La reconnaissance des mouvements rebelles dans la pratique internationale contemporaine( Télécharger le fichier original )par Gabriel MUGISHO Dunia Université Catholique de Bukavu - Licence en droit public interne et international 2012 |
§II. Le cas du M23Officiellement, c'est pour protester contre la non application d'un accord par Kinshasa que cette rébellion a vu le jour. Il s'agit de l'accord du 23 mars 2009 qui donne le nom au groupe rebelle. Le gouvernement congolais n'étant pas prêt à négocier, il entrevoit la possibilité de mettre fin au système CNDP au Nord-Kivu et attaque la nouvelle rébellion. Il faut dire qu'au départ, le M23 n'a que peu de moyens et d'hommes. D'après le groupe d'experts de l'Organisation des Nations unies (ONU), le Rwanda et l'Ouganda auraient apporté leur soutien au M23, ce que les deux pays démentent.73(*) Il s'agit d'un conflit avec des discours donnant à penser que le Rwanda veut absolument une sécession en vue de la naissance d'un nouvel État. Y a-t-il eu reconnaissance ? Voyons de quelle manière, la pratique internationale concevrait la reconnaissance du M23. D'abord les États n'agissent que compte tenu de leurs intérêts. Par ailleurs, ils peuvent aller à des oppositions extrêmes pour renforcer leur souveraineté. Il est alors difficile de conclure vraiment à une reconnaissance au vrai sens telle qu'elle apparaît en Syrie ou en Libye. Cependant, le silence de certains pays qui collaborent directement avec le M23 serait interprété comme un acquiescement de ce mouvement sur la scène internationale. En effet, et comme le souligne à juste titre ANZILOTTI quant à l'importance du silence en la matière, la reconnaissance peut résulter aussi bien des déclarations explicites que des faits concluants (reconnaissance tacite). « La simple manière de se comporter d'un État, y compris, dans des circonstances déterminées, même son seul silence, peut signifier la volonté de reconnaître comme légitime un état de choses donné. »74(*) La pratique internationale récente revêt une dimension surprenante. Regardant de très près les situations qui se déroulent au Nord-Kivu, on se demande si réellement elles ont été reconnues. Comme pour le RCD, on ne sait pas affirmer, contrairement à la Syrie et à la Libye, qu'il y ait eu une reconnaissance des mouvements rebelles. Mais au cas où une telle reconnaissance serait intervenue, sa forme serait silencieuse ou implicite. Les conséquences seraient alors de taille. Le professeur DUPUY a écrit : « Souvent effectuée par voie de déclaration explicite, la reconnaissance peut néanmoins aussi bien résulter d'un comportement à la condition que celui-ci soit clairement imputable aux organes compétents de l'État concerné. »75(*) Le droit positif est donc, là, très éloigné du but fixé à son avancement. L'invitation par le secrétaire général des Nations unies du M23 semble renfermer une ébauche nous permettant de répondre à la question relative à la reconnaissance. Le M23 semble ainsi être admis au bénéfice du droit de la guerre. En droit international, dès lors qu'il n'existe pas d'autorité supra étatique, des situations se déroulent sous l'impulsion des grandes puissances. La reconnaissance quant à elle est subjective. Le professeur Auguste MAMPUYA Kanuk'a-tshiabo, parlant de l'immense territoire du Congo que son inventeur va faire reconnaître comme un État indépendant, distinct du royaume dont il était le roi, nous renseigne sur ce qui suit: « Chacun y reconnaitra une véritable fiction, un État juridiquement virtuel mais que les puissances vont admettre dans le concert des nations, véritable exception à nombre de normes de droit international sur la création et la reconnaissance des États et abandon, temporaire, du droit régissant la colonisation pour appliquer fictivement les normes interétatiques à quelque chose qui n'était un État que par fiction.»76(*) De cela, nous voyons que pour les rebelles du M23, certains peuvent les considérer comme vivants alors que d'autres les reconnaissent comme morts. Cela traduit en quelque sorte les faiblesses du droit international. Cela est bien établi par les principes directeurs applicables aux actes unilatéraux. Mais ces principes ne parlent que des déclarations unilatérales. Ce qui nous pousse à affirmer qu'acte unilatéral et déclaration unilatérale revient au même. La reconnaissance en tant qu'acte autonormateur demeure de l'apanage de ces principes, aucun autre texte ne la régissant en pratique. Sommes toutes, en cette matière comme dans bien d'autres du droit des gens, l'intention de l'État est capitale. Il n'existe pas en effet des modèles autorisés pouvant nous servir de soubassement à l'analyse. Ce qui est sûr ce que l'on ne doit pas méconnaître dans la pratique internationale la valeur qu'a un silence d'un État donné sur une situation donnée. L'auteur ajoute qu'un élément très important en pratique, ainsi que le démontre la jurisprudence, doit être souligné : « Du fait que la reconnaissance peut résulter également d'un comportement, aussi bien passif qu'actif, l'absence de protestation d'un gouvernement face à l'apparition d'une situation de fait ou de droit susceptible d'avoir des incidences sur ses intérêts est la plupart du temps considérée comme un acquiescement à la validité et l'opposabilité de cette situation à son égard, sur lequel il ne saurait revenir. »76(*) La question essentielle est de savoir à quelle condition un mouvement rebelle peut être reconnu. Se déplaçant loin des frontières africaines, dirigeons-nous vers la Chine pour essayer de mieux comprendre la question. En 1949, selon l'histoire, Mao installe le Gouvernement de la République Populaire de Chine à Pékin et TCHANG KAI-CHEK se replie sur Formose avec son gouvernement nationaliste, mais les deux gouvernements prétendent avoir autorité sur toute la Chine. Les pays reconnaitront l'un ou l'autre des gouvernements. Jusqu'en 1971, c'est la CHINE nationaliste qui conserve le siège chinois à l'ONU, donc le droit de véto ; d'où une crise avec l'URSS et sa politique (sachant qu'abstention = véto à l'époque). En 1971, la République Populaire de Chine représente finalement la CHINE à l'ONU (contexte de réchauffements des relations SINO-AMÉRICAINES). ROUSEAU dénie en effet l'acceptation automatique du silence en tant qu'acquiescement tacite, en soulignant que celle-ci ne constituant pas une variété d'acte unilatéral, une modalité particulière d'expression de la volonté unilatérale de l'État, « ne possède-t-il la portée d'un acquiescement tacite que dans certains cas déterminés. »77(*)La révolte de MAO TSE TSUNG avait débuté en une rébellion avant de devenir une insurrection. Mais lorsqu'il a conquis la plus grande partie du territoire en tant que force rebelle, en respectant les coutumes de la guerre, un changement de statut intervenait immédiatement et l'on devait considérer qu'on était en face des belligérants. La distinction s'opérait ainsi entre trois statuts à savoir le statut de rebelles, le statut d'insurgé et le statut propre aux belligérants. La question que nous nous posons maintenant est la raison d'être de la reconnaissance des mouvements rebelles. De là, nous voyons que l'assistance donnée aux rebellions constitue une raison d'être de la reconnaissance des mouvements rebelles. Le M23 a également bénéficié d'une assistance de la part du Rwanda comme le rapport des Nations unies l'indique (Rapport spécial du Secrétaire général sur la République démocratique du Congo et la région des Grands Lacs). On peut en déduire qu'une violation du droit international par ce pays est en effet admise comme une reconnaissance à de tels mouvements d'une personnalité juridique internationale. Celle-ci est un fait acquis du droit international public contemporain, encore que de manière sélective. Il nous semble que quand l'homme est sorti de l'état de nature, il a créé l'État, accédant ainsi à la valeur régulatrice de toute vie en société: le Droit. Et pourtant, en plus, le droit international existe et n'est pas muet face à la violence.78(*)Une telle reconnaissance a été implicite et n'a pas été contestée. Une telle reconnaissance est simplifiée car elle n'est pas très exigeante. Nous pensons cependant qu'une telle reconnaissance serait peu efficace au regard du fait qu'elle est difficilement prouvée. Il n'existe pas un acte expressément émis pour ce type de reconnaissance. La reconnaissance implicite implique tout simplement la manifestation de certains comportements. Nous pensons qu'une telle reconnaissance n'est pas même intervenue en République démocratique du Congo (RDC). Car en effet, on donne souvent l'exemple d'une reconnaissance implicite, l'établissement de relations diplomatiques. Il faut donc au moins l'établissement de certaines relations de grande ampleur. Ce qui n'a pas été le cas pour le M23. Lorsqu'on analyse la situation du M23, on se rend compte qu'une reconnaissance peut n'être qu'implicite. A ce titre, elle peut être émise implicitement de diverses manières. Suivant le Compte rendu analytique de la 2 772 ème séance sur les Actes unilatéraux des États, l'on nous parle que l'Afrique du Sud a entretenu des relations diplomatiques avec la Rhodésie, ce qui impliquait la reconnaissance.79(*) Cette attitude est cependant contrariée par la doctrine. Une telle forme ne doit pas être automatique. Déjà qu'une reconnaissance implicite est difficilement prouvée, une reconnaissance silencieuse est plus compliquée en ce sens qu'elle ne repose sur aucun acte pouvant prouver son existence. D'ailleurs, en droit international, aucun acte n'est imposable à l'État si ce n'est par consentement mutuel. L'exigence de la volonté traduit ipso facto le fait que le silence auquel l'État ne donnerait pas une valeur d'acquiescement ne le serait point. Or, pourtant, la valeur prônée d'un acte illégal ne saurait être admis par l'État en question de peur qu'il ne se salisse. Du point de vue de l'image dont il a besoin, il sera bon pour lui de contester purement et simplement. D'après Charles ROUSSEAU : « Il existe une différence importante entre le droit interne - où le silence équivaut à une manière tacite de volonté dans des cas précis où cet effet a été prévu et déterminé par la loi - et le droit international, où le principe contraire a prévalu en raison de la nature propre des rapports internationaux et de la liberté de choix des États quant au mode de manifestation de leur volonté. »80(*) Pour le cas du M23, le silence des pays voisins ne saurait être déterminant pour être considéré comme manifestation de leur reconnaissance. Pour le Rwanda par exemple, il y a eu protestation de l'implication dans le conflit malgré les différents rapports l'y impliquant. Ainsi, on ne peut pas dire que le Rwanda a reconnu sans prouver en dehors d'un moindre doute qu'il consent à cette affirmation. Alors né l'impossible débat sur la nature juridiquement admise du silence comme source d'obligations étatiques. En définitive, nous pensons que la forme n'étant pas prescrite, il faut toujours se référer aux conditions spécifiques. Chaque cas particulier peut être révélateur ou non d'une acceptation automatique tacite. Il reste que le droit international est dominé par les intérêts à pourvoir. A ce titre, remarquons que la conséquence d'une reconnaissance des mouvements rebelles est le renversement du régime en place. Parfois c'est tout le système qui est visé, parfois c'est le chef de l'État dont on veut le départ qui est visé. Pour ce qui concerne notre pays, la reconnaissance des mouvements rebelles n'aurait qu'une conséquence, la balkanisation. Le préambule des principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de créer des obligations juridiques, insiste aussi sur cette possibilité en ces termes : « La Commission du droit international, relevant que les comportements susceptibles d'engager juridiquement les États peuvent consister en des déclarations formelles ou se traduire par une simple conduite informelle, y compris le silence qu'ils peuvent garder dans certaines situations, sur lesquelles les autres États peuvent raisonnablement tabler.»81(*) Avant de conclure ce travail, il sied de rappeler que la reconnaissance des mouvements rebelles est nouvelle. Il convient donc d'en rechercher une définition. En tant que penseur, nous proposons la définition suivante : La reconnaissance des mouvements rebelles est l'acte par lequel un État déclare son intention de reconnaître comme entité, si elles s'opposent à un régime policier, de personnes qui se constituent en révolution et résistent à un gouvernement hostile à leurs droits. * 73Revue de presse N° 87 (politique), Kinshasa, 06 mai 2013, p. 3. * 74ANZILOTTI, op.cit., p. 348. * 75 P. M. DUPUY, op.cit., p. 342. * 87 J.-P. SEGIHOBE, Le Congo en droit international : Essai historique agonistique d'un État multinational, Bruxelles, P. U.R., 2011, p. VI. * 76P. M. DUPUY, op.cit., p. 33. * 77 C. ROUSSEAU, op.cit., p. 430. * 78M. KIMONYO, « La Crise dans la sous-région des grands lacs: quand les protagonistes tournent le dos au droit », inL'Afrique des grands lacs, Annuaire 2003-2004, p. 1. * 79Compte rendu analytique des 2 772 ème séances sur les Actes unilatéraux des États, Extrait de l'Annuaire de la CDI, 2003, vol. I, p. 152, disponible sur Http: //www.un.org / Law / ilc /index.htm, consulté le 11 /08 /2013, 13 :58 : 57. * 80 C. ROUSSEAU, op.cit., p. 430. * 81 E. DAVID, S. VAN ASSCHE, op.cit., p. 491. |
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