La protection civile des actionnaires dans l'espace OHADA( Télécharger le fichier original )par Narcisse Ekwelle Ekane Université de Dschang-Cameroun - D.E.A. (Diplôme d'Etudes Approfondies) 2008 |
CHAPITRE I :PROTECTION CONTRE LES ACTES DE GESTION ET LES
CONTROLES Les activités de la société commerciale sont conduites par un ensemble de personnes appelées dirigeants, représentant les actionnaires, sans pour autant en être les mandataires. La conduite par ces dirigeants ou par un groupe majoritaire, des affaires de l'entreprise peut ne pas être au gout de tous les acteurs sociaux et susciter dès lors chez eux un sentiment de méfiance ; ce qui implique à coup sur un droit de regard et d'appréciation de cette gestion de leur part. De même, la prospérité d'une société étant tributaire de la transparence dans sa gestion, il faut bien qu'elle soit contrôlée. Le législateur communautaire illustre bien cette situation lorsqu'il organise en faveur des actionnaires inquiets au sujet de la gestion de la société, des procédures destinées à éviter que cette dernière n'arrive au dépôt de son bilan170 (Section 1). Lorsque les mesures prises n'ont pas réussi à freiner l'élan malsain des dirigeants ou des personnes chargées de veiller au bon fonctionnement de la société, des sanctions peuvent être encourues (Section 2). SECTION II- LA DETECTION PRECOCE DES ACTES FAUTIFS
DES Le dessein du législateur OHADA étant d'insuffler une nouvelle dynamique au développement économique et social par l'entremise des sociétés commerciales, ce dernier s'est efforcé de réglementer avec minutie tous les abus susceptibles d'être 170 Par procédures de contrôle de gestion, il faut entendre l'ensemble des formalités auxquelles les actionnaires doivent se soumettre en présence, soit de faits de nature à compromettre la continuité de l'exploitation de l'entreprise, soit de faits obscurs et inquiétants, qui nécessitent qu'une lumière y soit faite, car il faut le souligner, même en présence d'abus les plus flagrants rien ne saurait se concevoir en dehors du droit. 59 commis au sein desdites sociétés, afin de renforcer les prérogatives des actionnaires. Certains de ces abus peuvent, en effet, révéler un caractère particulier dont seule la conduite de procédures spécifiques est à même d'y remédier. Elles sont essentiellement modernes dans la mesure oü elles n'existaient pratiquement pas dans l'ancien droit171. Et c'est parce qu'elles interviennent dans un contexte particulier qu'elles retiendront notre attention ici. En effet, la prévention des difficultés et des abus est la politique la plus satisfaisante en matière172 de protection des actionnaires, car, la meilleure façon de résoudre les difficultés est assurément de les tuer dans l'oeuf. Or, pour déceler des problèmes encore minuscules, il faut être vigilant et, de préférence, disposer d'un système d'information fiable sur la santé de l'entreprise. A l'instar de nombreux droits modernes, le législateur de l'OHADA s'est donc préoccupé de la prévention des difficultés des entreprises, et ce tant dans le cadre de l'Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d'apurement du passif que dans l'Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d'intérêt économique173. Seul ce dernier cadre nous préoccupe. On peut ainsi distinguer selon que ces procédures sont juridictionnelles (§1) ou non juridictionnelles (§2). §1- LA PROCEDURE JURIDICTIONNELLE DE CONTROLE
: Comme le souligne à juste titre le Pr. MODI KOKO BEBEY H-D, l'institution de l'expertise de gestion est l'une des innovations les plus marquantes de la réforme du droit des sociétés commerciales en Afrique174 . Mais la question se pose de savoir en quoi consiste cette innovation de façon concrète. Il s'agit là du problème de l'utilité de l'expertise de gestion et de son domaine (A), dont l'étude commande qu'on s'intéresse à sa mise en oeuvre (B). A- L'utilité, le domaine et la nature de l'expertise de gestionIl est question dans cette brèche de comprendre la place de cette Institution (1), de délimiter son domaine (2) mais surtout sa nature (3). 171 Mais il en est qui existaient déjà, quoique non expressément consacrées par les textes. 172 GUYON (Y.), Droit des affaires, droit commercial général et sociétés, 8e éd., tome 1, n° 445, p. 433. 173 FENEON (A.), << Les droits des actionnaires minoritaires dans les sociétés commerciales de l'espace OHADA », Penant, n° 839, avril-juin 2002, p. 158. 173 MODI KOKO BEBEY (H.-D.), << La réforme du droit des sociétés commerciales », Rev. soc., avril-juin 2002, p. 255. 174 MODI KOKO BEBEY (H.-D.), << La réforme du droit des sociétés commerciales », Rev. soc., avril-juin 2002, p. 255. 1 - L'utilité de l'expertise de gestion Innovation importante et impressionnante, l'expertise de gestion répond au souci premier de garantir une information fiable et nécessaire aux actionnaires, même minoritaires. C'est la possibilité offerte à ces derniers qui représentent une fraction raisonnable du capital social, de faire ouvrir une enquête sur une ou plusieurs opérations de gestion qu'ils estiment obscures ou suspectes. En application, en effet, des dispositions des articles 159 et 160 de l'Acte uniforme, les associés qui s'estiment insuffisamment éclairés sur la situation de la société, en dépit des rapports de gestion, des comptes sociaux et, le cas échéant, des rapports des commissaires aux comptes, ou encore des questions qu'ils peuvent poser en vertu des articles 157 et 158 de l'AUSC, peuvent demander une expertise de gestion175. Signalons que cette mesure qui se veut une source d'information et un moyen de contrôle de la gestion sociale pour les actionnaires minoritaires en principe, s'inscrit avant tout dans « un vaste chantier » entamé par le législateur africain de l'OHADA pour une meilleure protection de l'intérêt social176. La société est en effet, le siège d'une multiplicité d'intérêts parfois divergents, qu'il importe de gérer au mieux pour un fonctionnement meilleur de l'entreprise. Largement inspiré de la législation française de 1966, l'Acte uniforme contient ainsi des dispositions destinées à renforcer et à sécuriser les droits et intérêts des actionnaires. Ces mesures protectrices d'intérêts visent un même objectif : le réajustement des pouvoirs dans l'entreprise par l'élargissement des droits d'information et d'intervention des actionnaires. Il est donc question aujourd'hui pour le législateur communautaire, à travers l'expertise de gestion, de mettre la lumière où règne l'opacité et l'obscurité, de rééquilibrer les rapports de force, de libérer les talents asphyxiés par la pesanteur et les dominations, afin de sauvegarder et de protéger la société177. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la recherche de la transparence dans la gestion par le biais de l'information et du contrôle est plus une nécessité pour les pays africains qu'un effet de mode, surtout avec l'internationalisation de l'économie qui oblige au respect 175 Cette mesure qui sort du contexte traditionnel de l'information des actionnaires s'intègre dans une procédure judiciaire. Il s'agit donc de faire respecter les droits des actionnaires, notamment ceux minoritaires, par le juge en raison de la loi de la majorité qui prévaut dans le fonctionnement des sociétés commerciales. 176 MEUKE (B.Y.), « L'information des actionnaires minoritaires dans l'OHADA : « réflexion sur l'expertise de gestion », www.ohada.com, ohada-20, p. 3. 177 En effet, solliciter la justice dans le but d'obtenir des renseignements approfondis sur la gestion conduit par les dirigeants démontre que la circulation de l'information entre les different organes sociaux est deficient, voire qu'elle est délibérément entravée. 61 de l'égalité entre acteurs économiques pour la stabilité et la cohésion dans les affaires. La protection, par exemple, des actionnaires minoritaires, est devenue à l'heure actuelle pour les économies africaines, un problème complexe. Le pouvoir majoritaire est par essence, un pouvoir autoritaire qui n'a fait que s'accroître et se consolider par l'institutionnalisation progressive des fonctions des dirigeants sociaux, ce qui n'est pas en soi regrettable, car pour être efficace, la direction doit être une178. Mais la marginalisation de la minorité résultant de cette vision des choses contribue au renforcement des exigences de sa protection, à notre sens. C'est la raison pour laquelle le législateur de l'OHADA s'en est particulièrement préoccupé179. L'expert de gestion serait alors un mandataire « ad hoc » chargé d'une mission ponctuelle et temporaire de contrôle dans les sociétés. Il pourrait s'agir d'un recours ouvert aux actionnaires qui subodoreraient une situation de crise. Il n'impliquerait pas nécessairement l'ouverture d'un contentieux judiciaire, bien que la procédure commence par la sollicitation d'un juge à qui l'on demande la désignation d'un expert. L'information obtenue en application de cette mesure sera notamment plus étendue que celle donnée en cas de fonctionnement normal de la société180 . En cas de crise, de mésentente ou de conflits tout change. L'actionnaire qui soupçonne des erreurs de gestion et/ou des abus, souhaite être renseigné de manière complète. L'expertise de gestion va alors aboutir à la révélation des faits que les dirigeants refusaient de communiquer en s'abritant derrière le principe de la confidentialité dû à la plupart des opérations de gestion. C'est dire que l'expertise est un multiplicateur d'influence pour les actionnaires dans le respect de leurs prérogatives. L'utilité de l'institution paraît dès lors évidente ; d'un côté elle limite les conséquences d'une gestion malhonnête, en faisant ressortir les fautes à un moment où on peut encore y remédier et d'un autre côté, elle peut, en prouvant la faute des dirigeants, préparer et faciliter l'exercice d'une éventuelle action en responsabilité. Mais il ne faut pas exagérer la portée de l'expertise de gestion, car malgré ses avantages évidents, la mesure produit des effets limités. Elle n'est, en effet, qu'une mesure d'information et rien de plus. De sorte que la sanction effective des dirigeants suppose la mise en oeuvre d'autres actions en justice qui, en pratique, ne seront exercées qu'en présence d'actionnaires minoritaires particulièrement combatifs. De plus, l'information en cause n'est pas immédiatement portée à la 178 MEUKE (B.Y.), op. cit., p. 4. 179 Où l'information des actionnaires peut ne porter que sur l'essentiel. connaissance de la collectivité des actionnaires puisqu'elle ne s'opère qu'à l'occasion de la prochaine assemblée générale. Ce décalage est évidemment préjudiciable lorsque la gestion de la société est tellement préoccupante qu'elle appelle une réaction rapide des actionnaires. Et la question majeure reste la délimitation du domaine et la nature de l'expertise de gestion. 2- Domaine de l'expertise de gestion La question du domaine de l'expertise de gestion met essentiellement en relief l'étendue de cette mesure. Ainsi, les juges auront à expliquer ce qu'il faut entendre par opérations de gestion de la société. Peut-on faire prévaloir un critère organique n'englobant que les décisions des organes de gestion et exclure dès lors les décisions émanant des assemblées ? A propos de celles-ci, faut-il les écarter en estimant que les minoritaires ont été régulièrement et suffisamment informés et qu'ils ont alors pu exercer leur droit de critique au moment des votes? Que décider pour les opérations qui relèvent de la compétence des organes de direction, mais nécessitent aussi l'intervention de l'assemblée générale ?181 Si l'expertise peut porter sur tous les aspects de la gestion, et pas seulement sur les aspects financiers ou comptables, elle ne peut concerner par contre, d'une manière générale, ni l'ensemble de la gestion, ni la régularité des comptes sociaux182 ; et sa mission ne doit pas se confondre, ni empiéter sur celle du commissaire aux comptes183. En réalité, la difficulté provient de ce que le droit OHADA, tout comme le législateur français, n'a donné aucune définition de la notion d'opération de gestion. Faut-il comprendre devant ce silence qu'il reviendra au juge d'apprécier au cas par cas ? Cette absence de détermination précise de la notion peut surtout avoir pour justification et explication le fait que le législateur africain de l'OHADA n'ait pas souhaité, ni voulu enfermer cette notion aussi fluide dans une définition qui l'aurait rendue sans doute difficile dans son application. A notre avis, l'on devrait se poser la question de savoir quel est le sens qu'il convient alors de donner à la notion pour obtenir un résultat satisfaisant dans une perspective de transparence sociétaire. « La gestion » mentionnée à l'art. 150 de l'Acte uniforme devrait donc s'entendre de la manière la plus large. Face à cette difficulté que pose la notion d'opération dans une tentative de délimitation du domaine de l'expertise de gestion, l'accent devrait être mis sur sa 181 Traité et actes uniformes commentés et annotés OHADA, juriscope 2002, p. 347. 182 FENEON (A.), op. cit., p. 161. 183 C'est ainsi qu'il n'y aurait pas lieu de faire droit à une demande d'expertise de gestion si les questions posées tendaient à une critique systématique de l'ensemble de la gestion, ou encore avaient un caractère général concernant l'ensemble de la politique de la société. 63 finalité. En seront donc exclues a priori, les décisions prises par les assemblées générales des actionnaires, car en principe les informations données aux actionnaires au cours de ces assemblées doivent normalement suffire à faire la lumière sur les décisions prises par la société184 ; même si quelques inquiétudes subsistent concernant les opérations qui, bien que relevant des organes de direction, nécessitant néanmoins une intervention de l'assemblée générale. Quoiqu'il en soit, avec l'expertise de gestion, le juge dispose des moyens de s'intégrer dans le fonctionnement des sociétés commerciales. 3- Nature de l'expertise gestion La recherche de la nature de l'expertise de gestion dans le droit de l'OHADA est surtout fonction de l'idée que l'on se fait de l'intervention des pouvoirs judiciaires dans la vie d'une société commerciale. Pour une partie de la doctrine française185 par exemple, cette intervention du judiciaire ne doit pas être fréquente et doit surtout préserver la liberté de gestion des organes compétents. Il faut reconnaître que sur un plan purement statistique, les développements jurisprudentiels de cette institution en Afrique qui étaient jusque là rares connaissent une nette évolution depuis quelques temps186. Toutefois, quant à une éventuelle atteinte à la liberté de gestion des dirigeants sociaux, il est clair qu'elle ne pourrait être que très relative. En effet, l'expertise de gestion n'est qu'une mesure d'information et le seul fait que l'expert soit nommé constitue la sanction de l'insuffisance dans l'information. Au total, il s'agit bien d'un moyen de contrôle de l'action des dirigeants exercé auprès du juge. |
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