A- Les détenteurs de l'exercice de l'alerte
L'Acte uniforme met le devoir d'alerte à la charge des
commissaires aux comptes (1). Mais elle peut tout aussi bien être
initiée par les actionnaires (2).
1- Le devoir d'alerte du commissaire aux
comptes
Lors de l'exercice de sa mission, le commissaire aux comptes
doit être tenu informé de tout fait de nature à
compromettre la continuité de l'exploitation de l'entreprise. Il est
alors tenu de déclencher une alerte lorsqu'il constate des faits
compromettants pour la société204. Il est important de
souligner que seul nous interpelle dans ce cadre le commissaire de la
société de capitaux et donc de la SA205. Le devoir
d'alerte du commissaire des sociétés anonymes est alors
organisé par les
200 POUGOUE (P.G.), ANOUKAHA (F.), NGUEBOU TOUKAM (J.), CISSE
(A.), DIOUF (N.) et SAMB (M.), op. cit., n° 331, p. ? Cette disposition
nouvelle a été manifestement calquée sur l'art. L.225-232
du
code de commerce français.
201 GUYON (Y.), Droit des affaires, Entreprises en
difficultés, 6e éd., tome 2, Economica, 1997, n°
1050, p. 54.
202 PEROCHON (F.), op. cit., n° 22, p. 13.
203 N° spéc. R.J.C., févr. 1986, p. 140,
cité par PEROCHON (F.), op. cit., ibidem.
204 Cf. art. 153 AUSC.
205 L'alerte peut être également
déclenchée par le commissaire aux comptes dans les
sociétés autres que la société anonyme.
articles 153 à 156 de l'AUSC. Mais que faut-il entendre
par la notion de ((faits de nature à compromettre la
continuité de l'exploitation », car le législateur
OHADA n'en donne aucune définition? En effet, si la notion de ((
continuité de l'exploitation» est connue dans le domaine
comptable, sa définition juridique devrait couvrir un champ plus
large.
Cette expression s'inspire manifestement de la terminologie
anglaise ((going concern »206 . Elle n'est pas très
juridique et laisse place à une marge d'appréciation non
négligeable car si le commissaire n'est pas un prophète, il ne
doit pas non plus être un aveugle. Il y a lieu d'observer donc qu'il
appartiendra à la jurisprudence une fois de plus, de préciser la
notion207.
La mise en évidence de critères
défavorables à la continuité d'exploitation peut
résulter à la fois des comptes annuels de l'exercice et des
exercices précédents, mais aussi d'évènements
postérieurs à la date de clôture ou d'arrêt des
comptes, voire des données prévisionnelles de l'entreprise et de
son secteur d'activité. Cependant, les précisions suivantes
peuvent être données208 :
- L'utilisation du pluriel (des faits) montre que l'alerte ne
doit être déclenchée qu'en présence d'un ensemble
convergent de faits significatifs. En effet, un fait préoccupant peut
être contrebalancé par un sens contraire favorable. Le
déclenchement de l'alerte serait alors inutile;
- Les faits doivent être de nature à provoquer
une cessation des paiements, si aucune mesure de redressement n'est prise en
temps utile. Pratiquement, l'alerte doit être donnée lorsqu'il y a
une rupture de l équilibre des flux financiers, c'est-à-dire
lorsque les recettes normalement prévisibles ne permettent pas de
régler les dettes qui vont venir à échéance dans un
avenir relativement proche. Mais, bien entendu, l'alerte suppose que la
cessation des paiements n'est pas encore intervenue et peut être
évitée, car qui dit alerte dit organisation de la
résistance et non constatation de la défaite. L'alerte doit
notamment être déclenchée en cas d'altération des
conditions de l'exploitation209, de dégradation de la
situation financière, de perte de la confiance de tiers210,
lesquels n'ont pas nécessairement un aspect comptable ou financier.
- Les faits préoccupants ne doivent pas avoir
donné lieu à une réaction appropriée des
dirigeants, car l'alerte a pour objet de stimuler leur diligence ou, le cas
échéant, de constater leur carence ;
206 GUYON (Y.), op. cit., n° 1052, p. 55.
207 FENEON (A.), op. cit., p. 158.
208 PAILLUSSEAU et PETITEAU, Difficultés des entreprises,
cités par GUYON (Y.), op. cit., ibidem.
209 Résultat déficitaire, accroissement excessif
des charges, baisse anormale d'activité.
210 Suppression d'un soutien financier, perte d'un client
important.
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- Enfin, les faits doivent avoir été relevés
par le commissaire à l'occasion de l'exercice de sa mission.
Par ailleurs, peuvent être considérés comme
faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation
sans que cette liste soit limitative211 :
- La décision d'une société mère de
supprimer son soutien à une filiale ; - Des conflits sociaux graves et
répétés ;
- L'existence de désaccord entre actionnaires.
Le devoir d'alerte du commissaire n'est pas
général. En effet, ce dernier ne doit pas s'immiscer dans la
gestion. Il ne doit pas déclencher cette procédure si les
dirigeants prennent des décisions inopportunes sans pour autant
compromettre la stabilité de l'entreprise. Ce qui le met donc dans une
situation inconfortable.
2- Le droit d'alerte des actionnaires
Les actionnaires sont les parents pauvres de la
prévention des difficultés212, ce qui est assez
étonnant car ils ont un intérêt certain à la bonne
marche de la société. Le droit d'alerte des actionnaires de la
société anonyme est prévu à l'art. 158 de l'AUSC,
qui en organise les modalités d'exercice. Signalons qu'il s'agit ici des
actionnaires qui ne sont pas de la direction, car il serait
hérétique voire aberrant de
penser qu'un actionnaire dirigeant ignore les
évènements pouvant mettre en mal le fonctionnement de
l'entreprise et de nature à conduire au dépôt de son
bilan.
A notre sens, cette faculté offerte aux actionnaires
devrait se muer en une véritable obligation, car elle serait de nature
favorable à l'apathie et aux éventuels abus de la part de
certains groupes d'actionnaires. Les actionnaires majoritaires, par exemple
n'auraient aucun intérêt à déclencher une alerte en
présence de faits compromettant la continuité de l'exploitation
qu'ils auraient eux-mêmes provoqués. Le devoir de
déclencher l'alerte en pareilles circonstances aurait alors pour
finalité de sanctionner leur abstention coupable, au même titre
que celle du commissaire aux comptes, et de voir éventuellement leur
responsabilité engagée au besoin.
Signalons par ailleurs que la faculté de
déclencher l'alerte est dans d'autres législations confiée
au comité d'entreprise213, et même au président
du tribunal de commerce214, qui peut convoquer les dirigeants
lorsque des actes, documents ou
211 FENEON (A.), op. cit., p. 159.
212 GUYON (Y.), op. cit., n° 1058, p. 61.
213 Cf. art. L. 432-5 du Code du travail français.
214 Cf. art. 34 nouveau de la loi du 1er mars 1984
modifiée par la loi du 10 juin 1994.
procédures font apparaître qu'existent des
difficultés de nature à compromettre la continuité de
l'exploitation215.
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