SECTION II : LA DETERMINATION DE LA
RESPONSABILITE PENALE INDIVIDUELLE DE L'ACCUSE
La responsabilité pénale individuelle est
consacrée par l'article 6 du Statut. Cet article prévoit deux
sortes de responsabilités : la responsabilité
pénale individuelle de l'accusé pour ses propres actes (§1)
et la responsabilité pénale du supérieur
hiérarchique pour les actes commis par ses subordonnés
(§2).
§1. La
responsabilité pénale au regard de l'article 6 (1) du Statut du
TPIR
L'article 6 (1) stipule que : quiconque a
planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de
toute autre manière aidé et encouragé à planifier,
préparer ou exécuter un crime visé aux articles 2 à
4 du présent statut est individuellement responsable dudit crime.
Cette disposition énonce un certain nombre de modes
d'imputation de la responsabilité qui établissent les principes
de base de responsabilité pénale individuelle pour action. Il
s'agit d'une responsabilité pénale en vertu de laquelle une
personne n'est poursuivie que pour ses propres actes criminels.
En effet, pour que cette forme de responsabilité soit
établie, il faut que soient démontrés deux
éléments : tout d'abord la participation au fait
incriminé, c'est-à-dire que l'accusé doit avoir
contribué, par sa conduite à la Commission de l'acte
illégal (I), et ensuite la connaissance ou l'intention,
c'est-à-dire que l'auteur doit avoir été conscient qu'il
participait à la Commission d'un crime (II)39(*).
I. La participation au fait incriminé (Actus
reus)
L'article 6 (1) du Statut du TPIR envisage différentes
étapes de la Commission d'un crime, dès sa planification initiale
à son exécution, en passant par son organisation. Toutefois, pour
le TPIR, le principe de la responsabilité pénale figurant audit
article suppose que la planification ou la perpétration débouche
effectivement sur la Commission, exception faite du crime de
génocide40(*).
En outre, pour satisfaire aux exigences de l'article 6 (1) du
Statut du TPIR, il faut que la participation de l'accusé ait eu un effet
important sur la Commission41(*). C'est une question de fait et il appartient au juge
d'apprécier sur la base des éléments de preuve qui ont
été fournis.
Il convient de noter que l'article 6 (1) du Statut du TPIR
énonce 5 formes de participation, à savoir : la
planification, l'incitation, ordonner, commettre, et enfin l'aide et
encouragement.
- La planification :
Cette planification rappelle la notion d'entente en Civil
Law, ou de conspiracy en Common Law, figurant à
l'article 2 (3) du Statut, à la différence que la planification,
contrairement à l'entente ou à la complicité, peut
être le fait d'une seule personne. Ainsi, la planification pourrait
être définie comme supposant qu'une ou plusieurs personnes
envisagent de programmer la Commission d'un crime, aussi bien dans ses phases
de préparation que d'exécution42(*).
- Incitation de commettre un crime :
Selon la jurisprudence du TPIR, l'incitation consiste dans le
fait de provoquer autrui à commettre une infraction. L'incitation n'est
punie que si elle a abouti à la commission effective de l'infraction
voulue par l'instigateur, à l'exception du crime de génocide,
pour lequel la responsabilité pénale individuelle d'un
accusé peut être engagée pour le crime d'incitation
à commettre le génocide, sur la base des dispositions de
l'article 2 (3) (c) du Statut, même si cette incitation n'est pas suivie
d'effet43(*).
Dans le cadre du conflit rwandais, l'incitation semble
revêtir une grande importance devant le TPIR, tant il est vrai que les
crimes commis au Rwanda n'auraient sans doute jamais eu lieu sans la propagande
massive des tristement célèbres médias de la
haine44(*). Toutefois, le
caractère direct ou public n'est pas requis pour l'incitation45(*).
- Ordonner la commission d'un
crime :
Selon le TPIR, cette forme de participation suppose une
relation de subordination (relation supérieur-subordonné) entre
la personne donnant l'ordre et l'exécutant, la personne étant en
position d'autorité pour persuader autrui de commettre une
infraction46(*).
Sur cette forme de participation, les Chambres de
première instance du TPIR ont considéré que la seule
présence et la participation personnelle de l'accusé à la
commission des actes criminels pouvait faire valoir à ses
subordonnés hiérarchiques de les commettre47(*). L'utilisation d'un langage
imagé, si son sens était clair pour les subordonnés, ne
s'oppose pas à ce que la responsabilité de l'accusé
soit établie. Ça pourrait être le cas d'un chef qui dirait
à ses hommes : Ici il y a beaucoup de saleté qui doit
être nettoyée. en distribuant les machettes et des armes à
feu. Cela équivaut à un ordre de tuer48(*).
- Commettre :
La Chambre de première instance dans l'affaire
Semanza49(*), a
considéré que par commettre on entend la participation directe et
physique ou personnelle de l'accusé à la perpétration des
actes qui constituent effectivement les éléments matériels
d'un crime visé par le statut.
- Aide et encouragement :
Même si aider et encourager peuvent apparaître
comme synonymes, les deux termes ont des sens distincts puisque l'aide consiste
dans le fait d'apporter une assistance à quelqu'un tandis que
l'encouragement consisterait plutôt à favoriser le
développement d'une action en lui exprimant sa sympathie. Le
problème se pose de savoir si la responsabilité pénale
individuelle prévue à l'article 6 (1) du Statut n'est
engagée que s'il y a eu à la fois aide et encouragement. La seule
aide ou le seul encouragement peut suffire à engager la
responsabilité individuelle de son auteur50(*).
Il s'ensuit qu'il n'est pas nécessaire pour aider que
l'accusé soit présent au moment des faits, à condition que
la contribution à la Commission soit substantielle. Dans ce sens la
Chambre de première instance du TPIR, dans l'affaire Rutaganda, a conclu
comme suit :
Dans l'un et l'autre, peu importe que la personne qui aide ou
encourage autrui à commettre une infraction soit présente ou non
lors de la Commission de ladite infraction. L'acte concourant à la
perpétration et l'acte constituant la perpétration proprement
dite peuvent être séparés dans le temps et dans l'espace.
La Chambre estime que l'aide et l'encouragement couvrent tous les actes
d'assistance, qu'elle soit matérielle ou morale, mais souligne
néanmoins que toute forme de participation doit directement concourir
à la perpétration du crime51(*).
Quant à l'encouragement, le fait pour un fonctionnaire
d'envoyer un signal clair de tolérance officielle, d'être
témoin de violences sexuelles ou même de ne pas les
désapprouver suffisent52(*), à condition que le spectateur approbateur ne
soit pas un simple subalterne53(*).
Il convient de remarquer que l'encouragement comme fondement
de la responsabilité pénale à l'égard de l'article
6 (1) ne peut pas être assimilé à une infraction par
omission de l'article 6 (3) du Statut du TPIR. En effet, le spectateur n'est
responsable que s'il a agi en sachant que sa présence et son
comportement seraient regardés par l'auteur de l'infraction comme
approbation tacite, une incitation ou un soutien moral54(*) ; ce qui constitue une
aide sous forme de soutien moral, c'est-à-dire l'actus reus du
crime. Il s'agit, à notre avis, d'une responsabilité
pénale par Commission tandis que la responsabilité pénale
de l'auteur sous l'empire de l'article 6 (3) est une forme de
responsabilité pénale par omission qui n'exige pas
nécessairement que le supérieur hiérarchique ait
connaissance des conséquences de son comportement (Voir. infra
Chap. I., Sect. II, §2).
* 39 Le Procureur c.
Kayishema et Ruzindana, jugement, cité à la note 16, §. 198.
* 40 Le Procureur c.
Akayesu, jugement, cité à la note 21, §.
473 ; le Procureur c. Rutaganda, jugement, cité à la note
16, §. 34 ; Le Procureur c. Semanza, jugement, cité
à la note 16, §.378.
* 41 Le Procureur c.
Semanza, jugement, cité à la note 16, §. 379.
* 42 Le Procureur c.
Akayesu, jugement, cité à la note 21, §. 480 ; le
Procureur c. Rutaganda, jugement, cité à la note 17, §.
37 ; le Procureur c. Semanza, jugement, cité à la note 16,
§.380 ; le Procureur c. Musema, jugement, cité à la
note 16, §. 119.
* 43 Le Procureur c.
Akayesu, jugement, cité à la note 21, §. 481 ; le
Procureur c. Rutaganda, jugement, cité à la note 16, §.
38 ; L e Procureur c. Musema, jugement, cité à la note 16,
§. 120.
* 44 F. MEGRET, op.
cit., p. 204.
* 45 Le Procureur c.
Akayesu, affaire n° ICTR-96-4-A, arret, 1er juin 2001,
§§. 474-483.
* 46 Le Procureur c.
Akayesu, jugement, cité à la note 21, §. 483 ;
Le Procureur c. Rutaganda, jugement, cité à la note 16, §.
39 ; le Procureur c. Musema, jugement, cité à la
note 16, §. 121.
* 47 Le Procureur c.
Kayishema et Ruzindana, jugement, cité à la note 16,
§. 568 ; le Procureur c. Rutaganda, jugement, cité à la
note 16, §. 391; le Procureur c. Musema, jugement, cité à
la note 16, §§. 902-903, 911-912.
* 48 F. MEGRET, op.
cit., p. 204.
* 49 Le Procureur c.
Semanza, jugement, cité à la note 16, §. 383.
* 50 Le Procureur c.
Akayesu, jugement, cité à la note 21, §. 484
* 51 Le Procureur c.
Rutaganda, jugement, cité à la note 16, §. 43.
* 52 Le Procureur c.
Akayesu, jugement, cité à la note 21, §§. 422,
452, 693, 704-706 ; Le Procureur c. Rutaganda, jugement, cité
à la note 16, §§. 311-313 ; Le Procureur c. Kayishema et
Ruzindana, jugement, cité à la note 16, §. 468 ; Le
Procureur c. Semanza, jugement, cité à la note 16,
§§. 865-926.
* 53 Le Procureur c.
Bagilishema, Affaire n° ICTR-95-1A-T, jugement, 7 juin 2001, §§.
34-36.
* 54 Ibid.
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