La protection du droit de manifester dans l'espace publicpar Charles ODIKO LOKANGAKA Université de Kinshasa - Doctorat 2020 |
2. Les fonctions précises de l'ordre publicL'apparition du concept d'ordre public tient avant tout à sa fonction dans l'ordre juridique. Il s'agit d'assurer la sauvegarde des droits et libertés de l'individu « lorsqu'ils ne disposent pas, par eux-mêmes, des moyens de s'auto-protéger ou de se réaliser »231(*). En cela, l'ordre public comprend « un ensemble d'effets juridiques, nécessaires à l'accomplissement de sa fonction d'instrument de structuration et de cohésion sociales »232(*). Son rôle consiste à justifier des restrictions aux droits et libertés afin d'assurer les conditions sociales de leur exercice. Néanmoins, l'ordre public implique de limiter leur exercice uniquement dans la mesure où cela est nécessaire à la protection même de l'ordre public qui garantit ces droits233(*). Il s'agit d'un « ordre finalisé », lié à la construction de l'État libéral et indispensable à la garantie des droits234(*). L'analyse fonctionnelle de l'ordre public235(*) explique pourquoi l'ordre public apparaît de manière concomitante à la proclamation des droits et libertés à la fin du XVIIIème siècle. Elle révèle, par là même, la corrélation entre l'ordre public et les libertés236(*). Cette idée illustre la continuité du droit237(*). Dès le début du XXème siècle238(*), le Conseil d'État pose le principe selon lequel les limitations apportées aux libertés par l'autorité de police ne sont légales que si le maintien de l'ordre public les rend nécessaires239(*), du droit de la Convention européenne des droits de l'homme et, plus généralement, du droit international des droits de l'homme240(*). Les droits supranationaux reconnaissent aux États membres la possibilité de limiter les droits fondamentaux par des impératifs d'ordre public dans stricte mesure où ceux-ci l'exigent. En droit constitutionnel, cette « conception circulaire »241(*) de l'ordre public, défini comme « norme de nécessité »242(*), découle de la Déclaration de 1789. Elle ne s'est imposée au législateur qu'à partir du moment où la Constitution a bénéficié d'une garantie juridictionnelle à même d'en sanctionner la méconnaissance. Dès ses premières décisions, le Conseil constitutionnel impose le respect de cette dialectique au législateur243(*). La fonction de l'ordre public dans l'ordre juridique permet ainsi d'expliquer pourquoi l'ordre public demeure une norme non écrite. Il comprend « toutes les exigences considérées comme les plus vitales au sein d'un ordre juridique »244(*). En ce sens, l'ordre public est une notion changeante245(*). Comme le relève Nathalie Jacquinot, « la société évolue, ses valeurs changent, ce qu'elle ne tenait pas pour fondamental peut le devenir et l'ordre public s'adapte en conséquence : s'il apparaît comme une notion fixe, quasi-intemporelle, c'est précisément parce qu'il a su évoluer avec elle »246(*). L'ordre public matériel ou extérieur s'inscrit dans le cadre de la trilogie traditionnelle de la notion, à savoir, la sécurité ou la sureté publique, la tranquillité publique et la salubrité publique. Cette conception du départ visait le maintien des conditions de vie saines et paisibles au bénéfice des populations d'un groupe social donné. Prise en ce sens, la notion doit la aussi être précise. Elle peut être définie comme l'absence de troubles au sein de la collectivité247(*). * 231 DREYER (E.), Droit pénal général, Paris, Lexis Nexis, Coll. Manuel, 2ème Edition, 2012, p.1. * 232 PICARD (E.), Introduction générale : La fonction de l'ordre public dans l'ordre juridique, Op. cit., p.48. * 233 DEUMIER (P.) et REVET (T.), L'ordre public, Op. cit., pp.1119-1120. * 234 PICARD (E.), Op. cit., p.1165. * 235 FRIER (P.-L.) et PETIT (J.), Droit administratif, Paris,Montchrestien, Domat droit public, 7ème édition, 2012, p.285. * 236 PETIT (J.), La police administrative, Op. cit., p.10. * 237 PICARD (E.), Introduction générale : La fonction de l'ordre public dans l'ordre juridique, Op. cit., pp. 641-656. * 238 RIVERO (J.) et MOUTOUH (H.), Libertés publiques, Op. cit., p.164. * 239 Selon le Commissaire du gouvernement Corneille, « La liberté est la règle et la restriction de police l'exception ». Voir : Concl. Corneille sur CE, 10 août 1917. * 240 SUDRE (E.), Droit européen et international des droits de l'homme, Paris, PUF, Coll. Droit fondamental, Paris, 11ème ; 2002, pp.218-241. * 241 HAQUET (A.), Droit pénal constitutionnel ou droit constitutionnel pénal ?, in Constitution et pouvoirs. Mélanges en l'honneur de Jean Gicquel, Paris, Montchrestien, Lextenson éditions, 2008, pp.237-243. * 242 PICARD (E.), La notion de police administrative, Op. cit., p.543. * 243 Voir notamment : Décision n°85-187 DC du 25 janvier 1985, Loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances, Rec. p. 43. * 244 PICARD (E.), Introduction générale : La fonction de l'ordre public dans l'ordre juridique, Op. cit., p.60. * 245 MALAURIE (P.), Rapport de synthèse, in REVET (T.), L'ordre public à la fin du XXème siècle, Paris,Dalloz, 1996, pp.105-111. * 246 JACQUINOT (N.), Ordre public et constitution, thèse dactylographie, Université d'Aix-Marseille III, 2000, p.68. * 247BERNARD (P.), La notion d'ordre public en droit administratif, Op. cit., p. 76 |
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