A. L'application des règles ordinaires de protection
de la vie privée et de l'image Le droit à la vie privée
et à l'image sont des droits de la personnalité. Les droits de
la
personnalité peuvent être définis comme
« les droits inhérents à la personne humaine
quiappartiennent de droit à tout personne physique
(innés et inaliénables) pour la protection de
ses intérêts primordiaux
»104 La notion de droits de la personnalité est
assez récente. En effet, l'apparition de la protection de la vie
privée a été introduite dans le code civil à
l'article 9 dudit code par la loi du 17 juillet 1970105. Nous
envisagerons tout d'abord la protection civile de la vie privée et de
l'image (a) puis leur protection pénale (b). Dans cette partie ne seront
abordés que les aspects extrapatrimoniaux des droits de la
personnalité des personnes majeures sur Facebook, (les personnes
victimes d'atteinte aux droits de la personnalité dans les
réseaux sociaux étant majoritairement des personnes lambda.)
1) La protection civile de la vie privée et de
l'image sur Facebook
Nous verrons successivement le droit au respect de la vie
privée (a) et le droit à l'image (b) sur Facebook.
a/ Le droit au respect de la vie privée
La vie privée est un droit fondamental reconnu dans de
nombreux textes nationaux et internationaux.
Au niveau national, l'article 9 alinéa 1 du code civil
dispose que « Chacun à droit au respect de sa vie
privée ». Le Conseil Constitutionnel, par une décision
n° 99-416 DC datant du 23
104 Définition du dictionnaire Vocabulaire juridique de
l'Association Henri Capitant, édition PUF, 7e
édition.
105 Article 9 alinéa 1 du code civil.
juillet 1999, a considéré que le droit à
la vie privée était une composante de l'article 2 de la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Il lui a donc reconnu
une valeur constitutionnelle.
Au niveau international, deux textes importants
protègent la vie privée. Tout d'abord, l'article 12 de la
Déclaration Universelle des Droits de l'Homme adoptée par
l'Assemblée générale des Nations Unies le 10
décembre 1948 prévoit que « nul ne fera l'objet
d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou
sa correspondance, ni d'atteinte à son honneur ou à sa
réputation ». Ce principe a été repris et
détaillé à l'article 8 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
(CESDH) adoptée le 4 novembre 1950 et ratifiée par la France le 3
mai 1974 selon lequel « toute personne a droit au respect de sa vie
privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance
». Si le premier des deux textes n'a qu'une valeur
déclarative, le second a force obligatoire et peut être
directement invocable par les particuliers lors d'un
procès106. On remarque donc le souci qu'ont les
différentes organisations internationales de vouloir protéger la
vie privée.
Ces textes s'appliquent aux atteintes au droit à la vie
privée commises sur Internet en raison du principe de
neutralité technologique. En vertu de ce principe, issu des
travaux de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial
international (CNUDCI), aucune discrimination ne doit être faite dans
l'application du droit selon le support technologique utilisé. Les
solutions proposées par la jurisprudence pour les atteintes commises sur
support papier ont vocation à s'appliquer aux atteintes qui se sont
produites sur Internet et donc sur les réseaux sociaux. Ainsi la
diffusion sur un site Internet d'un article consacré à la vie
familiale et sentimentale d'un chanteur a été
considérée comme portant atteinte à sa vie privée
et à son droit à l'image107.
Le droit au respect de sa vie privée signifie que toute
personne est en droit de garder secrètes les informations concernant sa
vie privée et donc de s'opposer à toute révélation
la concernant. Comme la personne est maître de ses
révélations, elle peut donc a fortiori décider
quelles informations relatives à sa vie privée elle souhaite
divulguer. Appliquées à Facebook, ces règles signifient
que seul un membre du réseau social a le droit de divulguer sur le site
des informations relatives à sa vie privée.
106 Article 1 de la CESDH.
107 TGI Paris référé 2 avril 2008, RLDI
2008/37 n° 1145, observations L. Costes
L'article 9 du code civil ne précisant pas quelles
informations constituent des informations privées, les tribunaux ont du
déterminer le contenu de la sphère privée. Un inventaire
exhaustif de ces éléments n'étant ni possible (les
informations étant très nombreuses et ayant variées dans
le temps), ni le sujet de ce mémoire, il est préférable
d'analyser les informations postées sur les réseaux sociaux qui
pourraient être protégées par le droit à la vie
privée. Les informations susceptibles d'être
protégées sur les réseaux sociaux sont diverses : la vie
affective108, l'adresse du domicile d'une personne109,
l'état de santé110, l'image de la
personne111, la religion112, la vie
familiale113. La notoriété de la personne titulaire du
droit au respect de la vie privée est indifférente à
l'application du texte.
L'atteinte à la vie privée ne nécessite
pas la réunion des trois éléments de la
responsabilité civile de l'article 1382 du code civil qui sont une
faute, un préjudice et un lien de causalité. Depuis un
arrêt rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation
le 5 novembre 1996114, réaffirmé à plusieurs
reprises depuis, « la seule constatation de l'atteinte à la vie
privée ouvre droit à réparation ».
Le droit à la vie privée peut entrer en conflit
avec la liberté d'expression prévue à l'article 10 de la
CESDH et être limité par celle-ci. Ces deux droits ayant une
valeur normative identique, il appartient aux tribunaux de déterminer
selon le cas d'espèce lequel des deux droits doit prévaloir sur
l'autre. La solution sera fonction des circonstances, les juges devant mettre
en balance les différents intérêts invoqués.
Néanmoins, la jurisprudence a dégagé trois critères
généraux permettant de passer outre le consentement de la
personne.
Le premier critère susceptible d'être mis en
oeuvre est l'information du public ou la contribution à un débat
d'intérêt général. Si la vie privée d'une
personne est impliquée dans un événement
d'actualité, ou si la révélation d'informations intimes
contribue à un débat d'intérêt
général, l'importance de l'information légitime la
divulgation de sa vie privée. Par exemple, la Cour de cassation a
jugé que la révélation de l'appartenance à la
francmaçonnerie d'un certain nombre d'élus d'une
municipalité était licite car la révélation
108 Cass. Civ. 2e 24 avril 2003.
109 TGI Paris 2 juin 1976.
110 TGI Paris 23 octobre 1996.
111 Cf. voir B du paragraphe.
112 Cass. Civ. 1e 6 mars 2001.
113 La Maternité par exemple: Civ. 2e 5 janvier 1983
114 Bulletin civil I, n° 378.
s'inscrivait dans le contexte d'une actualité
judiciaire et permettait l'information du public sur un débat
d'intérêt général115. Appliqué
à Facebook, ce moyen de défense a peu de chance de
prospérer étant donné que les membres victimes de
révélations sont généralement des personnes
anonymes. La personne à l'origine de la divulgation aura la difficile
tâche de prouver que l'information qu'elle a publiée participe
soit à un débat d'intérêt général,
soit que l'élément divulgué sur la vie privée de la
personne est un événement d'actualité.
Le caractère anodin de l'information divulguée
chasse également l'atteinte au respect de la vie privée. La
révélation de la grossesse d'une princesse a par exemple
été considérée comme licite car
anodine116. Ce critère est difficile à manier car
très subjectif, ce qui est anodin pour une personne peut ne pas
l'être pour une autre. Ce critère joue également pour les
personnes anonymes et les personnes vulnérables telles que les mineurs
mais seulement s'ils sont impliqués dans un fait
d'actualité117. En effet, pour faire sortir la
révélation de la sphère privée, il faut que le
public ait un intérêt à connaître cet
élément118. Sur Facebook, le prévenu devra donc
non seulement prouver que l'intéressé est concerné par un
événement d'actualité mais également que
l'élément dévoilé est bénin.
Enfin, les faits déjà rendus publics sortent de
la sphère privée de la personne et peuvent être librement
divulgués119. La personne ayant donné son autorisation
à la révélation ne peut pas à l'heure actuelle
bénéficier automatiquement du droit à
l'oubli120. Le droit à l'oubli n'est plus qu'un argument
parmi d'autres que le juge prendra en considération dans la balance des
intérêts en jeu121. Seules les circonstances de
l'espèce peuvent conduire les juges à estimer que la rediffusion
de ces informations est fautive. Sur Facebook, si une personne rappelle des
faits déjà divulgués, elle pourra bénéficier
de cette exception. Toutefois, comme les propos sur Facebook peuvent constituer
des données à caractère personnel, (cf. infra B 2), la loi
Informatique et Libertés pourrait diminuer la force de cette
exception.
115 Cass. Civ. 1e 24 octobre 2006 ; legipresse 2007,
troisième partie p. 89.
116 Cass. Civ. 1e 19 février 2004 ; D. 2004
p.1633, C. Caron.
117 Cass. Civ. 2e 29 avril 2004.
118 Cass. Civ. 2e 25 novembre 2004 ; D. 2005 p. 2643,
A. Lepage, L. Marino, C. Bigot.
119 Cass. Civ. 2e 3 juin 2004; D. 2005 p. 2643, A.
Lepage, L. Marino, C. Bigot.
120 Cass. Civ. 1 20 nov. 1990, JCP 1992. II. 21908, obs.
Ravanas : arrêt rendu à propos du rappel, dans un livre, d'une
condamnation pénale. A cette occasion, la Cour de cassation a
refoulé le droit à l'oubli comme règle
générale du droit.
121 T. Hassler « Droits de la personnalité :
rediffusion et droit à l'oubli » D. 2007 p. 2829.
Toutes ces exceptions s'appliquent sous réserve du
respect de la dignité de la personne humaine122. Une image ou
des propos choquants diffusés sur Facebook seraient donc
sanctionnés pour atteinte à la vie privée sans que
l'auteur des propos ou de l'image ne puisse valablement invoquer la
liberté d'expression.
L'atteinte à la vie privée sur les
réseaux sociaux est souvent réalisée par la mise en ligne
d'une photographie pour laquelle la personne représentée n'a pas
donné son consentement. Cette atteinte au droit à l'image doit
donc être abordée (b).
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