La police de la grève en droit administratif camerounaispar Gaetan Gildas Yamkam Fankam Université de Yaoundé Il - Master 2 droit public 2018 |
Paragraphe 1 : la limitation des libertés par l'ordre publicDu fait de l'ordre public, écrira M. Jean Louis Messing, les libertés publiques connaissent soit des restrictions, soit un amoindrissement, soit des assouplissements. »157 Cela est dû notamment à l'imprécision de la notion d'ordre public, (A) et se concrétise davantage au vu de l'interprétation extensive dont l'ordre public fait l'objet. (B) A- L'imprécision de la notion d'ordre public.La définition de l'ordre public constitue une tâche épineuse158. La majeure partie de la doctrine s'accorde sur le caractère complexe159 voire insaisissable de la notion d'ordre public. En effet, cette notion ici étudiée ne fait l'objet d'aucune définition légale, c'est à dire d'aucun énoncé positif tant au niveau constitutionnel qu'infra constitutionnel. C'est dans cette même logique que le constituant camerounais Du 18 janvier 1996 fait référence à la notion d'ordre public sans toutefois en préciser le contenu. Un tel postulat rend davantage difficultueuse l'appréhension notionnelle de l'ordre public. D'autant plus en raison de sa nature protéiforme et même circonstancielle. Cependant, une définition de l'ordre public passe forcément par la considération de ses éléments matériels, (1) à laquelle il est désormais impératif de rajouter la prise en compte d'une évolution vers la moralisation de la notion. (2) 1- L'acception matérielle de l'ordre public. D'un point de vue matériel, la définition de l'ordre public correspond à l'absence de trouble au sein de la collectivité160. Dans l'autre sens, il s'agit positivement selon P. Bernard de l'établissement « dans la collectivité des conditions qui assurent le plein épanouissement de l'individu »161. Concrètement, la définition de l'ordre public au sens matériel fait nécessairement apparaitre à titre principal des éléments tels que la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques. Ces éléments constituent la trilogie traditionnelle162 à partir de laquelle l'on définit généralement la notion d'ordre public. 157 MESSING (J.L), la problématique de du maintien de l'ordre dans les États d'Afrique noire francophone : le cas du Cameroun (1960-1992), thèse de doctorat de 3e cycle en droit public, 1994, p.256. 158 GERVIER (P), la limitation des droits fondamentaux constitutionn,,,,els par l'ordre public, op.cit. p.19 159 BERNARD (P), La notion d'ordre public en droit administratif, L.G.D.J., Paris, 1962, p. 219 ; PLANTEY (A), « Définition et principes de l'ordre public », in POLIN (R) ( ss. la dir. de), L'ordre public, Actes du colloque des 22-23 mars 1995 à Paris, P.U.F., Coll. « Politique d'aujourd'hui », Paris, 1996, spéc. p. 27 160 BERNARD (P), la notion d'ordre public en droit administratif, cité par GERVIER (P), o 161 Ibid. p.22. 162 CHAPUS (R) Droit administratif général, tome 1, Montchrestien p. 1313 cité par BIKORO (J M), op.cit. p.91. 35 La sécurité publique, considérée comme la composante la plus naturelle de l'ordre public,163 renvoie essentiellement à la prévention des risques, dommages, susceptibles d'être portés à l'endroit des personnes et des biens. Il est donc question pour l'administration à travers cette finalité d'ordre sécuritaire, de veiller à la protection de la sureté des personnes et des biens. La tranquillité publique quant à elle vise essentiellement à garantir une situation de calme au sein de la collectivité. Il est question pour les autorités de prendre les mesures nécessaires en vue de prévenir les troubles, les nuisances qui peuvent résulter de l'exercice d'une liberté. La salubrité publique enfin intervient tant dans la prévention des risques classiques d'hygiène, que dans la protection des citoyens contre les dangers liés aux contaminations et épidémies de diverses natures. En raison du contenu évolutif qui caractérise la notion d'ordre public, sa définition va connaitre une évolution notable à partir du XXème siècle164 du fait de la jurisprudence. À tel point que les éléments de la trilogie traditionnelle ne satisfont plus à eux seuls, à rendre compte de manière intégrale de la définition de ladite notion. L'on assistera alors à une évolution vers la moralisation de la notion d'ordre public. 2- L'évolution vers la moralisation de l'ordre public. Au-delà de la trilogie ou du triptyque traditionnel à partir desquels l'on définit généralement l'ordre public dans son acception matérielle, à savoir la sécurité : la tranquillité et la salubrité publique, la notion d'ordre public connaitra une évolution au début du XXème siècle. En effet la jurisprudence française va alors élargir voire étendre le champ notionnel de l'ordre public à des éléments nouveaux et relativement originaux, voire novateurs. L'on assiste ainsi à ce que la doctrine qualifie de moralisation de la notion d'ordre public. En effet, sont apparus à partir d'une certaine période de l'ère moderne, des activités qui, n'entrant pas forcément dans la logique relative à la trilogie ou alors aux critères traditionnels, mais qui de par leur nature étaient susceptibles de mettre en cause l'ordre public. C'est fort de cela que la jurisprudence notamment par le truchement du conseil d'État français va devoir 163 ROUSSEAU (N), « historique de l'ordre public », LEGAVOX.fr, fiche pratique publiée le 13/01/2015. 164 Idem. 36 progressivement recourir à des éléments tels que la moralité publique165, le respect de la dignité humaine166 et plus récemment la protection des individus contre eux même167. En tout état de cause, la nature à la fois insaisissable et variable de la notion d'ordre public amènera certains auteurs à l'instar de G. LEBRETON à relever que l'ordre public en fin de compte renvoie à «l'ensemble des règles que les autorités estiment indispensables pour sauvegarder la stabilité et les valeurs de la société »168. C'est donc suivant cet ordre de pensée que les autorités en matière de police administrative au Cameroun, n'hésiteront pas à recourir, à tort et à travers, parfois maladroitement à des interprétations extensives de l'ordre public, très souvent au détriment de certaines libertés. S. Roland écrira dans ce sens que « le contenu de l'ordre public est déterminé par les autorités étatiques ».169 C'est donc à dire en définitive que l'ordre public est en réalité l'ordre de l'État.170 C'est fort de cela que l'on constate dans l'ordre juridique camerounais, une tendance à l'interprétation extensive de l'ordre public. |
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