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La protection du droit de manifester dans l'espace public


par Charles ODIKO LOKANGAKA
Université de Kinshasa - Doctorat 2020
  

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Section 1. Le Congo-Belge : l'exercice de la liberté de manifestation dans un contexte colonial

Nous aurions voulu aborder ce chapitre avec cette énigme tragique : qu'aurait été l'Afrique noire sans la colonisation ? Résoudre cette énigme n'était pas possible, non pas parce qu'il aurait été fou de vouloir embrasser tous les changements que la colonisation a introduits dans les sociétés africaines, non pas tant parce qu'il aurait été insensé de vouloir appréhender la complexité des effets d'externalités et d'équilibre général auxquels la colonisation a donné lieu à l'échelle du monde, mais parce que d'emblée l'Histoire nous opposait une impossibilité radicale : aucun contrefactuel n'existe, tous les pays africains ont été colonisés. Tous ou presque, puisque seule l'Éthiopie a su rester indépendante en infligeant une défaite aux Italiens à la bataille d'Adoua en 1896, faisant de cette victoire la première d'un pays africain sur les colonialistes.

Dans ces circonstances, il devenait impossible de considérer l'Ethiopie comme le contrefactuel de l'Afrique avec la colonisation. Quand tout un continent, et plus encore la plus grande partie de l'hémisphère sud, a vécu la colonisation, les retombées sont telles que même les pays indépendants comme l'Ethiopie n'ont pas évolué comme s'il n'y avait pas eu de colonisation. Nous ne saurons donc jamais ce qu'aurait été l'Afrique sans la colonisation.

Pourtant, cette question mérite de rester posée, car la liberté de manifestation, victime de l'environnement liberticide colonial, a pourtant contribué, dans certaines circonstances, à éradiquer cet horrible phénomène. En tentant d'évaluer l'impact de long terme de l'histoire coloniale sur le développement des inégalités en Afrique, il convient aussi, sans en faire l'une des préoccupations centrale de la présente recherche, de chercher à rencontrer l'Afrique d'avant la colonisation, ses royaumes, ses sociétés acéphales, ses régions dynamiques et ses régions reculées, ses routes commerciales, ses villes, ses comptoirs, ses peuples.

L'Afrique est encore aujourd'hui perçue comme un continent qui avant la colonisation n'était « pas assez entrée dans l'histoire »254(*). L'homme africain comme un homme « qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles »255(*).

Mais l'historien Henri Brunschwig, élève de Lucien Febvre et de Marc BLOCH, héritier de la tradition « positiviste », émet un autre son de cloche : il considérait l'histoire comme un travail de rigueur et de raison fondé sur la critique des textes, à l'écart des tumultes et des engagements. Dans son ouvrage sur l'histoire de l'Afrique noire256(*), Henri Brunschwig donne un éclairage très instructif sur la période1830-1890, période décisive qui précéda la période coloniale : « L'Afrique noire s'ébranlait et se modifiait, tout comme l'Europe à partir des inventions et des découvertes qui la sortirent du Moyen-Age. (...)

Le rythme de l'évolution fut à la mesure du Noir, libre d'accepter ou de refuser les nouveautés : l'Africain n'eut pas le sentiment d'être contraint et dominé. Il traita en général d'égal à égal avec l'étranger et ne se sentit pas entraîné malgré lui sur une voie qui ne lui convenait pas. Cette évolution aurait pu continuer. Elle fut interrompue dans le dernier quart du XIXe siècle. (...) L'Afrique noire était en voie d'occidentalisation lorsqu'elle fut partagée »257(*).

Pendant quatre-vingt ans, l'histoire de la Belgique a été celle d'une puissance coloniale. Celle-ci commence en 1885, lorsque les grandes puissances reconnaissent la souveraineté personnelle du Roi des Belges, Léopold II, sur l'État Indépendant du Congo.

Cette histoire coloniale se poursuit jusqu'aux indépendances des années 1960, en passant par la reprise formelle de la colonie congolaise par l'État belge en 1908 et, au lendemain de la Première Guerre mondiale, par celle des anciennes colonies allemandes du Ruanda-Urundi. Cette période coloniale, qui concerne près de la moitié de l'histoire de la Belgique, s'est accompagnée de la mise en oeuvre d'une propagande raciste massive en vue de légitimer la colonisation dans l'esprit de l'ensemble de la population belge258(*).

Dans cette société coloniale aux élans absolutistes, la question de la reconnaissance des libertés est complexe à aborder. Complexe à cause de la promiscuité de la société coloniale, une promiscuité due principalement à des disparités juridiques entre les différentes couches sociales.

Dans son discours cependant, comme parfois dans son agir, le pouvoir colonial se réfugie à l'ombrage d'un paternalisme qui tend à justifier et occulte ses atrocités. Conscient de la nature liberticide du régime implanté au Congo, la Belgique se résigna de reconnaitre certaines libertés potentiellement subversives aux congolais. Parmi ces libertés figurent la liberté de réunion, la liberté de manifestation, la liberté d'expression, pour ne citer que celles-là. Et pourtant, tous ces droits étaient consacrés par la Constitution belge qui devrait s'appliquer aussi dans la Colonie (§1).

Sur terrain, les atrocités commises sur les populations autochtones du Congo frisaient un mépris total des droits garantis aux habitants de la colonie (§2).

§1. Le régime applicable à l'exercice de la liberté des manifestations

La domination du colonisateur sur le colonisé s'est accompagnée, sous le couvert du paternalisme, de la promotion d'une vision raciste de son histoire et de son humanité. Cette entreprise colonisatrice s'exerce dans une situation de perplexité entre d'une part la nécessité de civiliser les populations et le vent de promotion des droits de l'homme259(*). Du côté des colonisés, la même perplexité de choix hantaient les esprits qui devraient choisir entre la résignation au paternalisme et la défense de leurs droits légitimes. Dans ce contexte précis, les populations colonisées, à défaut d'adresser aux colonisateurs leurs revendications par l'exercice de la liberté de manifestations publiques, se sont vues obligées de recourir à d'autres voies d'expression violentes tels les émeutes, les révoltes, les rebellions, etc.

* 254Allocution de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République française, prononcée à l'Université de Dakar le 27 juillet 2007, p. 8.

* 255 Idem, p. 8.

* 256 BRUNSCHWIG (H.), L'Avènement de l'Afrique noire, Paris, Armand Colin, 1963.

* 257 Idem, pp. 212 et 177

* 258 LISMOND-MERTES (A.), La Belgique face à son passé colonial, in Ensemble ! Pour la solidarité, contre l'exclusion, Trimestriel - n° 91 juin - juillet - août 2016, pp. 6-8.

* 259La Déclaration universelle des Droits de l'Homme, adoptée par les États en 1948 en plein coeur de la colonisation, prend le contrepied de ce phénomène aux pratiques liberticides atroces.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo