§2. Compétence territoriale et temporaire
C'est l'article 7 du Statut du TPIR qui consacre les
compétences territoriale et temporelle du Tribunal. Aux termes de cet
article, la compétence ratione loci du Tribunal
international pour le Rwanda s'étend au territoire du Rwanda y compris
son espace terrestre et son espace aérien, et au territoire d'Etats
voisins en cas des violations graves du droit international humanitaire
commises par des citoyens rwandais. La compétence ratione
temporis du Tribunal international s'étend à la
période commençant le 1er janvier 1994 et se terminant
le 31 décembre 1994.
D'après cette disposition, la compétence
territoriale du tribunal couvre non seulement les crimes commis au Rwanda mais
aussi ceux commis dans les Etats voisins lorsqu'ils ont été
commis par les ressortissants rwandais. Cette extension de la compétence
du Tribunal aux crimes commis en dehors du territoire rwandais se justifie par
le fait qu'une partie de la population rwandaise, dans les mois suivant le
génocide, a pris refuge dans les camps des réfugiés dans
l'ex-Zaïre et dans d'autres pays. Ainsi, il est probable que des
violations du droit international humanitaire similaires à celles
commises au Rwanda aient été commises dans ces camps de
réfugiés30(*).
Quant à la compétence temporelle du TPIR, ce
dernier est compétent pour juger les personnes s'étant rendues
coupables de violations graves du droit international humanitaire du 1er
janvier au 31 décembre 1994. Bien que la compétence du
Tribunal ait été poussée dans le temps jusqu'à
inclure les trois mois qui précèdent le déclenchement des
massacres, elle a été critiquée par le Rwanda au motif,
d'une part, que des projets pilotes d'extermination avaient eu lieu avant 1994,
et d'autre part qu'une période de planification avait
précédé les massacres de 199431(*). En conséquence, le
Rwanda proposait que la compétence ratione temporis du TPIR
commence le 1er octobre 1990, date qui correspond au début
de la guerre entre le FPR et les ex-FAR.
§3. Compétence
matérielle
La compétence du TPIR en matière de violations
de l'article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole
additionnel II est prévue à l'article 4 du Statut. Il s'agit des
crimes qui sont réprimés s'ils sont commis pendant une
période de guerre.
Dans son rapport, le Secrétaire Général
a noté que les massacres et les tueries continuaient d'une
manière systématique sur la quasi-totalité du territoire
rwandais et que seule une enquête permettrait d'établir les faits
et la responsabilité32(*). Par la suite, on a mis sur pied une Commission
d'experts indépendants ayant pour mission d'enquêter sur la
situation au Rwanda. Dans son rapport final33(*), la Commission a conclu que les actes de
génocide avaient été commis à l'encontre du groupe
tutsi par les éléments Hutus agissant de manière
concertée, planifiée, systématique et méthodique,
en violation de la Convention de 1948 pour la prévention et la
répression du crime de génocide et que ces mêmes individus
avaient commis des crimes contre l'humanité et des violations graves du
droit humanitaire.
De ce qui précède, il est remarquable que la
compétence matérielle du TPIR a été
déterminée par le Conseil de sécurité sur base du
rapport de la Commission d'experts. Ce dernier indiquait, comme
déjà dit ci-dessus, la nature des crimes que l'on pouvait
supposer qu'ils avaient été commis au Rwanda à partir
d'avril 1994 d'une part, et justifiaient l'applicabilité du droit
international, d'autre part.
Cependant, en ce qui concerne les violations prévues
à l'article 4 du Statut, il convient de constater que le Conseil de
sécurité a opté pour une solution plus extensive en
incluant des instruments internationaux sans tenir compte du fait que ces
derniers ne font pas partie de la coutume internationale34(*) ou qu'ils engagent la
responsabilité pénale individuelle de l'auteur du crime. Cette
question figurait parmi les questions importantes qui attendaient le Tribunal
à ses débuts.
Sur ce, le TPIR a retenu deux solutions pour cette
question : premièrement, le Tribunal s'inspirant de la
jurisprudence du TPIY35(*), a démontré le caractère
coutumier de l'article 3 commun aux Conventions de Genève en jugeant que
ledit article avait acquis le statut de règle du droit coutumier en ce
sens que la plupart des Etats répriment dans leur code pénal des
actes qui, s'ils étaient commis à l'occasion d'un conflit
armé interne, constitueraient des violations de l'article 3 commun aux
Conventions de Genève. Pour le Protocole additionnel II, en vertu du
principe qui veut que « l'accessoire suit le principal »,
seules les garanties énoncées à son article 4 (2) ont
été retenues car elles viennent affirmer et compléter
l'article 3 commun aux Conventions de Genève36(*).
Quant à la deuxième solution, jugeant non
nécessaire d'analyser le caractère coutumier des instruments en
question, le Tribunal a cherché le fondement de leur inclusion dans la
ratification par le Rwanda desdits textes légaux. Ceci a
été illustré dans l'affaire Kayishema et
Ruzindana dans ces termes :
« La Chambre est instruite du fait que la question
de savoir si les instruments susmentionnés doivent être
considérés comme des dispositions du droit international
coutumier dont les violations graves engagent la responsabilité
pénale des auteurs continue de faire l'objet de débats dans des
cadres autres que celui du Tribunal. En l'espèce, une telle analyse lui
semble superflue dans la mesure où la situation est assez claire. Le
Rwanda est devenu partie aux Conventions de 1949 le 5 mai 1964 et au Protocole
II le 19 novembre 1984. Par conséquent, ces instruments étaient
bien en vigueur au Rwanda au moment où les tragiques
événements de 1994 se déroulaient sur son sol
[...]»37(*).
Il convient de noter que ces deux solutions sont
proposées par le TPIR dans le cadre de sa recherche du fondement
légal des incriminations de l'article 4 de son Statut afin qu'il ne lui
soit reproché de violer le principe
« nullum crimen sine lege » lors de
leur mise en oeuvre. Sur ce, que ce soit la première ou la
deuxième solution, force est de constater que ce qui est essentiel est
de rendre la justice aux victimes de ces atrocités et comme l'a
écrit Claude LOMBOIS, la règle « nullum crimen sine
lege » a été édictée pour
protéger des innocents contres les abus éventuels de
l'administration étatique et non ceux qui commettent des actes odieux en
se tenant en dehors des termes des textes38(*).
* 30 Rapport du
Secrétaire Général, 8 novembre 1994, S/PV. 3453, §.
13.
* 31 Id. §.
15.
* 32 Rapport du
Secrétaire Général sur la situation au Rwanda, 31 mai
1994, UN DOC.S/1994/604.
* 33 Rapport de la
commission d'experts, 9 décembre 1994, UN DOC. S/1994/1405.
* 34 La coutume
internationale est définie comme étant une preuve d'une pratique
générale acceptée comme étant le droit. Elle tire
son essence dans certaines pratiques des Etats qui se sont
répétées au cours des années et ont acquis avec le
temps un caractère obligatoire pour constituer le droit international
coutumier. Voy. art. 38 paragraphe 1 du Statut de la Cour Internationale de
Justice.
* 35 Le Procureur c. Dusko
Tadic, Affaire n° IT-94-1-T, jugement, 7 mai 1997, §.
609 ; le Procureur c. Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-AR72,
arrêt relatif à l'appel de la défense concernant
l'exception préjudicielle d'incompétence, 2 octobre 1995,
§§. 116-117 et 134.
* 36 Le Procureur c.
Akayesu, jugement, cité à la note 21, §§.
608-609 ; le Procureur c. Rutaganda, jugement, cité
à la note 16, §§. 86-89 ; le Procureur c. Musema,
jugement, cité à la note 16, §. 242.
* 37 Le Procureur c.
Kayishema et Ruzindana, jugement, cité à la note 16,
§§. 156-158. Voy. Egalement §§. 597-598.
* 38 C. LOMBOIS, Droit
pénal international, Paris, Dalloz, 1979, p. 51 cité par M.
L. NDIKUMANA, La responsabilité pénale de l'individu en droit
international, mémoire, Butare, 1997, UNR, Faculté de droit,
p. 22.
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