B- L'exercice de l'alerte
En présence d'un risque sérieux de cessation
d'exploitation et donc de mise en redressement ou de liquidation judiciaires,
l'Acte Uniforme met désormais à la charge du commissaire aux
comptes un devoir supplémentaire : celui d'alerter les dirigeants. Mais
les actionnaires ont aussi la faculté de déclencher l'alerte
lorsque les circonstances s'y prêtent. La mise en oeuvre de l'alerte
varie pour ainsi dire selon qu'elle doit être déclenchée
par le commissaire aux comptes (1) ou par les actionnaires (3). Dans tous les
cas, la responsabilité du commissaire aux comptes peut être mise
en cause durant la procédure (2).
1-Conduite de l'alerte par le commissaire aux
comptes
Le devoir d'alerte est organisé par les articles 153
à 156 de l'Acte Uniforme. Il est à noter que pour être
efficace, celle-ci doit demeurer confidentielle aussi longtemps que possible.
Mais elle doit aussi, le cas échéant, aboutir à la
révélation des difficultés à d'autres dirigeants
afin que la résistance puisse s'organiser en dépit de leur
aveuglement ou de leur mauvaise volonté. Habituellement, le commissaire
commence par prendre contact oralement avec le dirigeant de l'entreprise. Si ce
préalable officieux, parfois dénommé phase
0216, se révèle inefficace, il passe alors à
l'alerte proprement dite qui comprend trois phases217.
a) La demande d'explication
Dans cette phase, le commissaire aux comptes demande par
lettre au porteur contre récépissé ou par lettre
recommandée avec demande d'avis de réception, des explications au
président du conseil d'administration ou président-directeur
général selon le cas, sur tout fait de nature à
compromettre la continuité de l'exploitation qu'il
215 POUGOUE (P.G.), ANOUKAHA (F.) et NGUEBOU TOUKAM (J.), op.
cit., note de bas de page n°47, p. 85.
216 GUYON Y. Entreprises en difficultés, Redressement
judiciaire-faillite, op. cit., n 1053, p. 56.
217 A la lecture des textes français, ces phases sont
plutôt au nombre de quartre.En effet, si au demeurant les
décisions prises en assemblées ne permettent pas d'assurer la
continuité de l'exploitation, le commissaire saisit le président
du tribunal de commerce, qui place la société en observation,
d'après la loi du 10 juin 1994 L.1984, art. 34
73
a relevé lors de l'examen des documents qui lui sont
communiqués, ou dont il a eu connaissance à l'occasion de
l'exercice de sa mission.
L'autorité concernée est tenue de
répondre par le même procédé dans le mois qui suit
la réception de la demande d'explication. Dans sa réponse, elle
donne une analyse de la situation et précise, le cas
échéant, les mesures envisagées218.
Il y a lieu de souligner qu'à ce stade, la
procédure d'alerte est confidentielle. Si le commissaire reçoit,
dans le mois qui suit la réception de la demande d'explication, des
réponses qu'il juge satisfaisantes, notamment si les dirigeants
envisagent des mesures de redressement, les choses en restent là. S'il
n'y a pas de réponse ou si le commissaire estime que celle-ci ne suffit
pas à faire disparaître la menace de cessation d'activité,
il passe au stade suivant. Cependant, il peut se poser la question d'une
appréciation subjective des réponses des dirigeants par le
commissaire aux comptes. En d'autres termes, qui est garant de
l'appréciation laissée à l'entière disposition de
ce dernier, car il pourrait en faire un usage aux finalités
inavouées ? A notre sens, il serait opportun que le commissaire
communique à l'assemblée générale des actionnaires
les réponses qu'il obtient des dirigeants afin qu'en cas
d'appréciation purement subjective, celle-ci puisse réagir.
b) Provocation d'une
délibération
Il s'agit de la deuxième phase dans l'exercice de
l'alerte. Ici, le commissaire aux comptes est amené à provoquer
une délibération du conseil d'administration qui doit se
prononcer sur les faits relevés219.
L'invitation du commissaire est formée par lettre au
porteur contre récépissé ou par lettre recommandée
avec demande d'avis de réception dans les quinze jours qui suivent la
réception de la réponse du président du conseil
d'administration, du président-directeur général ou de
l'administrateur général, selon le cas, ou la constatation de
l'absence de réponse dans les délais
prévus220.
Enfin, dans les quinze jours qui suivent la réception
de la lettre du commissaire aux comptes, le président du conseil
d'administration ou le présidentdirecteur général convoque
le conseil d'administration, en vue de faire délibérer sur les
faits relevés, dans le mois qui suit la réception de cette
lettre. Le commissaire est convoqué à la séance du
conseil. Lorsque l'administration et la direction générale de
218 POUGOUE P.G., ANOUKAHA F. et NGUEBOU TOUKAM J., op.cit., n
194, p.84. V. aussi art. 154 AUSC.
219 La procédure n'est donc plus véritablement
confidentielle.
220 Cf. art. 155 AUSC.
la société sont assurées par un
administrateur général, celui-ci, dans les mêmes
délais, convoque le commissaire à la séance au cours de
laquelle il se prononce sur les faits relevés. Un extrait du
procès-verbal des délibérations du conseil ou de
l'administrateur général est adressé au commissaire dans
le mois qui suit la délibération du conseil ou de
l'administrateur général.
Toutefois, ces prescriptions peuvent souffrir d'une
méconnaissance ou inobservation de la part des autorités
concernées. Il appartiendra alors au commissaire de prendre d'autres
mesures.
c) L'établissement d'un rapport spécial
à la destination des actionnaires
En cas d'inobservation des dispositions prévues ou si
la continuité de l'exploitation reste compromise en dépit des
décisions prises, le commissaire aux comptes établit un rapport
spécial destiné aux actionnaires, et présenté
à la prochaine assemblée générale ou, en cas
d'urgence, à une assemblée générale des
actionnaires qu'il convoque lui-même pour soumettre ses conclusions,
après avoir vainement requis sa convocation du conseil d'administration
ou de l'administrateur général par lettre au porteur contre
récépissé ou par lettre recommandée avec demande
d'avis de réception. A ce niveau, force est de signaler l'impact d'une
telle convocation. En effet, les difficultés de l'entreprise sont alors
portées sur la place publique, car il est presqu'impossible de ne pas
mettre le tiers au courant de la réunion de l'assemblée
générale, et les actionnaires ne sont astreints à aucune
obligation de discrétion.
Lorsque le commissaire procède à cette
convocation, il fixe l'ordre du jour et peut, pour des motifs
déterminants, choisir un lieu de réunion autre que celui
éventuellement prévu par les statuts. Il expose les motifs de la
convocation dans un rapport lu à l'assemblée221.
Il convient de remarquer que le devoir d'alerte qui incombe au
commissaire aux comptes le conduit à faire apprécier la gestion
de la société. Il y a là une dérive de ses
fonctions de contrôle des comptes vers la surveillance de la
gestion222.C'est ce qui explique que l'importance de sa mission
implique que sa responsabilité civile puisse être engagée,
celle des dirigeants n'étant pas en reste.
2-Responsabilité du commissaire et des
dirigeants
221 Cf. art. 156 AUSC in fine.
222 POUGOUE P.G., ANOUKAHA F. et NGUEBOU TOUKAM J., op. cit., n
194, p 84.
75
L'obligation faite au commissaire aux comptes de
déclencher l'alerte est susceptible d'entraîner sa
responsabilité en cas d'inobservation des dispositions prévues.
Aussi, ce dernier engage-t-il sa responsabilité envers tous ceux qui
subissent les conséquences de l'ouverture du redressement judiciaire,
lorsqu'il n'a pas déclenché l'alerte en temps utile. Cependant,
n'étant tenu que d'une obligation de moyens en principe, les
actionnaires devront prouver sa faute et le lien de causalité qui unit
celle-ci au dommage qu'ils ont subi. Il s'agit là d'une hypothèse
relativement simple.
La situation devient plus complexe lorsque le commissaire a
mis en mouvement cette procédure. Aussi, l'art.725 AUSC223lui
confère-t-il une certaine immunité dans l'exercice de sa mission
d'alerte. L'alinéa 2 de cet article prévoit en effet, que la
responsabilité du commissaire ne peut être engagée pour les
informations ou divulgations de faits auxquels il procède en
exécution de sa mission, conformément à l'art. 153 AUSC
précité.
L'immunité s'explique également, et c'est
là qu'elle présente son véritable intérêt,
lorsque le commissaire a déclenché l'alerte alors que la
continuité de l'exploitation n'était pas réellement
compromise224. Toutefois, par application du droit commun, ce
dernier commettrait une faute génératrice de
responsabilité civile et justifiant son relèvement judiciaire,
s'il ouvrait cette procédure de mauvaise foi, contre une
société dont il ne pouvait pas ignorer la
prospérité225. Il en irait sans doute de même
s'il commettait une faute lourde, assimilable au dol dans l'appréciation
du caractère préoccupant de la situation sociale.
L'on est donc fondé à en déduire que,
nonobstant la protection offerte au commissaire par l'art. 725 AUSC, le devoir
d'alerte risque d'aggraver sa responsabilité, et par voie de
conséquence, accroitre la sécurité des actionnaires.
Quant aux dirigeants, ceux-ci engagent leur
responsabilité dans les termes du droit commun lorsqu'ils ne donnent pas
une suite satisfaisante à l'alerte déclenchée. Reste
à présent à savoir de quelle manière les
actionnaires eux-mêmes mettent en marche la procédure d'alerte.
3-Procédure de déclenchement de l'alerte
par les actionnaires
223 Cf. aussi art. 234 de la loi française de 1966
224 GUYON Y., Entreprises en difficultés- Redressement
judiciaire-Faillite, op.cit., n 1054, p. 58. 195 Com. 14 nov. 1995, Bull. civ.
n 264, p. 243.
La conduite de la procédure d'alerte par les actionnaires
est organisée par l'Acte uniforme. A la lecture de ce texte, un seul
mécanisme est prévu.
Aussi, conformément à l'art. 158 de l'Acte
uniforme, tout actionnaire peut, deux fois par exercice, poser des questions au
président du conseil d'administration, au président-directeur
général ou à l'administrateur général, selon
le cas, sur tout fait de nature à compromettre la continuité de
l'exploitation, dans les sociétés anonymes. La réponse est
communiquée au commissaire aux comptes. Le dirigeant social
répond par écrit, dans un délai d'un mois, aux questions
posées. Dans le même délai, il adresse copie de la question
et de sa réponse au commissaire aux comptes.
Il est à noter que, contrairement à la conduite
de l'alerte dans les sociétés autres que les
sociétés anonymes où les questions doivent
nécessairement être écrites226, le
législateur semble ne pas mettre un accent particulier sur la forme que
devront prendre les questions dans les sociétés anonymes. Seul
l'alinéa 2 in fine de l'art. 158 de l'AUSC nous permet de soutenir que
ces questions devront être écrites. Mais l'on ne peut
s'empêcher de s'interroger sur l'opportunité des questions orales,
qui à notre avis, paraissent plus pratiques et diligentes227,
même si l'on pourrait leur reprocher un manque de discrétion sur
la situation de l'entreprise.
Une lecture attentive de l'Acte uniforme conduit à
inférer que les questions ne seront posées qu'à l'occasion
des assemblées générales, c'est-à-dire deux fois
par an, alors que la situation de l'entreprise commanderait une réaction
prompte au regard de la situation sensible. C'est dire que la
possibilité offerte aux actionnaires de poser des questions aux
dirigeants, si elle est salutaire, reste lacunaire comme bien d'autres mesures,
qui se dressent contre une véritable protection des actionnaires.
Mais l'on ne saurait en même temps éluder le fait
que, à l'opposé du droit français, le droit OHADA semble
ne pas soumettre l'exercice de cette mesure à la détention d'une
quelconque portion du capital.
Quoiqu'il en soit, l'exercice d'actions précoces -
juridictionnelles ou non-conduit généralement à la
découverte de nombreuses fautes commises soit dans la gestion, soit dans
le contrôle de la société commerciale. Ces dernières
seront alors sanctionnées aux moyens d'actions en responsabilités
contre les différents contrevenants.
|