CONCLUSION DEUXIÈME PARTIE
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La protection des actionnaires contre les actes de gestion des
administrateurs et ceux de contrôle des commissaires aux comptes met en
exergue des moyens de détection précoce des difficultés
auxquelles ces derniers peuvent faire face, ainsi que ceux consécutifs
aux investigations opérées dans le cadre de la surveillance de la
gestion.
Nombre des ces mesures permettent ainsi aux actionnaires de
défendre avec plus ou moins d'efficacité leurs
intérêts une fois que ceux-ci sont menacés. Mais,
l'étude de ces mécanismes, aura révélé
combien il est en réalité périlleux de parvenir à
des résultats efficients. D'ailleurs, pour certains actionnaires, c'est
un véritable périple que de pouvoir engager des actions en
justice contre les pourfendeurs de leurs droits, soit parce qu'ils n'en n'ont
pas les moyens, soit parce qu'il leur est matériellement impossible de
rapporter la preuve du préjudice par eux subi. De la même
manière que, une fois engagée, l'issue de l'action en justice
reste incertaine. De plus, même lorsque la décision de justice
leur est favorable, le rétablissement dans leurs droits se trouve
compromis par l'insolvabilité des personnes condamnées.
C'est la raison pour laquelle, à notre sens, des
mesures telles que, l'admission d'une responsabilité sans faute,
l'obligation de souscription d'une assurance professionnelle par certains
acteurs sociaux, et bien d'autres, seraient de nature à renforcer cette
protection.
A l'issue de notre analyse, force est de constater que
sécuriser effectivement et efficacement les intérêts des
investisseurs des sociétés commerciales, notamment ceux des
actionnaires dans l'espace OHADA, est un objectif déclaré. Mais
le législateur OHADA, pouvait-il seulement agir autrement, à un
moment où l'Afrique se trouve confrontée aux impératifs
économiques mondiaux et qui, pour y faire face, doit agir de concert par
le truchement des regroupements régionaux, ultime solution et
réaction au phénomène inévitable et
irréversible de la mondialisation économique ou globalisation
financière306, la mondialisation de l'économie
exigeant l'harmonisation des droits et des pratiques du droit307
?
En effet, la succession des crises financières et les
incertitudes que reflète le débat récurrent sur la
pertinence des normes comptables, mais surtout la recherche du mode
idéal de gouvernance des sociétés, placent la protection
de l'actionnaire au centre d'un débat économique et juridique
fondamental. L'actionnaire dans une société cotée, est en
effet, en droit de savoir de quelles protections il dispose lorsqu'il investit.
Ce qui n'est pas toujours le cas, compte tenu de la complexité
croissante du droit applicable.
A ce titre et au terme de notre analyse, on a pu retrouver
cette volonté protectionniste du législateur communautaire
africain à travers la consécration d'un important arsenal
juridique dans différents Actes uniformes mais principalement dans celui
relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement
d'intérêt économique. Ainsi, de la sauvegarde des droits
des actionnaires au sein des assemblées générales,
à savoir l'exercice des droits politiques et la garantie des droits
financiers assortis de sanctions telles l'annulation des actes passés en
violation de ces
306 Il faut dire que la mondialisation économique ou
globalisation financière a pour principal effet de favoriser la
liberté de commerce, notamment la conduite des transactions commerciales
au-delà des frontières nationales et internationales en exigeant
la levée des barrières douanières et tarifaires, sinon
leur amoindrissement selon les termes et exigences même de l'Organisation
Mondiale du Commerce (OMC).
307 M. Aregba Polo, Secrétaire permanent de l'OHADA, au
cours d'un exposé au Séminaire de sensibilisation au droit
harmonisé, Niamey, les 9 et 10 juin 1999.
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droits sans préjudice d'action en responsabilité
tributaire d'un abus à une protection contre les actes de gestion
sociaux fautifs, le dessein du législateur est fort clair et louable.
Seulement, il faut dire qu'entre cet objectif
déclaré et une protection réelle, beaucoup reste à
parfaire. En effet, cette étude nous aura permis de constater que
l'entreprise du législateur de sécurisation des investissements
est inachevée, ou tout au moins n'est pas exempte de reproches. Aussi,
les intérêts des actionnaires sont sans cesse en proie à de
nombreuses difficultés et imperfections nonobstant les mesures
sécuritaires en place: difficultés de déclenchement d'une
action en justice, isolement des actionnaires, absence de détermination
de certaines responsabilités, insolvabilité des personnes
condamnées à dédommager leurs victimes... Bref, les
obstacles sont considérables.
Face à ces lacunes, on ne peut s'empêcher de
signaler l'action importante que mène actuellement la jurisprudence
africaine dans ses efforts de création du droit, par son oeuvre
d'interprétation et d'application du droit là où
subsistent des points d'ombre. En effet, à ce jour, nombre de
juridictions des Etats parties au Traité OHADA ont eu à se
prononcer au moins chacune sur les questions de désignation d'un expert
comptable ou de nomination d'un administrateur provisoire308 ; de
constatation d'un abus de majorité, de minorité ou d'une
mésentente309; d'établissement de la
responsabilité d'un dirigeant social310 ou d'un commissaire
aux comptes ; admission de nullités avec la plus grande
circonspection311 ; admission d'une association
d'actionnaire312, etc.
Au total, la protection des actionnaires telle
qu'organisée en droit OHADA nous semble satisfaisante. Mais une question
nous vient à l'esprit : cette protection, garantit- elle à tous
les actionnaires satisfaction totale ? C'est dans la négative et la
recherche d'une modernisation achevée du droit des affaires en Afrique
que nous nous sommes permis de formuler quelques suggestions. Conscients du
déséquilibre qui prévaut dans les sociétés
commerciales, une première mesure aura consisté à plaider
pour le renforcement de la notion de gouvernement d'entreprises ou
«corporate governance » ; l'effectivité du rôle
de certains organismes sociaux, afin de permettre à tous les
actionnaires de participer effectivement à la gestion de la chose
sociale, au processus décisionnel et éviter des
mésententes. Il nous a paru tout
308 Cour d'Appel de Cotonou, arrêt n° 256/2000 du 17
août 2000, RG N° 314/2000.
309 Cour d'Appel d'Abidjan, Chambre civile et commerciale,
audience du vendredi 25 février 2000.
310 CCJA arrêt n° 015/ 2005 du 24 février 2005,
Affaire ANGOUA KOFFI Maurice contre la Société WIN Sarl,
Conditions : faute et préjudice, Droit à l'information.
311 Cour d'Appel d'Abidjan, n° 688 du 25 juin 2004.
312 Tribunal Régional Hors Classe de Dakar, Ordonnance des
référés n° 235 du 1er mars 1998, club des
actionnaires c/ la SONATEL.
aussi important de suggérer la consécration
expresse des associations d'actionnaires face à une certaine
passivité de ces derniers ; l'obligation de souscription d'une assurance
par les dirigeants et les commissaires aux comptes et, l'évolution vers
une responsabilité fondée sur le risque dans l'optique d'une
indemnisation complète et intégrale en cas de préjudice
subi par l'actionnaire.
Par ailleurs, la prise en compte en droit OHADA des nouvelles
technologies de l'information et de la communication permettrait aux
actionnaires de participer efficacement au processus décisionnel bien
qu'étant physiquement absents.
A ce stade, la grande question que l'on est en droit de se
poser est celle de savoir si une protection des actionnaires, aussi effective
et efficace qu'elle puisse être, serait gage d'un accroissement
d'investissements des étrangers, et partant, d'emplois. En d'autres
termes, ne peut-on pas envisager un système de protection qui
permettrait d'inciter les nationaux à plus d'investissements dans leur
propre pays, tout en restant salariés, dans une entreprise dans laquelle
ils seraient actionnaires ?
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ANNEXE 1 : Jurisprudence OHADA - Cameroun
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