CHAPITRE IV Les déterminants au dépistage
et leurs influences
Le choix de comportement développé par nos
enquêtés peut être rendu compréhensible par la mise
en évidence de déterminants dont la vulnérabilité
de l'élève et les interactions favorables dans le cadre familial
ou celui des pairs.
IV-1-La vulnérabilité
La biographie sexuelle, vulnérable ou non
vulnérable par la présence ou l'absence de rapports sexuels
protégés ou non protégés influence le choix de
comportement.
1V-1-1- Les influences de la biographie sexuelle non
vulnérable
L'absence de tout rapport sexuel dans la biographie sexuelle
peut rendre la nécessité du dépistage injustifiable
à cause de la très forte connotation sexuelle de l'infection. En
effet, parmi les élèves qui n'ont pas fait le test de
dépistage, comme le rapporte Ahmed (Président du cercle de relais
sida au LTO), «il y en a qui disent carrément qu'ils ont un
comportement normal, ils n'ont pas à s'en faire. Ce qui est sûr
ils savent qu'ils ne sont pas atteints ; et ils ne sont pas atteints parce
qu'ils n'ont pas eu d'approches sexuelles. Donc ça fait qu'ils
préfèrent ne même pas venir. »
Ce discours, rapporté, est effectivement celui que
présentent certains réticents dont la biographie sexuelle est
vierge de tout rapport sexuel. C'est cela qui est clairement exprimé par
Carine (18 ans, protestante, 1ère G2, réticente) qui
bannit toute possibilité de contamination par la voie sexuelle :
« Dès le début, j'ai été
catégorique. Je lui [son amoureux] ai dit ce que j'avais choisi comme
méthode pour éviter... c'est pas seulement pour éviter le
sida et les IST ! Je pense qu'en faisant cela [rapport sexuel] avant le
mariage, cela va porter atteinte à ma paix intérieure. Donc, on
ne parle même pas de ça. C'est à bannir. Je suis sûre
à 99% que je ne suis pas atteinte. »
Il apparaît alors qu'une fois la principale voie
d'infection bannie, le risque comme probabilité d'infection en fonction
de la vulnérabilité sexuelle, est quasiment nul. Une
«légitime assurance » certaine contre le VHI est alors
développée, rendant du même coup le dépistage sans
nécessité : en effet, pourquoi chercher à connaître
sa sérologie si «l'on sait » déjà qu'on n'est
pas infecté ? C'est alors que le but proposé par le
dépistage devient nul.
La réduction de l'infection au seul aspect sexuel de la
transmission peut donc développer un refus du dépistage. La
nature de ce refus est une altérité négative consistant
ici à se disculper. C'est ainsi que Carine (18 ans, protestante,
1ère G2, réticente) poursuit en ces termes :
« En tout cas, ce qui est sûr je ne me
soupçonne pas (rire). Je veux dire que je n'ai rien fait qui puisse me
donner le sida. Donc, je ne me soupçonne pas d'avoir le sida. C'est pour
cela que je ne suis pas allée faire. »
En se réfugiant derrière cette
altérité négative `de refus', en fait, le contentement
n'est pas uniquement de se «blanchir » mais aussi et surtout de
culpabiliser la sexualité de «l'autre » :
« Tu sais ce que tu as fait avant d'aller faire le
dépistage. Donc moi je sais ce que j'ai fait ; je ne suis pas
pressé d'aller faire le dépistage »,
insinue Bernard (18 ans, protestant, 1ère E,
réticent).
« L'autre », celui qui accepte de se faire
dépister, c'est alors celui qui reconnaîtrait sa
vulnérabilité par la sexualité. Ce témoignage de
Salam (22 ans, musulman, 2ème année topographie,
adhérent) confirme cette altérité négative
présente chez les réticents immaculés de rapport sexuel
:
« A voir la manière dont le gars il explique les
choses, que lui il n'est pas une personne qui drague les filles, qui a des
rapports sexuels avec des filles, lui il n'a jamais des rapports sexuels avec
des filles... Il veut faire comprendre seulement que lui il n'a pas de rapports
avec les filles donc il ne peut pas être atteint. »
L'absence de rapport sexuel dans la biographie sexuelle est un
déterminant au dépistage sous-tendu par une
altérité négative qui accuse la sexualité de
l'autre comme la justification de son adhésion au dépistage.
Mais le cas inverse peut se produire. En effet, si la
biographie sexuelle vierge peut entraîner le refus, elle peut être
à l'origine aussi d'un comportement d'acceptation du dépistage.
Ce cas est le plus observé parmi les adhérents. Ce comportement
d'adhésion se trouve également soutenu par une
altérité négative dont l'expression est l'envers de
l'altérité négative conduisant au refus. Alexis (22 ans,
catholique, 2ème année comptabilité,
adhérent) en donne l'essence par ce propos :
« J'étais confiant. Je ne peux pas dire à
100% mais j'étais sûr que j'étais
séronégatif. Là où je pouvais douter,
c'était concernant les objets souillés ;mais sinon,
jusqu'à présent je n'ai pas encore connu de rapports sexuels. Ce
qui me mettait en confiance, qui me poussait en tout cas à faire le
dépistage. »
L'altérité négative d'adhésion
confère donc la même «légitime assurance » contre
l'infection. L'absence de vulnérabilité sexuelle inhibe aussi
presque
totalement le risque et tout comme dans le cas de refus,
l'altérité négative d'adhésion accuse
également «l'autre » d'être vulnérable sur le
plan sexuel et donc ayant une raison nécessaire de refus :
« Moi j'ai fait mon test ! moi j'ai pas peur là. !
C'est parce que tu sais que tu as fait quelque chose que tu as peur. Il y a des
élèves qui ont refusé de faire » ,
accuse clairement Assita (20 ans, musulmane, terminale E,
adhérente) .
` Je suis confiant', `je n'ai rien fait', `je n'ai rien
à me reprocher', `mon coeur est blanc' sont autant d'expressions
d'accusation qui se relèvent dans les deux cas de
l'altérité négative. Il se crée alors comme un
paradoxe de l'altérité négative :dans le cas de refus,
l'altérité négative consiste en ceci : « ceux qui
vont faire le dépistage ont un motif de doute qui est leur
vulnérabilité sexuelle. Je n'ai pas eu de relations sexuelles,
donc je ne vois pas pour quelle raison je ferai le dépistage » ; au
contraire, l'altérité négative d'adhésion affirme
ceci : « Il n'y a pas de raison que je refuse le dépistage puisque
je n'ai pas eu de relations sexuelles. Ceux qui refusent le test se reprochent
leur vie sexuelle ».
En réalité, ce qui apparaît comme un
paradoxe ne l'est pas. Il s'agit plutôt de l'expression unique et totale
de l'accusation (II-2-2). Comme on peut le constater, l'accusation de
déviance sexuelle apparaît clairement et de façon
réciproque entre élèves adhérents et
élèves réticents. Ce qui nous permet de conclure de
façon réaliste que l'accusation spontanée de la
sexualité de «l'autre », perçue par les
élèves et mise en oeuvre par eux également, est le reflet
exact de la perception populaire prégnante dans la
société.
En dernière analyse, nous constatons que parmi les
élèves qui présentent une biographie sexuelle non
vulnérable, les adhérents au dépistage ont un âge
oscillant entre 18 ans et 22 ans avec toutefois une concentration de
l'âge entre 20 et 22 ans. En observant l'âge de la minorité
non vulnérable réticente au dépistage, il varie entre 17
ans et 21 ans avec une concentration entre 18 ans et 19 ans. La tendance
globale est donc que les adhérents non vulnérables sont plus
âgés que les réticents. L'altérité
négative caractérisant le refus se lie donc beaucoup plus
à la jeunesse des enquêtés. Au contraire,
l'altérité négative caractéristique de
l'acceptation semble plus le comportement des plus âgés.
1V-1-2- Les influences de la biographie sexuelle
vulnérable
La vulnérabilité sur le plan sexuel ôte
à l'élève la «légitime assurance » contre
le VIH au contraire des cas précédents. La perte de cette
«légitime assurance » se comprend aisément, la voie
sexuelle se présentant comme le principal mode de transmission. Le
risque prend ici une valeur probable non
nulle, peu élevée ou élevée ; et
plus le risque sera évalué grand moins l'élève
vulnérable se sent assuré.
A ce titre, le cas d'Amadé (19 ans, musulman,
1ère G2, réticent) illustre à souhait cette
influence de la vulnérabilité. Il a déjà eu des
relations sexuelles non protégées avec de multiples partenaires
:
« Parfois c'est dans les show comme ça, moi je
suis un jeune, je m'intéresse au show. Donc parfois dans ça,
c'est des amies du quartier, on se rencontre, on échange, on finit par
s'engager dans la chose. Elles n'ont jamais dit qu'elles auraient dû
avoir des relations sans être protégées mais moi
particulièrement ça me venait instinctivement comme ça
d'avoir des relations [sexuelles] non protégées. Mais maintenant,
j'ai vraiment pris position pour ne pas risquer »,
raconte-t-il.
L'influence de cette vulnérabilité due au
multipartenariat sexuel, et aggravée par la non protection des rapports
sexuels se fait sans appel pour Amadé qui poursuit :
« C'était la peur. Je me disais que je n'allais
même pas faire le test jusqu'en ce moment. Le fait d'avoir eu des
rapports sexuels parfois protégés, parfois non
protégés, il y avait la crainte, la peur même tout en
sachant que c'est une maladie fatale. »
Ce même cas est celui d' Awa (19 ans, musulmane,
terminale G1, réticente). Elle a eu son premier rapport sexuel à
17 ans et a déjà connu deux partenaires sexuels et avec le
dernier, la protection n'a pas été observée. Elle confie
:
« Je ne suis pas confiant. J'ai eu une aventure non
protégée avec quelqu'un qui n'est pas vraiment du tout
conseillé. Je parle parce que j'ai appris que la personne n'était
pas... C'est quelqu'un qui n'est pas du tout tranquille, qui a beaucoup de
relations avec les filles ; le genre de pas du tout conscient pour ne pas dire
dangereux. »
La vulnérabilité sexuelle ne met donc pas
l'élève dans une position d'être motivé de faire le
test VIH car le risque prend une valeur probable élevée. C'est ce
que ce témoignage d'Alexis (22 ans, catholique, 2ème
année comptabilité, adhérent) achève de convaincre
:
« Par exemple l'année passée, parmi mes
amis, certains ont refusé de faire le test soi-disant qu'ils avaient eu
des comportements à risque et cela ça ne les mettait pas dans une
position d'être motivés de faire le test. Le plus souvent, ce sont
des rapports sexuels non protégés et avec des personnes que ces
personnes considèrent douteuses. »
La présence de la vulnérabilité sexuelle
peut conduire au refus du dépistage. L'élève perd la
« légitime assurance» conférée par la non
vulnérabilité sexuelle. Mais, en dépit de leur
vulnérabilité sexuelle, certains enquêtés ont
accepté le dépistage.
Ces cas observés ne sont pas nombreux. En outre, d'une
part il s'agit d'élèves ayant bénéficier
d'interactions favorables et d'autre part, il s'agit tous de rapports sexuels
protégés qui n'enlèvent donc pas totalement à
l'élève sa «légitime assurance » contre le VIH.
La valeur probable du risque dans ce cas est peu élevée. Le
dépistage fonctionne alors comme un moyen de recouvrer sa
«légitime assurance» en éliminant un doute minimal,
jugé quelconque. Valérie (18 ans, catholique,
1ère G1, adhérente) confie à ce sujet :
« Il n'y a pas ce jour-là où on a fait [des
rapports sexuels] sans préservatif »,
et elle poursuit :
« Chaque jour on voit à la télé,
dans ce pays, il y a tant de séropositifs, partout on parle de sida ; je
me suis dit pourquoi ne pas aller faire ton test pour voir ce que ça va
donner parce que on n'en sait jamais. J'ai fait et puis je suis
séronégative, donc ça me permet de positionner sur quelque
chose de précis. »
On peut aisément remarquer qu'elle voulait se rassurer
en éliminant définitivement tout doute sur la question de son
statut sérologique. C'est ce même besoin d'extirper le doute qui a
conduit aussi Djénabou (20 ans, musulmane, 2ème
année CAS, adhérente) au dépistage :
« En fait, je me suis dis : même si je me
protège, peut-être que j'ai pu l'avoir comme ça. Donc
ça fait que je voulais être sûre de moi. »,
déclare-t-elle.
La vulnérabilité due aux rapports sexuels non
protégés peut influencer négativement et conduire au refus
du test. Le risque est évalué élevé par le sujet
qui s'exclut de ce fait de l'aire de toute assurance. Mais en situation de
risque évalué peu élevé, (situation de moindre
vulnérabilité évidemment) l'acceptation du
dépistage apparaît comme une réassurance.
En examinant le comportement des élèves
vulnérables en fonction de leur âge et de leur sexe, les tendances
observées sont inverses aux cas des élèves non
vulnérables. En effet, les expériences vulnérables
apparaissent plus dans la biographie sexuelle des filles que des
garçons. Concernant l'âge, celui des réticents
vulnérables varie de 18 ans à 22 ans avec une concentration entre
19 ans et 21 ans alors que l'âge des adhérents vulnérables
court entre 18 ans et 20 ans. En situation de vulnérabilité, les
plus jeunes adhèrent alors que les plus âgés refusent le
dépistage.
Les facteurs favorisant cette vulnérabilité sont
multiples et divers. Les espaces sociaux des rencontres entre filles et
garçons sont préférentiellement le lycée et le
quartier sans un marquage de disjonction entre ces deux espaces car les
réseaux de sociabilité les lient. C'est cet
emboîtement des espaces de rencontres que livre le discours de
Djénabou (20 ans, musulmane, 2ème CAS,
adhérente) qui a rencontré son amoureux par l'entremise du
frère de celui-ci qui fréquentait la même classe
qu'elle:
« On s'est rencontré dans le quartier! Je faisais
la même classe que son petit frère, donc je partais chez eux, chez
son petit frère quoi! Là il m'a vue... c'est comme ça..
»
Les circonstances prisées par les élèves
pour leurs expériences amoureuses sont les sorties en boîte de
nuit, aux projections cinématographiques, et les nuits culturelles des
lycées. Valérie (18 ans, catholique, 1ère G1,
adhérente) rapporte:
« On est sorti, on est parti à la projection
cinématographique de notre école; et on est allé en
boîte tout dernièrement le 27 [avril 2005] à
côté »
Par rapport à l'origine sociale des
élèves vulnérables, nous ne pouvons qu'affirmer prudemment
qu'elle peut constituer un facteur déterminant de
vulnérabilité; en effet, le multipartenariat sexuel tout comme la
non protection des rapports sexuels sont des comportements présents
aussi bien chez des élèves d'origine sociale assez aisée
que chez des élèves d'origine sociale moins aisée. En
revanche, l'origine sociale assez aisée détermine chez les
garçons le choix de l'espace où ont lieu les rapports sexuels.
Issouf par exemple habite à la cité AN III mais pour ces
expériences sexuelles, il les vit chez ses amis qui ont leurs chambres
à l'extérieur du bâtiment des parents.
. « Moi je suis à la cité AN III.
Là-bas, bon! Dans les immeubles, pour amener une fille à
l'intérieur, c'est un peu compliquer »
. « Rarement [les rapports sexuels] en famille! De fois chez
des copains, des amis qui habitent en famille mais leurs chambres se trouvent
un peu à l'écart des parents quoi! »
. « ça se passe la plupart du temps la nuit. On
sort du maquis et puis on revient là-bas. Ça fait que les parents
sont couchés, soit peut-être ils ont voyagé. Ça fait
que les parents ne sont jamais au courant. » Issouf (20 ans, musulman,
terminale E, adhérents)
De même, Osée habitant la cité 1200
logements à vécu sa première expérience sexuelle
chez un de ses amis dont la chambre est extérieure au bâtiment des
parents:
. « Il se trouvait que bon! jusqu'à, c'est
l'année passée seulement que j'ai eu ma propre chambre. Donc, je
n'avais pas de chambre, au fait ma chambre était à
l'intérieur de la grande maison! Donc pour passer avec une fille la nuit
et puis entrer, ç'allait être trop dur. Donc je suis allé
chez un ami (...)qui a une chambre à l'extérieur. »
A parler proprement de l'utilisation du préservatif, il
y a chez certains élèves une persistance de comportements sexuels
(rapports sexuels) sans protection. C'est par exemple le cas d' Awa qui a
déjà eu plusieurs rapports sexuels sans protection:
. «Bon! Quelquefois, quelquefois mais bon! Une fois en
passant quoi! Mais c'est arrivé, c'est ... c'est pas arrivé
volontairement. C'est arrivé comme ça seulement quoi! Ça
n'a pas dépassé deux à trois fois. » ( Awa, 19 ans,
musulmane, terminale G1, réticente)
reconnaît-elle.
Cependant, d'autres semblent catégoriques sur la
question et n'envisagent pas des relations sexuelles non
protégées. Natacha affirme qu'elle romprait sa relation amoureuse
si l'utilisation du préservatif n'en est pas le " credo". Elle
confie:
. « Il n'a pas intérêt à se plaindre
hein! [d'utiliser le préservatif] Mon type, tu te plains on se laisse
hein! Moi je ne vais pas risquer ma vie : on se connaît à peine 9
mois, on ne peut pas se permettre de faire des choses comme ça [rapports
sexuels non protégés] . » (Natacha, 20ans, catholique,
terminale G1, réticente)
Toutefois nous pouvons penser, en ce qui la concerne, que sa
prise de position catégorique s'affaiblira avec le temps en fonction de
l'accroissement de son sentiment amoureux ( KOUAMA Théodore : 2002).
Effectivement, la raison qu'elle avance pour son comportement d'utilisation
stricte du préservatif semble se fonder sur le temps (connaissance
à peine de son partenaire) qui n'implique pas la connaissance de
l'état sérologique.
Le multipartenariat sexuel et les rapports sexuels non
protégés sont des comportements qui persistent chez certains
élèves d'où leur plus grande vulnérabilité
face au VIH/SIDA qui les conduit au refus du dépistage.
1V-2- Les interactions influentes
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