte social
assez tendu, vers la garantie de la sécurité des institutions,
quitte à ignorer, et quelques fois bafouer certaines libertés.
L'ordre public prenant des allures autoritaire devient de ce fait davantage
« un ordre de limitation des libertés qu'un ordre de protection de
ces libertés »175
C'est donc à dire que le volet sécuritaire de
l'ordre public constitue un motif en vertu duquel les droits et libertés
sont violés. On note ainsi une certaine hostilité des
autorités à l'égard des manifestations publiques ou des
mouvements contestataires sous le prétexte d'une garantie de la
sécurité dans l'État. Cette attitude des pouvoirs publique
se justifie davantage en raison de la coloration politique que les
autorités n'hésitent pas à donner à la notion
d'ordre public.
2-La politisation de la notion d'ordre
public.
Comme le souligne le professeur Atemengue Jean De
Noël, « dans tous les pays du monde qu'ils soient
démocratiques ou non, l'ordre public comporte toujours une dimension
politique. »176 Le Cameroun ne déroge pas à la
règle. En effet, dans l'ordre juridique camerounais, l'expression
consacrée par le constituant de 1996 dans le préambule, à
savoir :«(...) sous réserve des prescriptions légales
relative à l'ordre, à la sécurité et à la
tranquillité publics» ; prête le flanc à diverses
manipulations de la part des autorités administratives. En effet la
relative imprécision qui caractérise une telle énonciation
de l'ordre public dans la constitution camerounaise, constitue ce que le
professeur Aba 'a Oyono qualifie de « butoirs
liberticides » face aux libertés publiques177.
L'insertion dans la constitution d'une
172 SORO PAMATHIN (S-G), op.cit. p.33.
173 L'article premier de loi n°90/047 du 19
décembre 1990 relative à l'état d'urgence dispose : «
l'état d'urgence peut être déclaré sur tout ou
partie du territoire national : Soit en cas d'évènement
présentant par leur nature et leur gravité le caractère de
calamité publique ; soit en cas de troubles portant gravement atteinte
à l'ordre public ou à la sureté de l'État ; soit en
cas d'agression venant de l'extérieure. »
174 Article 2 de loi n°90/047 du 19 décembre 1990,
op.cit.
175 BEYEGUE BOULOUMEGUE (E G), « la persistance de
l'idéologie de la construction nationale en matière de police
administrative » op.cit. p. 308
176 ATEMENGUE (JDN) ; la police administrative au Cameroun. Op.
cit.p.69
177 ABA'A OYONO (J-C), « les fondements constitutionnels du
droit administratif (...) » op.cit. p.16.
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telle notion aux contours flous178 voire
fuyants179, offre selon l'auteur, «la latitude de moduler
(à souhait) l'exercice de la liberté, selon les
préoccupations qui sont les leurs. »
Cela dit, loin de sa vocation première qui est la
préservation d'un certain ordre social180, l'État tend
de plus en plus à donner un contenu circonstanciel à la notion
d'ordre public qui varie continuellement selon les orientations ou les
considérations d'ordre politique. Vu de la sorte, l'ordre public devient
une notion à contenu variable181, qui évolue
écrira pierre Laurent Frier « en fonction des
situations et des conceptions sociales. »182
Une telle relativisation du contenu du trouble à
l'ordre public, orchestrée par la défaillance
définitionnelle imputable au constituant camerounais, conduira le
professeur Aba'a Oyono à affirmer que «
l'utilisation de la notion d'ordre public par les autorités
administratives, aboutit (...) à des dérapages, dès lors
qu'elle obéit davantage à des considérations d'ordre
politique que juridique. »183
Convient-il de retenir ici que les manipulations qui
résultent de l'interprétation extensive, voire extensible de
l'ordre public ; constituent très souvent un motif de violation
insidieux des libertés publiques. Que dire alors de la restriction des
libertés publiques par « l'intérêt supérieur de
l'État » ?
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