SECTION II- LES MESURES CORRECTRICES
Si l'on admet que l'absence de vote par correspondance et
l'indifférence des TIC constituent des obstacles à une protection
efficiente, une première mesure palliative devrait être la prise
en compte de ces anomalies de telle enseigne que l'internet161
puisse conduire dans les pays membres, à la construction d'une
société commerciale de l'information et du renforcement du
contrôle actionnarial du pouvoir.
Au-delà de ces premières mesures, il en existe
de plus optimales, à savoir, la question des associations d'actionnaires
l'opportunité d'un marché des droits de vote (§1), ainsi que
l'effectivité du rôle des organes de contrôle et des
assemblées (§2).
§1- LA QUESTION DES ASSOCIATIONS D'ACTIONNAIRES ET
LA CREATION D'UN MARCHE DE DROITS DE VOTE
A une époque où le monde est frappé par
une crise financière sans précédent et où la crise
économique refait surface, il n'est pas toujours aisé pour les
actionnaires d'agir séparément pour la défense de leurs
intérêts sans cesse en péril. D'où la
nécessité pour ces derniers de trouver des cadres de
regroupements pour la défense de leurs intérêts collectifs
(A). Un autre point d'intérêt peut tout aussi consister en la
dissociation du droit de vote de l'action (B).
A- La question des associations d'actions
d'actionnaires
Si l'on peut rétorquer d'emblée que la question
ne s'est pas encore posée dans l'espace OHADA, cela n'enlève rien
à la pertinence d'un tel regroupement devant favoriser l'expression
complète des droits des actionnaires.
Historiquement, les associations ont une origine contentieuse.
Elles se sont constituées pour défendre les intérêts
des porteurs d'actions ou d'autres catégories de titres sous forme
d'associations de défense162. La pratique prend naissance aux
Etats unis et s'étend en France où elle constitue un mode de
protection de la minorité.
161 Jadis un bien élitiste, est passé à
une échelle de grande consommation. Cette origine ancienne est
liée aux emprunts internationaux émis pour financer de grands
travaux, à l'occasion desquels les porteurs de titres non
remboursés se sont regroupés pour une meilleure
représentation de leurs intérêts auprès des pouvoirs
publics.
162 Cette origine ancienne est liée aux emprunts
internationaux émis pour financer de grands travaux, à l'occasion
desquels les porteurs de titres non remboursés se sont regroupés
pour une meilleure représentation de leurs intérêts
auprès des pouvoirs publics.
53
Pourtant, si cette pratique est clairement consacrée
par la législation française dont s'est fortement inspirée
la législation de l'OHADA, il est à notre sens assez
incompréhensible qu'elle n'ait pu trouver application dans cette
dernière au regard de ses nombreux atouts. En effet, les associations
agissent plus facilement que les actionnaires pris individuellement et
constituent un sérieux contrepoids aux abus divers.
En l'absence d'une consécration expresse du
législateur OHADA de cette pratique, la lecture de certaines
dispositions de l'Acte uniforme163renvoyant vaguement à la
possibilité de se réunir sans qu'aucune mention ne soit
élaborée sur une forme juridique quelconque de cette
collaboration, il revenait à la jurisprudence de se prononcer.
Après quelques moments d'hésitation et
d'hostilité164, elle a fini par se raviser et a
suppléé le législateur, notamment dans l'affaire le
«club des actionnaires de la SONATEL
»165oÜ, passant outre les questions de fond, la
juridiction présidentielle a déclaré recevable l'action de
l'association susmentionnée après avoir précisé les
conditions que doit remplir une association d'actionnaires pour être
justiciable. Le juge décide en ces termes : « L'action
initiée par les actionnaires d'une société,
regroupés au sein d'une association ayant satisfait à toutes les
exigences légales, dénommée club des actionnaires, doit
être déclarée recevable ».
L'on retiendra de cette décision que la question de la
recevabilité de l'action d'une association d'actionnaires dans l'espace
OHADA ayant satisfait aux exigences légales semble désormais
acquise. Reste cependant que les conditions de constitution de ces associations
sont assez contraignantes, pourtant le recours à cette dernière
présente un intérêt certain. Le législateur devra
par conséquent assouplir les conditions de constitution de ces
associations166.
On ne peut toutefois occulter le fait que les associations
d'actionnaires doivent être admises avec prudence et circonspection : il
n'est pas question de retomber dans les abus constatés aux Etats
unis167. Il est aussi question d'éviter en même temps
les
163 D'après l'art. 159 dudit Acte << Un ou
plusieurs associés peuvent (...) soit en se regroupant sous quelque
forme que ce soit », et l'art. 548 consacre la possibilité de
regroupement de plusieurs actionnaires pour atteindre un minimum prévu
par les statuts, notamment lorsque ceux-ci exigent un nombre minimal d'actions
pour ouvrir le droit de participer aux assemblées
générales ordinaires.
164 Il faut dire, en effet, que la jurisprudence africaine
faisait montre d'une hostilité particulière face à cette
mesure, surtout en l'absence d'une consécration expresse par les
textes.
165 Dans cette espèce, les actionnaires réunis
au sein d'une association, le <<club des actionnaires de la SONATEL
(Société nationale des Télécommunications) »,
ont saisi le juge des référés afin d'ordonner à la
SONATEL la communication de l'état certifié par les Commissaires
aux comptes des rémunérations des dix (10) dirigeants sociaux et
salariés les mieux rémunérés, la mise en harmonie
des statuts et enfin l'ouverture des négociations en vue de
désigner le représentant du groupe de petits porteurs au conseil
d'administration.
166 En France, en raison des scandales financiers, il suffit
aujourd'hui qu'une association soit composée de deux cents membres au
lieu de mille pour qu'elle puisse agir en justice et l'agrément est
facilité puisque la condition d'ancienneté est portée de
deux ans à six mois.
167 L'admission large de cette faculté avait, en effet,
donné lieu à des chantages et à des actions en justice
abusives.
chantages et poursuites excessives qui dissuadent les
dirigeants de prendre le moindre risque tout en stimulant les organes de
contrôle et des assemblées d'actionnaires à plus de
ténacité dans leurs rôles respectifs.
B- Les avantages d'une dissociation du droit de vote de
l'action : l'institution d'un marché des droits de vote
C'est une lapalissade que de dire que nombre d'actionnaires
n'ont pas le temps nécessaire encore moins le désir de
s'intéresser à la bonne marche l'entreprise dans laquelle ils ont
fait des placements. Ils n'attendent que la fin des exercices pour
prétendre à quelques droits, notamment aspirer aux dividendes ou
au partage des bénéfices réalisés par la
société. Or, le contrôle de la gestion de la
société peut présenter d'énormes
intérêts sur la consistance des droits financiers à
repartir entre tous les actionnaires en fin d'exercice.
Il est alors indiqué, pour les actionnaires qui
n'entendent pas avoir un droit de regard sur la société, de
pouvoir céder leurs droits politiques et conserver ceux financiers,
même si à priori, l'on pourrait se demander quel est la substance
d'un droit de vote sans action. A notre sens, il faut créer un
véritable marché des droits de vote, lequel pourra opérer
une dissociation entre le droit de vote à céder par
l'actionnaire, de l'action conservée par ce dernier, afin de tirer tous
les avantages liés à cette prérogative. De façon
concrète, il sera question de confier à certains actionnaires qui
en éprouvent le besoin ou qui émettent le souhait d'assurer le
contrôle des actes sociaux, un véritable droit de contrôle,
assorti au besoin d'une contrepartie due par le cédant du droit. Cela
participera en tout état de cause, à renforcer le rôle de
certains organes sociaux qui on progressivement abandonné leur
rôle au sein de la société.
§2- L'EFFECTIVITE DU ROLE DES ORGANES
SOCIAUX
Il s'agit en réalité, du grand débat du
gouvernement d'entreprise. En effet, pour une protection effective et efficace
des actionnaires, il est important de souligner que certains organes sociaux,
notamment les organes de délibération et de contrôle, dont
le rôle est de garantir la sécurité à la fois des
actionnaires et de la société, se sont montrés
défaillants et ont progressivement abandonné leurs missions -
volontairement ou par complaisance-.
55
S'agissant d'abord des organes délibérants, il
n'est point permis de douter que l'assemblée générale est
un organe souverain ; elle est l'organe supérieur de la
société, à s'en tenir aux principes168.
Seulement, on assiste aujourd'hui à sa décadence; sa fonction
s'est considérablement usurpée. TUNC169faisait
déjà remarquer l'inefficacité de l'assemblée des
actionnaires. Pour un souverain, c'est un Roi fainéant, poursuit
l'auteur, puisqu'il ne travaille que quelques heures par an. A l'analyse donc,
la prééminence de l'assemblée est plus théorique
qu'effective.
Il nous est permis de penser que, pour reprendre ses lettres
de noblesse, l'organe délibérant doit prendre à bras le
corps ses fonctions et les exercer dans l'intérêt aussi bien de la
société que dans celui des actionnaires.
Quant aux organes de contrôle, hormis le fait que les
actionnaires exercent déjà dans la société un
contrôle, il est question de s'arrêter sur celui exercé par
un organe externe tenu de conduire sa mission indépendamment des
assemblées générales et des dirigeants sociaux.
Malheureusement, les commissaires aux comptes, puisqu'il s'agit d'eux, ont
très souvent fermé les yeux sur les multiples malversations
financières dont se rendent fréquemment coupables les dirigeants
sociaux. Dans la plupart des hypothèses, cette sorte d'aveuglement est
volontaire et coupable. Comment, dans ces conditions, prétendre à
une sécurité effective et efficace des actionnaires ?
Les organes de contrôle doivent donc oeuvrer pour
protéger les actionnaires, car c'est en partie grâce à eux
qu'ils ont du travail: en l'absence de sociétés, les commissaires
n'auraient où officier. Il est alors dans leur intérêt
propre aussi que les actionnaires se sentent en confiance dans la
société.
168 C'est elle qui prend les décisions dépassant la
gestion quotidienne ; c'est elle qui a seule compétence pour modifier
les statuts ; c'est encore elle qui désigne des organes sociaux et qui
met fin à leurs fonctions. 168 TUNC (A.), Le droit anglais
des sociétés anonymes, 2e éd., Dalloz, 1978,
n° 118, p.178.
169 TUNC (A.), Le droit anglais des sociétés
anonymes, 2e éd., Dalloz, 1978, n° 118, p.178.
CONCLUSION PREMIÈRE PARTIE
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Le droit OHADA est fortement soucieux de sécuriser les
prérogatives des actionnaires. Par cette protection hautement
aménagée, il est question de préserver et sauvegarder
jalousement le tissu économique ; de sécuriser et favoriser les
investissements pour une plus grande compétitivité des Etats
membres de l'organisation, dans un contexte de libéralisme
économique irréversible.
Pour y parvenir, le législateur africain a mis à
la faveur des actionnaires un ensemble de mécanismes importants devant
assurer leur épanouissement lors des assemblées, pour l'essentiel
récupérés des normes et de la jurisprudence
françaises. Mais le droit OHADA a également fait montre
d'originalité et d'audace, en procédant à des
modifications et à des innovations somme toute satisfaisantes.
L'entreprise du législateur communautaire ne s'est pas
limitée à consacrer
un ensemble disséminé de mesures protectrices
des actionnaires à l'assemblée générale; ce dernier
s'est préoccupé davantage à étoffer cette
protection vis-à-vis des actes de gestion de la
société.
DEUXIEME PARTIE :
PROTECTION DES ACTIONNAIRES CONTRE LES ACTES
DE GESTION
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57
La consécration d'un ensemble considérable de
mesures protectrices des prérogatives des actionnaires au cours des
assemblées est indéniablement un pas fort louable dans les
objectifs d'attraction des investissements et de la compétitivité
des économies africaines. Cependant, afin de donner une expression
complète et concrète à ces mesures, le législateur
OHADA offre aux actionnaires de multiples possibilités de s'attaquer aux
actes de gestion passés en violation de leurs droits, car c'est au
quotidien que les droits de ces derniers sont le plus exposés à
des incartades.
La gestion de la société met au premier plan les
administrateurs de la société, mais elle peut et doit d'ailleurs
impliquer l'organe externe chargé de veiller à une gestion saine
de sorte qu'un contrôle de complaisance puisse engager sa
responsabilité (Chapitre I).
Si l'étendue des mesures civiles de protection contre
les actes de gestion et de contrôle témoigne d'une volonté
univoque de protection des actionnaires, reste que la mise en oeuvre des
mécanismes y afférents risque de se heurter à de nombreux
écueils (Chapitre II).
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