II-1- Les avantages du dépistage
Selon le rapport32 du Ministère de la
santé, les avantages et les inconvénients du dépistage
peuvent être formalisés en termes de comportements. En effet,
l'ajustement du comportement tant préventif du point de vue sexuel que
les possibilités d'engagement aux protocoles thérapeutiques sans
oublier celui nutritionnel ne peuvent être mis en oeuvre sans une
connaissance préalable de la sérologie. Le fait est qu'en
l'absence de connaissance de la sérologie la légitimité du
comportement paraît moins évidente alors que seul le
dépistage permet un comportement en toute connaissance de cause comme le
reconnaît Salam (22 ans, musulman, 2ème année
topographie, adhérent) qui s'est fait dépister :
« C'est très intéressant de savoir si on
est positif ou négatif puisque ça peut contribuer à bien
organiser le futur en quelque sorte. Si toutefois tu es atteint, tu peux
essayer de t'abstenir, de poursuivre les centres médicaux pour les
traitements. Et si tu n'es pas atteint, tu peux essayer de prendre plus de
précautions pour ne pas un jour l'avoir. »
L'un des avantages du dépistage est effectivement la
connaissance précoce du statut sérologique pour une mise en
oeuvre de soins préventifs et traitements contre les infections
opportunistes et ultérieurement, au regard de l'état biologique,
la mise en oeuvre du traitement anti-rétroviral, en cas d'infection.
Cet avantage de pouvoir ajuster le comportement
thérapeutique semble connu et reconnu par certains élèves
. Cependant, la question de la prévention des infections opportunistes
est ignorée et seul l'aspect du traitement ARV fait l'objet des
discours. Ainsi, Amadou (19ans, musulman, terminale F1, réticent)
32 Ministère de la santé, Normes et
procédures. Prise en charge de l'adulte infecté par le VIH,
présente à la page 8 les différents comportements
avantageux liés au test négatif ou positif ainsi que les
comportements désavantageux qui peuvent se lier au test positif.
bien que n'ayant pas fait son test reconnaît cet
avantage du dépistage en ces termes :
« Il y a des avantages puisque si on est au courant
tôt, on peut se faire prendre en charge ; là peut-être que
ça va diminuer un peu la progression du virus parce que le nombre de
virus qui était dans le sang par rapport à la prise des ARV, on
peut diminuer ça. Ça peut te permettre de vivre plus longtemps
que si tu laisses les virus se propager, se multiplier rapidement. Mais si on
est au courant et qu'on a la chance, on peut se faire prendre en charge.
»
L'ajustement du comportement est aussi sexuel et se
présente dans les deux cas de figures pouvant résulter du
dépistage à savoir en cas de sérologie positive ou en cas
de sérologie négative.
Dans le premier cas, l'ajustement du comportement sexuel
consiste à se protéger contre la réinfection et la
surinfection et à protéger ses éventuels partenaires
sexuels de l'infection. Cette double exigence du comportement sexuel est connue
des élèves et Robert (22 ans, catholique, terminale F3,
adhérent) qui n'est pas sans savoir cela, dit ceci :
« Je sais que faire le test de dépistage c'est se
mettre en confiance avec soi-même d'abord. Et puis, ça permet si
on est atteint de limiter les dégâts si on est conscient bien
sûr. Par exemple si on n'avait pas fait le test, si on est infecté
on peut par là infecter pleins d'autres personnes sans le savoir,
involontairement. Mais si on a fait le test et puis on est infecté, on
sait qu'en continuant de faire[des rapports sexuels], tu perds tes forces et tu
es exposé à être en contact avec d'autres sidéens.
»
Dans le second cas, le comportement sexuel de
prévention acquiert toute sa légitimité et peut de ce fait
faire l'objet de plus de précaution pour ne pas s'infecter. Ce
comportement de prévention n'est pas ignoré non plus et Lauraine
(20 ans, catholique, terminale G2, réticente) qui n'a pourtant pas fait
le dépistage se disposerait à pareil comportement en
déclarant :
« Si je fais et puis je me rends compte que je ne suis
pas atteinte, je serai tellement contente que je vais tout faire pour ne pas
contracter le sida. »
Les avantages du dépistage sont l'ajustement des
comportements en toute connaissance de cause de la sérologie.
L'ajustement du comportement sexuel de prévention de soi et de
prévention des autres est un avantage connu par nos interviewés.
L'ajustement du comportement thérapeutique en cas d'infection est aussi
connu comme un avantage mais est réduit au seul aspect de la mise sous
traitement ARV. Les autres avantages tels que le conseil nutritionnel, l'appui
psychosocial ne sont pas mentionnés par les élèves. Si
l'on ne peut absolument pas dire que tous les enquêtés connaissent
tous les avantages, tous ont pourtant envisagé négativement au
moins un scénario du type que se passera-t-il si le test est positif
?
1I-2- Les désavantages du dépistage en cas
d'infection
Les désavantages du dépistage sont des perceptions
que les élèves lient à la connaissance du statut
sérologique surtout dans le cas de la sérologie positive.
1I-2-1- Le futur menacé
En face du dépistage, l'hypothèse de l'annonce
d'un statut sérologique positif est perçue comme la survenue d'un
événement redoutable. La perception négative de
soi-même en tant que personne amoindrie des points de vue psychologique
et social due à l'infection par VIH se pose alors sur le futur comme le
montre ce propos de Rose qui se demande comment elle continuera sa vie :
« L'année passée ils sont venus, il y a des
élèves de notre classe qui l'ont fait mais je l'ai pas fait. Si
toutefois je partais faire le test du sida et j'étais
séropositive, toute ma vie allait être bouleversée par
cette nouvelle. Ce qui fait que je ne veux vraiment pas faire le test. C'est
pas la peur de l'entourage ! C'est surtout ma vie à moi. Quand je vais
savoir que je suis séropositive, ça va beaucoup changer ma vie.
Je me demande si j'aurai vraiment le courage encore de persévérer
; je me demande si je ne vais pas tout abandonner...l'école... »
(Rose : 20 ans, catholique, 2ème année
comptabilité, réticente)
Ainsi, la conséquence immédiatement
perçue ici paraît inhérente d'abord au statut même
d'élève qui s'effondrait avec l'annonce d'un statut
sérologique positif.
Mais en fait, derrière l'anéantissement du
statut d'élève, ce sont les perspectives même du futur,
compte tenu du statut actuel d'élève, qui s'évanouissent
comme le pense Amadé (19ans, musulman, terminale 1ère
G2, réticent) qui voit tous ses efforts simplement réduits
à rien :
« Le fait même que je suis élève, je
continue le combat ; j'allais perdre beaucoup de courage et en ce moment tout
mon combat c'était pour rien maintenant. »
Cette catégorie de perception est
particulièrement présente chez les interviewés en classe
d'examen comme le rapporte Sanatou (21 ans, musulmane, 2ème année
comptabilité, réticente) qui craint d'être perturbée
à son examen :
« Ils sont venus faire ça [le dépistage]
à l'école mais moi je n'avais pas envie pas de faire ça
cette année. Moi je supporterai mal quoi ! je pense pas que je pourrai
tenir dans une classe d'examen si j'apprends une mauvaise nouvelle ... avec le
BEP et le bac...Je préfère attendre l'année prochaine
après les examens. »
Ce conflit interne à la personne elle-même
faisant qu'elle n'arrive plus à se projeter dans l'avenir peut se
doubler soit d'une perception de culpabilité envers son entourage proche
ou un mépris de soi. Natacha (20 ans, catholique, terminale G1,
réticente) confie à ce sujet :
« C'est un cauchemar, je n'ose même pas imaginer !
Parce que en fait, quand tu as le sida, toimême, c'est pas toi-même
le problème, c'est l'entourage, l'effet que tu fais aux proches. Par
exemple, il ne serait pas intéressant que mon papa apprenne que sa fille
est atteinte du sida. Moralement il sera abattu. Tout, en fait tout, même
s'il a des projets, il a des millions, en fait tout d'un côté
ça va basculer. »
Et Amadou (18 ans, musulman, 1ère F3,
adhérent) tient ce propos :
« Même si autour de toi on ne te méprise
pas, toi-même tu vas te mépriser si tu vois tous les projets que
tu as eus à mettre en place pour le futur. »
L'annonce d'un statut sérologique positif est
perçu comme une menace du futur. Cette perception de leur futur qui
«s'écroule » par certains élèves, abandon de
tout, incapacité à se projeter dans l'avenir, est en fait la
perception des conflits multiples et multiformes qui peuvent survenir avec
l'avènement d'une sérologie positive. Ces conflits se rencontrent
dans la réalité des personnes infectées comme le rapporte
Issa (psychologue et chargé de l'accompagnement psychosocial des PVVIH
dans une association) en ces propos :
« Les problèmes sont multiformes. Il y a des gens
qui ont des conflits intra familiaux c'est-àdire un conflit qui a
été suscité par le VIH et il y a beaucoup
d'incompréhensions, beaucoup de souffrances. A côté de
ça, il y a aussi comment la personne vit cette maladie personnellement ;
parfois cela les amène à une autodépréciation qui
fait qu'ils baissent les bras ou peut les amener à ne plus se battre
alors que non ! Donc, ils sont multiformes, multidimensionnels, des conflits
inter relationnels entre l'intéressé et son entourage, des
conflits internes à la personne elle-même soit qu'elle se
culpabilise, soit qu'elle n'arrive plus à se projeter dans l'avenir, ce
qu'on peut appeler la dépression pure et dure. »
Le «monde qui s'écroule » est présent
chez nombre de nos interviewés, adhérents comme réticents.
Il s'agit d'une perception des nombreux conflits multiples et
multidimensionnels que peut susciter l'infection du VIH.
1I-2-2-L'accusation
Elle se présente dans les discours comme une
déviance sur le plan comportemental sexuel et l'élève a
peur d'en être accusé. La perception populaire de l'infection du
VIH donne une place prééminente à la transmission par voie
sexuelle sur les autres modes de transmission mettant systématiquement
en cause le comportement sexuel. L'infection est alors perçue comme la
conséquence d'un écart avec l'ordre social régissant le
comportement sexuel. C'est la déviance portant le cliché social
de `vagabondage sexuel '.
Sanatou (21 ans, musulmane, 2ème
année comptabilité, réticente) rapporte à ce sujet
:
« Si on dit :'j'ai le sida', les gens voient seulement que
c'est sur le côté sexuel qu'on a attrapé ; donc on vous
qualifie de quelqu'un qui n'est pas du tout sérieux. »
De même, Léonard (21 ans, catholique, terminale G2,
réticent) préfère rester dans l'ignorance de son statut
sérologique que d'affronter cette étiquette :
« Les gens ont tendance à dire que quand tu as le
VIH c'est le vagabondage sexuel. Pourtant !
Comme on ne peut pas changer la mentalité des gens, je
préfère rester dans l'ignorance. »
Cette mise en accusation du comportement sexuel, à tort
ou à raison est le fait que le dépistage volontaire est
présenté par la Santé Publique comme la norme à
laquelle il convient de souscrire. Or, «les propositions qu'elle [la
Santé Publique] énonce, aussi bien en termes de
réalité observée qu'en termes de normes prescrites,
s'inscrivent dans un rapport à la fois symbolique et matériel au
monde social... » 33
Ainsi, le dépistage paraît dans la perception
populaire non pas comme un but ( connaître son statut sérologique
pour agir conséquemment) mais plutôt comme un moyen
(contrôler l'éventuelle déviance sexuelle de l'individu).
Cet hiatus entre la norme et la perception de la norme s'explique par le fait
que la logique que sous-tend le dépistage (démarche volontaire)
est inhabituelle et se perçoit populairement comme un aveu de
culpabilité du comportement sexuel. Indépendamment donc de la
réalité comportementale sexuelle d'un individu, toute personne
infectée est dans l'apriorité perçue comme déviant
sexuel. Cette réaction sociale d'accusation de la sexualité est
perçue par les élèves.
Léonard (21 ans, catholique, terminale G2,
réticent) imaginant l'accusation la présente en ces termes :
« On t'indexe :'est-ce que tu sais que celui c'est un
vagabond sexuel ? »
Valérie (18 ans, catholique, 1ère G2
adhérente) elle, perçoit la scène d'accusation de la sorte
:
« On te regarde bizarrement, toujours tu es le vif du sujet
: `ouais! c'est comme ça, je savais que ç'allait être comme
ça... »
Le procédé d'accusation est donc sans
équivoque : l'infection par VIH sera perçue comme la
conséquence d'une déviance sexuelle que le dépistage
permet de révéler indépendamment donc de tout comportement
sexuel. C'est à cette conclusion que parviennent les discours y relatifs
et bien résumés par Georgette (21 ans, catholique, terminale G2,
adhérente) qui se dit qu'en cas de séropositivité, elle
est certaine d'être accusée et culpabilisée sur le plan
sexuel :
« Si aujourd'hui j'ai le sida, je sais que c'est pas par
rapport aux rapports sexuels [mais] je sais forcément que quand-
même les gens vont dire :'elle n'était pas sérieuse'.
»
33 DOZON Jean Pierre, , in Critique de la Santé
Publique. Une approche anthropologique, Balland, Paris, 2001, p9.
La très forte connotation sexuelle de l'infection
engendre une accusation systématique d'une «sexualité
vagabonde ». Ce cliché social de déviance sexuelle est
perçu et redouté aussi bien par des élèves
réticents qu'adhérents au test sérologique VIH.
1I-2-3-Le rejet
La réaction de rejet par l'entourage est perçue
comme la perte des liens sociaux avec l'environnement immédiat (famille,
amis) soit comme un rejet total par la société. L'origine de la
crainte, c'est donc «l'autre » : comment réagira-til en face
d'une personne infectée ? Cette perception de rejet est fondée
sur l'altérité négative qui est la réaction
négative à l'égard des «autres » en cas
d'infection. Issouf (24 ans, musulman, terminale E, adhérent) tient
à ce propos, la préoccupation suivante :
« Sincèrement dit (...) j'avais peur d'aller faire
le test et puis voir que j'étais séropositif. Au fait,
c'était vis-à-vis des autres que j'avais peur d'aller faire le
dépistage. (...) leurs regards, la manière dont mes amis vont me
considérer ; ils ne seront plus comme ils étaient avant sachant
que j'ai la maladie : ils allaient me repousser. »
Mais, «l'autre » qui pourrait réagir de
façon négative, c'est aussi la famille :
« Supposons que tu as le VIH !Qu'est-ce que ton entourage va
dire ?
Tes parents, comment ils vont réagir ? Tout
ça-là, ça ne pousse pas hein ! »
déclare Sylvie (18 ans, catholique, 1ère
G1, réticente) .
L'incertitude de la réaction que l'entourage pourrait
développer est pourtant bien fondée dans la réalité
comme le témoigne Emile (médecin chargé de la prise en
charge médicale dans une association ) qui relate l'expérience
décevante d'une de ses patientes:
« Les gens n'ont toujours pas compris ! Moi, ce matin,
parmi mes patients, il y a une qui m'expliquait que elle a discuté avec
son grand frère ; le grand frère, il semblait être
informé et il dit que vraiment, actuellement il y a beaucoup de trucs
pour les malades du sida. Donc, elle s'est dit que c'est le moment pour l'en
informer parce qu'elle a fait son dépistage depuis deux ans et elle ne
savait pas comment dire à son frère. Maintenant que son
frère à commencé à parler comme ça, elle a
confié sa sérologie et la réaction de son frère,
c'était le contraire. Il dit qu'il imagine ça chez les autres
mais pas chez lui. Donc il a commencé à repousser sa petite
soeur, il ne veut même plus utiliser les mêmes objets qu'elle :
commencer à la rejeter carrément. »
La réaction de rejet toujours actuelle dans la
société peut se justifier du fait de l'ancrage historique des
images négatives sur le sida avec particulièrement
l'altérité négative consistant au rejet de l'infection
uniquement imaginée possible chez l'autre. L'altérité
négative est la conséquence de l'ancrage historique de la
«sexualisation du sida » aboutissant à «faire porter
la responsabilité de la transmission et de la prévention sur les
individus, selon le principe classique
consistant à blâmer la victime
»34 comme déviant sexuel et opprobre familial. De
même, les premières informations diffusées sur le sida
l'ont présenté comme une maladie grave :
« Quand vous prenez les premières
publicités qu'on a fait du sida, on a fait voir le sida comme
étant une maladie grave, pas comme les autres quand bien même
après on a essayé de rattraper l'information. Mais c'est
resté quand-même ancré dans les mentalités
aujourd'hui. » Ahmed (président du cercle de relais sida du LTO)
La menace de rejet perçue demeure donc réelle.
Elle s'étend et apparaît comme une menace de rejet venant de la
société. « L'autre », dont on a peur de la
réaction, c'est tout le monde et à la fois personne, c'est la
réaction de la société en général. comme le
présume Assita (20 ans, musulmane, terminale E, adhérente) par ce
propos:
« Imagine, tu as le sida ! Tout le monde va de minimiser.
Qui va s'approcher de toi ? Même tes parents vont te fuir. Faut pas !
Parce que tout le monde va te fuir. »
La perception du rejet est présente chez nos
interviewés, adhérents et réticents. Cette perception de
la réalité est assez fondée, le contexte étant
toujours marqué par une image négative de l'infection par le
VIH.
1I-2-4-L'issue fatale
La perception de l'issue fatale de l'infection par VIH
présente la mort inexorable comme intervenant au terme d'une
déchéance physique profonde et comme fondant la différence
entre le sida et les «autres maladies » :
« C'est une maladie comme les autres mais les autres
maladies...je peux dire des maladies tolérantes, des maladies qu'on peut
soigner. Mais le sida ! Le sida vraiment, compte tenu qu'on n'a pas de produit
qui puisse soigner, c'est une maladie qui fini chaque fois par la mort
»
déclare Salam (22 ans, musulman, 2ème
année topographie, adhérent) .
Cette issue fatale se présente donc en dépit de
tout ce dont on peut disposer pour s'arracher de la mort. C'est en fait la
perception d'une impuissance due à l'absence de traitement curatif
assimilant l'infection par VIH à la mort. Mais cette perception de la
réalité fausse la réalité elle-même à
cause de la confusion entre traitement prophylactique et traitement curatif
d'une part et d'autre part entre séropositivité et « sida
maladie », ravalant ainsi toute possibilité médicale comme
dans ces propos:
« ça évoque la mort bien sûr !Tu as
ça, quand tu as ça, c'est la mort parce que de toute
manière même si tu luttes comment comment ça va finir par
t'emporter : il n'y a pas de médicament ! » Sylvie (18 ans,
catholique, 1ère G1, réticente)
34 FASSIN Didier, L'anthropologie entre engagement et
distanciation. Essai de sociologie des recherches en sciences sociales sur le
sida en Afrique, Karthala, 1999, p51.
« On est sûr seulement qu'on va mourir ! Sinon parlant
même des ARV et consorts-là, ça ne va nulle part. Ce qui
est sûr, c'est le tombeau seulement. » Marcel (20 ans, catholique,
1ère G2, adhérent)
A cette confusion de l'information à l'origine de la
perception s'ajoute un élément subjectif non moins important,
également consubstantiel de cette catégorie de perception.
En effet, « la connaissance de son statut
sérologique impose en elle-même la recherche d'un traitement,
indépendamment d'une quelconque souffrance physique. »
35. Autrement dit, l'une des principales préoccupations en
face de la «maladie », c'est le désir de guérir. La
connaissance de son statut sérologique impose donc en elle-même ce
désir de guérison qui demeure cependant sans solution, du reste
pour le moment. C'est cette préoccupation qui apparaît dans cet
extrait d'entretien avec Rose (22ans, catholique, 2ème
année comptabilité, réticente) qui déclare ceci
:
« C'est vrai qu'on voit souvent à la
télé des associations qui proposent la prise en charge des
malades du sida. Mais pour moi ça ne resoud pas le
problème puisque ça ne guérit pas. »
L'écho direct de cette absence de traitement curatif
est alors la perception du traitement anti-rétroviral comme le
prolongement des souffrances des personnes infectées. En fait, c'est
toute la dimension chronique36 du SIDA qui est ainsi perçue
dans ces deux traits caractéristiques : la longue durée et le
problème de la gestion des implications sociales de la maladie
chronique. En effet, en tant que maladie chronique, «la personne
malade doit être appréhendée non seulement à partir
de sa trajectoire de maladie mais aussi de sa biographie personnelle dans
laquelle cette même trajectoire s'insère.
»37Autrement dit, la gestion du malade implique les liens
sociaux du malade, parents, amis, etc. autant que durera la maladie dans toutes
ses phases :
« Avec le sida tu vas souffrir, tu vas faire souffrir tes
parents, ton entourage, tes amis. Ils vont mettre beaucoup de capitaux mais
ça ne va rien donner, ça ne va rien changer. Ce qui est sûr
tu vas mourir. Mais si c'était une autre maladie, peut-être... Y a
des maladies qui durent comme ça mais c'est pas comme le sida ; tu vas
mourir pour les libérer aussi. Mais avec le sida, y en a qui sont
là, qui traînent mais on ne peut pas les laisser parce que il y a
les sentiments qui sont toujours là. Mais si c'est les autres maladies,
c'est mieux, tu vas même pas traîner. » Marcel (20 ans,
catholique, 1ère G2, adhérent)
« De toute façon tu va partir [mourir] un jour
(rire). C'est pas la peine de prendre les anti retro ou bien c'est quoi
là même ! Tu prolonges ta vie, tout le monde sera fatigué
de toi. Tu es là, tu ne meures pas, c'est pas cela ! De toute
façon tu ne vas même pas vivre. » Assita (20 ans, musulmane,
terminale E, adhérente)
35 VIDAL Laurent, Le silence et le sens. Essai
d'anthropologie du sida en Afrique, Paris, 1996, p29.
36 GODENZI Alberto, et al , 2001, pp 11-12 citant
BASZANGER Isabelle caractérisent la chronicité par la longue
durée mais surtout par le problème de la gestion quotidienne de
la maladie sur cette longue durée.
37 GODENZI Alberto et al, op.cit, p13
Ce qui fonde toujours une telle perception peut aussi être
l'ignorance des atouts actuels de la médecine. En effet, comme le
déclare Issa, psychologue : « iiy a aussi l'ignorance qui fait
que les gens croient qu'on ne peut pas soigner une
personne qui est malade. Jusque là beaucoup de gens
ont ce raisonnement-là alors qu'ils ne savent pas que aujourd'hui les
médecins sont formés, ils peuvent traiter les infections
opportunistes. Les gens ignorent les atouts de la médecinei
L'infection par VIH est perçue par certains
élèves comme la mort. Cette perception se fonde sur une confusion
entre soigner et guérir et une ignorance des possibilités
médicales actuelles.
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