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L'entreprise à l'ère du numérique : les impacts fiscauxpar Elva-Donnelle KOMBA-MANDEGHA Law and Business School - Licence 2021 |
Paragraphe 1 : Le critère d'établissement stable inadapté à l'économie numériqueLes bénéfices d'une entreprise étrangère ne peuvent être soumis à impôt dans l'Etat d'où ils proviennent que lorsqu'ils y sont réalisés par l'intermédiation d'un établissement stable26. L'ES est donc un critère permettant de déterminer le droit pour un Etat d'imposer les revenus générés sur son territoire. Mais qu'est-ce qu'un ES ? En droit Tunisien il n'existe pas de définition d'ES, c'est plutôt le droit conventionnel qui le définit. Il s'agit d'une notion indispensable pour le rattachement des bénéfices de l'entreprise à un Etat plutôt qu'à un autre27. Ainsi, selon l'article 5 du Modèle de convention de l'OCDE, l'établissement stable constitue « toute installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle l'entreprise exerce tout ou partie de son activité »28. Il ressort de cet article que l'ES doit remplir certaines conditions pour être qualifié comme tel. D'abord, l'« installation d'affaires » doit exister. Elle peut varier selon la nature de l'activité de l'entreprise, tel un local, des équipements, un terrain etc. Ensuite, cette « installation d'affaires » doit être fixe. C'est-à-dire qu'elle doit être établie « dans un lieu précis et fixe pendant un certain degré de permanence » tel que stipulé dans le Commentaire du Modèle de convention de l'OCDE. La détermination de la durée se fait en fonction de l'activité. Enfin, concernant l'exercice de l'activité de l'entreprise, l'« installation d'affaires » doit être utilisée en totalité ou en partie. 26 Mabrouk MAALAOUI, « Impôts Directs de Tunisie Annoté des règles comptables (NCT & IFRS) », Mémento 2020, p.347. 27 Ibid. 28 Article 5 du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE concernant le Revenu et la Fortune tel qu'il se lisait le 21 novembre 2017, p.7-8. https://www.oecd.org/fr/ctp/conventions/articles-modele-de-convention-fiscale-2017.pdf 21 Première partie : Les problèmes fiscaux posés par l'économie numérique Le Modèle de convention de non double imposition de l'OCDE énumère une liste d'installations pouvant constituer un ES à savoir : un siège de direction, une succursale, un bureau, une usine, un atelier et une mine, un puits de pétrole ou de gaz, une carrière ou tout autre lieu d'extraction de ressources naturelles29. Nous pouvons remarquer que la qualification de l'ES prend en compte des éléments matériels et la présence physique de l'entreprise. Or, l'entreprise numérique est virtuelle et n'a pas besoin d'une présence physique pour réaliser des gains. Avec internet les entreprises peuvent échanger avec des clients et conclure des contrats de vente sans avoir besoin d'une présence physique. Les règles fiscales de la territorialité de l'impôt sont donc inadaptées à l'économie digitale. Alors, à la question comment taxer l'entreprise digitale sans présence physique, et après des nombreux travaux réalisés par l'OCDE, il ressort qu'un site web ne peut constituer un ES tout comme un serveur sauf dans le cas où il remplirait un certain nombre de conditions30. Paragraphe 2 : L'utilisation des exceptions de l'établissement stable par les géants du web Les activités considérées comme étant préparatoires ou auxiliaires dans l'économie traditionnelle, peuvent désormais constituer l'activité principale de l'entreprise numérique, sans que celle-ci ait un établissement stable dans l'Etat où ses activités sont réalisées et sans que les revenus générés ne soient soumis à l'impôt31. L'article 5 alinéa 4 du Modèle de convention de l'OCDE énumère une liste concernant les installations d'affaires ne constituant pas des ES. Nous pouvons citer entre autres, les installations aux fins de stockage, d'exposition et de livraison. 29 OCDE, ARTICLES DU MODÈLE DE CONVENTION FISCALE CONCERNANT LE REVENU ET LA FORTUNE tel qu'il se lisait le 21 novembre 2017, article 5, p.8. 30 Le site web est une combinaison de données et de logiciels, il ne constitue pas un actif corporel localisable de par sa nature immatérielle. Il ne peut donc s'agir d'un ES. Encore, le considérer ainsi conduirait au fait qu'une société aura un ES dans tous les pays où les internautes auront accès à ce site. Le serveur quant à lui peut constituer un ES uniquement lorsqu'il est utilisé et exploité par une entreprise numérique pour l'exercice de ses activités dépassant les exceptions de l'ES. 31 OCDE (2016), Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d'établissement stable, Action 7 - Rapport final 2015, Projet OCDE/G20 sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices, Éditions OCDE, Paris. http://dx.doi.org/10.1787/9789264255227-fr, p.10. 22 Première partie : Les problèmes fiscaux posés par l'économie numérique Il ressort de cet article que lorsque l'activité de l'entreprise concerne les activités préparatoires ou auxiliaires32, son installation dans un pays n'est pas considérée comme un ES. Toutefois, l'économie numérique se base principalement sur la livraison des produits vendus en ligne préalablement stockés dans un entrepôt par un revendeur33. Il ne s'agit donc pas d'une activité préparatoire mais plutôt d'une activité principale pour l'entreprise digitale. Nous citons quelques exemples des stratégies utilisées pour contourner la notion d'établissement stable dans le e. commerce. D'abord, les filiales dans l'économie numérique utilisent le statut de commissionnaire pour contourner l'existence d'un ES. En effet, le commissionnaire en tant qu'agent indépendant agit en son nom mais pour le compte de l'entreprise. Le commissionnaire n'est donc pas engagé par les contrats qu'il conclut et par conséquent il ne peut être soumis à impôt puisque les bénéfices réalisés ne l'appartiennent pas34. Le commissionnaire ne constitue pas un ES car il n'est pas lié à l'entreprise. En outre, il peut exister entre les filiales et l'entreprise mère un transfert de risques. C'est-à-dire, lors des transactions, la filiale s'occupera uniquement des démarches et les négociations avec les clients sans conclure des contrats35. Les contrats seront alors conclus par l'entreprise mère qui devra donner son accord. En le faisant, seule l'entreprise mère supporte les risques et la filiale se dédouane pour éviter de payer l'impôt sur le territoire du consommateur. Le contrat et les factures pourront aussi être rédigés dans l'Etat du siège social de l'entreprise, dont celui ayant un système fiscal avantageux. Enfin, la fragmentation des activités entre les différentes filiales permet également de contourner le statut d'ES dans l'Etat de la source des revenus. En effet, en fractionnant le contrat, les entreprises exercent « plusieurs activités complémentaires séparées, dont aucune ne constitue un établissement stable. Si nous regroupons ces activités et si nous les 32Les activités préparatoires sont celles qui précèdent la réalisation de l'activité principale de l'entreprise. Quant aux activités auxiliaires, elles concernent les activités exercées dans le but de soutenir l'activité principale de l'entreprise. 33 Chaima Hadiji, « Notion d'établissement stable : Apport du projet relatif à l'érosion de la base d'imposition et au transfert des bénéfices (BEPS) », Mémoire en vue de l'obtention du Mastère professionnel en droit fiscal et droit du contentieux administratif, Université de Carthage, 2017/2018, p.63. 34 OCDE, « Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d'établissement stable », Action 7 ? Rapport final 2015, op. cit. (Page 21), p.10. 35 Ibid. 23 Première partie : Les problèmes fiscaux posés par l'économie numérique analysons d'une manière globale, nous remarquons que regroupées elles peuvent créer un établissement stable puisqu'elles constituent une opération d'affaire cohérente. »36 Section II : L'économie numérique : un marché sans frontières et sans concurrents Il n'existe plus d'Etats avec internet, l'économie numérique a créé un territoire virtuel qui ne peut être appréhendé par l'administration fiscale. En effet, l'une des particularités de l'économie numérique est la non-localisation des activités numériques (Paragraphe 1) et en tant que marché unique en plein essor, la concurrence est moindre à l'échelle nationale (Paragraphe 2). |
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