La police de la grève en droit administratif camerounaispar Gaetan Gildas Yamkam Fankam Université de Yaoundé Il - Master 2 droit public 2018 |
B-Évolution vers la concrétisation de la constitutionnalité du préambule.La concrétisation de la constitutionnalité du préambule au Cameroun est le fruit d'un long processus. L'on est parti de la controverse jurisprudentielle sur la constitutionnalité du préambule. (1) pour aboutir à la validation textuelle de la constitutionnalité du préambule. (2) 1-la controverse jurisprudentielle sur la constitutionnalité du préambule. Certes si la question relative à la juridicité du préambule semble ne plus se posser ici, il reste encore de sérieux doutes qui demeurent quant au fait de savoir si les dispositions contenues dans le préambule doivent être considérées comme des règles de valeur constitutionnelle ou plutôt si elles doivent être relégués au rang de norme à valeur législative. La question posée a véritablement fait l'objet d'une controverse jurisprudentielle. D'emblée, l'on peut considérer la position de la cour fédérale de justice qui se refuse à reconnaitre au préambule une valeur constitutionnelle. Cela dit, comme le fait remarquer le professeur Guessele Isseme L., « la cour de justice marque son désengagement dans le contrôle 137 ZBIEGNIEW DIME LI NLEP (P) ; la garantie des droits fondamentaux au Cameroun ; op.cit. 138 BOEHLER (E) cité par OLINGA (A.D), « l'aménagement des droits et libertés dans la constitution camerounaise révisée », Revue universelle des droits de l'homme, 1996, vol 8, 4-7 , p.118 139 OWONA (J) Droit constitutionnel et régimes politiques africains op.cit. p.225 140 Idem. (...) »143 31 de la violation du préambule en refusant d'y voir une règle constitutionnelle ».141 L'affaire Société des grands travaux de l'Est c/ État du Cameroun142 constitue une illustration majeure de cette posture de la cour fédérale de justice. En effet, le juge dans l'espèce va nier la constitutionnalité du préambule en prétendant que « les principes contenus dans le préambule de la constitution, (...) ont valeur de principes généraux de droit, c'est-à-dire non pas supérieure mais égale à celle de la loi ordinaire C'est incontestablement avec la cour suprême que l'on assistera à une reconsidération de la valeur du préambule de la constitution. En effet, la reconnaissance jurisprudentielle de la valeur constitutionnelle du préambule pourrait être retenue à l'analyse notamment de l'affaire dame Ndongo, née Mbonzi Ngombo c/ État du Cameroun rendu en 1994.144 Dans l'affaire en question, dame Mbonzi Ngombo est de nationalité zaïroise et est autorisée par l'ambassade de son pays à concourir à l'examen d'entrée à l'ENAM, avec le titre d'étrangère. Avant sa sortie, elle épouse sieur Ndongo et acquiert ainsi la nationalité camerounaise par les liens du mariage. Mais alors que tous les camerounais au sortir de la formation à l'ENAM sont intégrés dans la fonction publique camerounaise, la désormais dame Ndongo est recalée au motif qu'en accédant à l'ENAM, elle était de nationalité zaïroise. Relativement à cette décision de refus de la part de l'autorité administrative, dame Ndongo va donc saisir le juge administratif en annulation de ladite décision. Le juge saisit à l'occasion va estimer qu'il y'a dans cette affaire, violation de la constitution, notamment du principe d'égalité alors formulé dans le préambule de la constitution du 02 juin 1972. C'est ainsi que sera formulé par le juge administratif le principe d'égalité d'accès aux emplois publics.145 En tout état de cause, le raisonnement mis en avant par le juge administratif témoigne clairement d'une reconnaissance jurisprudentielle du préambule de la constitution. En effet, le juge n'y opère pas une distinction entre le préambule et la constitution en elle-même. Bien au contraire ce dernier assimile le préambule à la constitution. C'est dans cette logique que le 141 GUESSELE ISSEME (L) l'apport de la cour suprême au droit administratif camerounais ; op.cit. p.7 142 CFJ/CAY, arrêt n° 68 du 30 septembre 1969, Sté des Grands Travaux de l'Est c/ État du Cameroun oriental. 143 Lire les considérants du juge dans l'affaire Grands Travaux de l'Est c/ État du Cameroun oriental ; op.cit. 144 CS/CA, jugement n°07/94-95 du 27 octobre 1994, dame Ndongo née Mbonzi Ngombo c/ État du Cameroun (P.R) 145 GUESSELE ISSEME (L) ; les apports de la cour suprême au droit administratif camerounais ; op.cit. p.78. 32 constituant de janvier 1996 viendra entériner la position de la cour suprême par le truchement de la validation textuelle de la constitutionnalité du préambule. 2- la validation textuelle de la constitutionnalité du préambule. C'est finalement à la faveur de la loi n°96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la constitution du 2 juin 1972, que l'on assistera au Cameroun à la validation expresse du préambule par le texte constitutionnel. Faisant référence à la protection des droits fondamentaux à travers le préambule dans les constitutions africaines, M. John R. Keudjeu De Keudjeu écrira dans ce sens qu' « introduite par un préambule qui précède le dispositif, les constitutions (des) États en ont fait de par la valeur constitutionnelle qui lui est reconnue, plus qu'un simple réceptacle de principes philosophiques et idéologiques, le support d'un ensemble de droits fondamentaux et de principes généraux des droits.146 » En effet le texte constitutionnel en son article 65 dispose : « le préambule fait partie intégrante de la constitution.» Cette disposition constitutionnelle implique naturellement que tous les droits et libertés contenus dans le préambule acquièrent de facto valeur constitutionnelle. Cela dit, il est désormais reconnu incontestablement un caractère de règle constitutionnelle solennelle et intangible aux droits énumérés dans le préambule et aux déclarations dont il fait référence.147 Le professeur Alain D. Olinga soulignera à cet effet que « les dispositions du préambule sont purement et simplement des normes constitutionnelles, et toute méconnaissance de ces normes constitue une violation de la loi fondamentale susceptible de donner lieu à un contentieux »148 Les libertés publiques qui jusque-là étaient encore de manière générale soumises à une constante remise en cause, du moins du point de vue de leur juridicité, trouvaient désormais une assise juridique concrète dans le préambule constitutionnalisé. La constitutionnalisation, relèvera justement le professeur A. DIARRA à cet effet est une garantie fondamentale des droits et libertés car ils deviennent des normes juridiques149, et de surcroit des normes constitutionnelles. 146 KEUDJEU DE KEUDJEU (J. R), « l'effectivité de la protection des droits fondamentaux en Afrique subsaharienne francophone » revue CAMES/SJP n°001/2017, P.105 147 OWONA (J) Droit constitutionnel et régimes politiques africains op.cit p.225. 148 OLINGA (AD) ; cité par ZBIGNIEW DIME LI NLEP (P), la garantie des droits fondamentaux au Cameroun, DEA en droit international des droits de l'homme 2004, Université Abomey-Calavi, Bénin consulter le site mémoire online.com. 149 DIARRA (A), « La protection constitutionnelle des droits et libertés en Afrique noire francophone, cas du Benin et du Mali. », op.cit P.12 33 En définitive, le constituant camerounais de 1996 a le mérite d'avoir franchi un nouveau palier dans la garantie des libertés publiques à travers d'une part la définition d'un large éventail de droits parmi lesquels le droit de grève nouvellement consacré occupe une place incontournable. Également, d'autre part à travers la déclaration expresse de la valeur constitutionnelle du préambule. Vu sous cet angle, conviendra-t-on avec le professeur Aba'a Oyono que la constitution dessine le visage d'un État camerounais légitimé150 respectueux des valeurs démocratiques. Seulement, un certain nombre de paradoxes dans l'écriture de la norme constitutionnelle entravent l'enracinement du constitutionnalisme camerounais151. L'on assiste alors à une dévalorisation constante de la constitution qui prévoit l'exercice des libertés publiques dans sa lettre tout en y insérant elle-même des restrictions voire des atteintes auxdites libertés.152 SECTION II: LA CONSECRATION CONSTITUTIONNELLE DES ATTEINTES AUX LIBERTES PUBLIQUES. Les expressions « intérêt supérieur de l'État » et « sous réserve des prescriptions légales relatives à l'ordre, à la sécurité et à la tranquillité publics constituent au sens du professeur Aba'a Oyono J.-C. : « de véritables butoirs liberticides voulus par le constituant. »153 En effet, La liberté, l'ordre voire l'intérêt de l'État sont très souvent considérés comme des notions antinomiques154. De par sa fonction, l'ordre contient en lui-même les germes d'adversité155 vis-à-vis des libertés, en raison de son caractère permissif156. De la même manière, l'intérêt de l'État rime difficilement sinon très rarement avec les libertés publiques. Ainsi, on assiste au Cameroun et par le fait du constituant à la limitation des libertés à la fois par les notions d'ordre public (P1) et d'intérêt supérieur de l'État. (P2) 150 ABA'A OYONO (J.-C), « les fondements constitutionnels du droit administratif : de sa vertueuse origine française à sa graduelle transposition vicieuse dans des États stables et instables de l'Afrique » op.cit. p.16 151 BIKORO (J. M), les paradoxes constitutionnels en droit positif camerounais op.cit., du résumé du mémoire, p.iv 152 OWONA (J) Droit constitutionnel et régimes politiques africains, op.cit., p.226. 153 ABA'A OYONO (J.-C) « les fondements constitutionnels du droit administratif (...) », op.cit., p.16. 154 SORO PAMATHIN (S-G), L'exigence de conciliation de la liberté d'opinion avec l'ordre public sécuritaire en Afrique subsaharienne francophone (Bénin-Côte d'Ivoire-Sénégal) à la lumière des grandes démocraties contemporaines ; op.cit. p.19. 155 Idem. 156 Idem. 34 |
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