CHAPITRE I :
LA MISE EN OEUVRE DE LA RESPONSABILITE
PENALE INDIVIDUELLE EN MATIERE DE VIOLATIONS DE
L'ARTICLE 3 COMMUN AUX CONVENTIONS DE GENEVE ET DU PROTOCOLE ADDITIONNEL II
DEVANT LE TPIR
Bien que la notion de la responsabilité pénale
individuelle pour les violations du droit international humanitaire soit
ancienne, ce sont en fait les procès contre les grands criminels de
guerre à l'issue de la seconde guerre mondiale, qui en font une
réalité incontestable19(*). Devant le TPIR, la notion de la
responsabilité pénale individuelle est réglementée
à l'article 6 du Statut. Cet article traite les différentes
formes de la responsabilité pénale pour tous les crimes20(*) qui entrent dans la
compétence du Tribunal.
Pour un Tribunal chargé de juger les individus, il
faut non seulement démontrer la légalité des instruments
légaux qui fondent la compétence matérielle définie
à l'article 4 du Statut mais aussi démontrer que l'individu,
l'auteur d'infractions graves aux règles coutumières encourt une
responsabilité pénale de son chef. A défaut, on pourrait
faire valoir que ces instruments se bornent à poser des règles
liant les Etats et les parties à un conflit et qu'ils ne sont pas
applicables aux individus.
La question de savoir si les normes de droit humanitaire
s'appliquent uniquement aux Etats, en tant que personnes morales, ou
s'adressent aussi à l'individu, qui est alors susceptible de violer
directement par son comportement, semble aujourd'hui résolue en faveur
de la seconde possibilité21(*).
Dans ce chapitre, nous aborderons successivement la question
de la compétence du TPIR en matière des violations de l'article 3
commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II (Section
I), et la détermination proprement dite de la responsabilité
pénale individuelle (Section II).
SECTION I : LA COMPETENCE DU TRIBUNAL A L'EGARD
DES VIOLATIONS DE L'ARTICLE 3 COMMUN AUX CONVENTIONS DE GENEVE ET DU PROTOCOLE
ADDITIONNEL II
La compétence d'une juridiction est
« l'ensemble des affaires dont cette juridiction a vocation de
connaître22(*) ». Dans tout ordre juridique, il est
nécessaire non seulement de créer les juridictions afin de
régler les différends qui surgiraient entre les personnes vivant
dans une société donnée, mais aussi de déterminer
la nature des différends pour lesquels ces juridictions sont
compétentes. Il s'ensuit qu'une juridiction ne peut trancher un
différend qui n'entre pas dans sa compétence ; elle doit se
déclarer incompétente si le cas se présente.
Dans l'ordre juridique international où les Etats ont
la pleine personnalité juridique (souveraineté), la
compétence des organisations internationales - comme celle du TPIR- est
essentiellement une compétence d'attribution.
Comme pour toute autre institution juridique, la
compétence du TPIR peut être analysée en
se basant sur 3 points : d'abord par rapport aux personnes à
l'égard desquelles la poursuite peut être engagée, c'est la
compétence personnelle (§1) ; ensuite, par rapport à la
circonscription géographique et à la période à
laquelle les infractions ont été commises, c'est la
compétence territoriale et temporelle (§2) ; enfin , par
rapport à la nature des infractions qui rentrent dans la
compétence du TPIR, c'est la compétence matérielle
(§3).
§1. Compétence personnelle
La compétence personnelle du TPIR est prévue
à l'article 5 de son Statut. Aux termes de cet
article : « Le Tribunal international pour le Rwanda
a compétence à l'égard des personnes physiques
conformément aux dispositions du présent Statut ».
A la lecture de ce texte, force est de constater que le
Conseil de Sécurité a réaffirmé ici le principe de
la responsabilité pénale individuelle. C'est le Tribunal de
Nuremberg qui a affirmé pour la première fois ce principe en
jugeant que ce sont des hommes et non les entités abstraites qui
commettent les crimes dont la répression s'impose comme sanction du
droit international23(*).
Dans ce sens, avant que le TPIR ne soit créé,
la commission d'experts indépendants, dans son rapport, avait
souligné que le principe était clairement établi en droit
international et universellement reconnu par la communauté
internationale24(*). C'est
pourquoi le Conseil de Sécurité n'a pas hésité
à accorder au TPIR une compétence à l'égard des
personnes physiques.
Cependant, la compétence du TPIR à
l'égard des personnes physiques a été contestée par
la défense dans l'affaire Kanyabashi relativement à la
compétence du Tribunal25(*). Dans cette affaire, la défense soutenait
qu'il ne devrait pas y avoir de compétence à l'égard des
individus en vertu du droit international car l'octroi au Tribunal d'une
compétence vis-à-vis les particuliers est incompatible avec la
charte de l'ONU, au motif que le Conseil de Sécurité n'a aucune
autorité sur les individus et que seuls les Etats peuvent constituer une
menace contre la paix et la sécurité internationale.
A cet effet, la Chambre de première instance du TPIR a
rejeté la requête de la défense et a conclu comme
suit :
Le Conseil de Sécurité a étendu
expressément aux particuliers les obligations et les
responsabilités pénales internationales en ce qui concerne les
violations du droit international humanitaire, mais l'exception du conseil de
la défense n'établit en rien que cette extension de
l'applicabilité du droit international aux particuliers n'était
pas justifiée et exigée par les circonstances, notamment la
gravité et l'ampleur des crimes commis pendant le conflit. Toutefois la
Chambre de première instance refuse donc de suivre le conseil de la
défense lorsque celui-ci prétend que le Tribunal n'a pas de
compétence à l'égard des particuliers .
Par ailleurs, l'article premier du Statut du TPIR stipule que
le Tribunal est compétent pour juger les personnes
présumées coupables des violations graves de droit international
humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais
présumés responsables de tels crimes commis sur le territoire des
pays voisins. Il s'ensuit que pour les crimes commis sur le territoire
rwandais, la compétence du Tribunal s'étend à toute
personne présumée responsable de ces crimes sans tenir compte de
sa nationalité. C'est ce qui a permis au TPIR de juger un ressortissant
belge, Georges RUGGIU. Cependant, pour les crimes commis en dehors du
territoire rwandais, la compétence du Tribunal est limitée
uniquement aux citoyens Rwandais.
Enfin, la lecture de l'article 5 du Statut du TPIR nous
conduit à conclure que la responsabilité pénale des
personnes morales est en revanche exclue de la compétence du Tribunal.
Mais par contre, la responsabilité pénale des personnes morales
avait été utilisée à Nuremberg où elle avait
notamment permis de criminaliser des organisations telles que les SS26(*), la
Gestapo27(*) et
les Einsatzgruppen28(*). L'appartenance à ces organisations permettait
dès lors d'imputer l'intention criminelle, facilitant d'autant
l'administration de la preuve29(*). Sur ce, nous déplorons que la
possibilité de criminaliser certaines organisations telles que les
milices Interahamwe qui eurent un rôle très important
dans les événements tragiques de 1994, n'ait pas
été retenue pour le TPIR.
* 19 Affaire Etats Unis c.
Yamashita, 327 US I (1945), ILR, 1946, pp. 256-257 cité par M.
HENZELIN, Les raisons de savoir du supérieur hiérarchique
qu'un crime va être commis par un subordonné, Bruxelles,
Bruylant, 2004, p. 81.
* 20 Il s'agit du crime de
Génocide, crimes contre l'humanité et les violations de l'article
3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II.
* 21 Le Procureur c.
Jean-Paul Akayesu, affaire n° ICTR-64-4-T, jugement, 2 septembre
1998, §§. 256-257.
* 22 G. CRONU (dir.),
Vocabulaire juridique, 6ème éd., Association
Henri Capitant, 1996, p. 173.
* 23 Jugement du 30
septembre-1er octobre 1946, Procès des grands criminels
de guerre devant le TMI, Doc. Off, Nuremberg, 1947, vol. 1, p. 235
cité par T. GRADITZKY, La responsabilité pénale
individuelle pour des actes commis en situation de conflit armé non
international, Genève, 1997, p. 2.
* 24 Rapport de la
commission d'experts présenté conformément à la
résolution 935 du conseil de sécurité, 9 décembre
1994, S/1994/1125, p. 29, §§. 171-172.
* 25 Le Procureur c. Joseph
Kanyabashi, affaire n° ICTR-96-15-T, Décision de la Chambre de
première instance sur la compétence, 18 juin 1997, §§.
33-36.
* 26 Abréviation de
Schutzstaffel (Echelon de protection), organisation du parti nazi
formant une police militarisée. La création des SS remonte aux
années vingt, où elles constituèrent la garde personnelle
d'Hitler. Le pouvoir des SS s'étendit et, à partir de 1934, elles
furent chargées de diriger les premiers camps de concentration. Voy.
Encyclopédie Microsoft Encarta 2006, « L'Allemagne nazie
», [en ligne sur]
<http://fr.encarta.msn.com/text76155732183/Allemagnenazie.html>,
consulté le 29 juin 2006.
* 27 Contraction de
l'allemand Geheime Staatspolizei « police secrète d'Etat
», police politique de l'Allemagne nazie. La Gestapo fut
créée par HERMANN GÖRING, Ministre de l'Intérieur de
Prusse, le 26 avril 1933 à partir de la section politique de la police
de la République de Weimar dont il étendit
considérablement les pouvoirs en la plaçant hors de toute
contrainte constitutionnelle et légale. Elle fut chargée
d'éliminer toute opposition au régime national-socialiste ou
nazisme. La Gestapo procéda à un nombre considérable
d'arrestations, sans compter les rafles massives comme à
Clermont-Ferrand, Marseille, Grenoble et Cluny. Voy. Encyclopédie
Microsoft Encarta 2006, « L'Allemagne nazie», [en ligne sur]
<http://fr.encarta.msn.com/text76155732183/Allemagnenazie.html>,
consulté le 29 juin 2006.
* 28 Organisation du parti
nazi et l'un des groupes d'intervention mobiles de policiers chargés
d'exécuter dans les territoires conquis sur l'URSS les communistes et
les Soviétiques juifs.
* 29 MERGRET, F., Le
Tribunal Pénal International pour le Rwanda, n° 23, Paris, Ed.
Pédone, 2002, p. 31.
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