Section 2 Les abus de liberté d'expression sur
les réseaux sociaux
La loi du 29 juillet 1881 relative aux infractions de presse
(dite loi de 1881), sanctionne les abus de la liberté d'expression.
Contrairement à ce qu'indique son nom, cette loi ne concerne pas
seulement les infractions commises sur support papier mais englobe
également les services de communication au public en ligne,
c'est-à-dire Internet. En effet, l'article 6-V de la LCEN dispose que
« les dispositions des chapitre IV et V de la loi du 29 juillet 1881
sont applicables aux services de communication au public en ligne et la
prescription acquise dans les conditions prévues par l'article 65 de
ladite loi ». L'application du droit de la presse ne dépend
donc pas de son support et nous allons envisager les deux infractions de presse
les plus fréquemment commises sur Internet, la diffamation et l'injure,
et identifier la manière dont ces infractions sont
appréhendées et réprimées sur les sites de
réseaux sociaux. Seules les diffamations et injures envers un simple
particulier et sans motif discriminatoire seront traitées dans ce
paragraphe. Les éléments constitutifs des infractions d'injure et
de diffamation sur les réseaux sociaux (I), ainsi que les
modalités de leur répression (II) formeront deux parties de cette
section.
I La constitution des infractions de presse sur les
réseaux sociaux
La loi de 1881 est applicable aux sites de réseaux
sociaux si les éléments constitutifs de l'injure et de la
diffamation peuvent être constatés sur ce support particulier
qu'est Facebook. Dans un souci de clarté, nous aborderons d'abord
l'élément commun aux infractions de presse, la publicité
(A), avant de s'intéresser aux éléments spécifiques
à la diffamation et à l'injure (B).
A L'élément fondamental commun aux
infractions de presse : la publicitéL'article 23 de la loi de 1881
énumère les différents modes de publication relevant
de
la loi de 1881. Depuis l'entrée en vigueur de la LCEN,
le terme de « communication au public par voie électronique »
est répertorié dans cet inventaire et inclut la communication
audiovisuelle168 et la communication au public en
ligne169. Avant cette modification législative, le
réseau Internet était assimilé à un moyen de
communication audiovisuel et constituait donc déjà un support de
publication.
La condition de publicité est fondamentale car elle
détermine l'application ou l'exclusion de la loi de 1881. En effet, loin
d'avoir un régime uniforme, les différentes publications sur
Internet sont susceptibles de relever de deux régimes différents:
le régime de la correspondance privée et le régime de la
communication publique170. Chacun de ces deux régimes fait
l'objet d'un corps de règles spécifique. En effet, d'une part, la
correspondance privée relève du régime du secret des
correspondances171 et échappe aux dispositions relatives
à la répression des infractions de presse de 1881. D'autre part,
la communication au public est soumise aux règles posées par la
loi de 1881 et notamment la diffamation et l'injure. Néanmoins, dans le
cas de l'injure et de la diffamation non publiques, une sanction pénale
reste possible, non pas sur le fondement de la loi de 1881 mais sur le celui
des articles R 621- 1 et R 621-2 du code pénal, équivalente
à une contravention de première classe.
Sur Facebook, il est difficile de savoir si une diffamation ou
une injure mise en ligne est publique ou privée, le contenu litigieux
pouvant n'être accessible qu'à un nombre limité de
personnes. Pour pallier à cette difficulté de qualification de la
porté des propos, la jurisprudence a recours au critère
traditionnel de la « communauté d'intérêts ».
Selon M.
168 Article 2 alinéa 3 de la loi du 30 septembre 1986 tel
que modifié par la LCEN.
169 Article 1-IV alinéa 4 de la LCEN.
170 CA Paris 16 janvier 2003 CCE octobre 2003 p. 13, A.
Lepage.
171 Article 226-15 et 432-9 du code pénal.
Mayaud, cette notion peut être définie par
«l'appartenance commune, des inspirations ou des objectifs
partagés, formant une entité suffisamment fermée pour ne
pas être perçue comme regroupant des tiers par rapport à
l'auteur des propos »172.
En conséquence, les tribunaux retiennent pour permettre
de faire la différence entre le caractère public ou privé
d'un site Internet que « la sélection doit être
fondée sur un choix positif des usagers, par laquelle sont
assurés leur nombre restreint et, partant, leur communauté
d'intérêts »173. Dans cette hypothèse,
les dispositions de la loi de 1881 ne sont pas applicables à Internet. A
l'inverse, « la diffusion litigieuse sur le réseau internet,
à destination d'un nombre illimité de personnes nullement
liées par une communauté d'intérêts, constitue un
acte de publicité commis dès que l'information a
été mise à la disposition des utilisateurs
éventuels du site»174. Dans cette seconde
hypothèse, les dispositions de la loi de 1881 s'appliqueront.
Sur Facebook, la qualification du caractère public du
message reposera donc sur la circonstance que non seulement un nombre
limité de personnes a accès au message litigieux, mais
également au fait que ces personnes ne sont pas des tiers les uns par
rapport aux autres. Deux hypothèses sont donc à distinguer:si la
personne à l'origine du message a publié celui-ci sur son profil
et que ce profil est accessible à tous (par défaut ou par choix),
la publication sera certainement considérée comme publique.
Par contre, si le profil n'est accessible qu'à ses
seuls amis, le juge devra déterminer si les personnes sont unies par une
communauté d'intérêt. La Cour d'appel de
Paris175 a jugé qu'une pétition diffamatoire
adressée par courrier électronique et envoyée à une
centaine d'universitaires chercheurs était une diffamation publique. Les
juges avaient estimé que la communauté scientifique ne se
confondait pas avec la communauté d'intérêts, la
qualité d'universitaires chercheurs étant insuffisante pour
caractériser la communauté d'intérêts. Les juges
ayant une conception restrictive de la communauté
d'intérêts, une diffamation ou une injure publiée sur
Facebook serait donc le plus souvent considérée comme publique si
les propos litigieux sont accessibles à un nombre conséquent
d'amis.
172 Y. Mayaud, Revue de Sciences Criminelles, 1998,
p.104.
173 TGI Paris, référé, 5 juillet 2002, D.
2003 sommaire p. 1536 observations L. Marino.
174 CA Paris, 23 juin 2000, Légipresse, novembre
2000, III, 182, note C. Rojinsky.
175 Cour d'appel de Paris 16 janvier 2003 CCE octobre 2003 p. 13,
A. Lepage.
Si l'acte de publication est retenu, il sera également
nécessaire que le message litigieux présente un contenu
particulier pour être qualifié de diffamation ou d'injure (B).
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