Le projet de la "mini-entreprise" répond t-il aux attentes, en termes d'apprentissage, pour ce type de public( Télécharger le fichier original )par Michel IGNASIAK Université de Nancy 2 - Formation Continue - "TFA" Titre de Formateur d'Adultes "DTSU" Diplôme deTechnicien Supèrieur Universitaire 2009 |
10.2 Les statuts et le rôle des apprenants dans la mini-entrepriseIl me semble important de parler des statuts et rôles des apprenants dans ce projet. Car la mini-entreprise oblige les stagiaires à endosser la casquette de PDG, directeurs etc... Selon EPA : « les élèves de collèges ne veulent pas toujours s'engager, parce que dire que l'on est PDG à son meilleur copain qui lui n'est qu'ouvrier, c'est pas euh toujours simple. Bon c'est vrai que ça stigmatise, mais bon, il faut leur expliquer que chaque rôle est important. Alors c'est vrai que dans les E2C c'est multiplié par dix mais voilà c'est une problématique qu'il faut gérer, enfin, voilà, le formateur doit pouvoir l'expliquer. Alors en même temps, certains se mettent volontairement dans des postes moins importants, parce qu'ils sont quelques fois trop timides, ou ils n'ont pas envie qu'on leur pose des questions, ils se mettent volontairement en retrait ». L120-127 La formatrice me dit qu'effectivement cela peut poser des problèmes. Formatrice : « et on leur a donné des statuts, parce qu'il faut donner des statut dans la mini entreprise et ils n'ont pas tous, c'est ben, j'veux dire par exemple le commercial dans la vrai vie, quelqu'un qui est au service commercial, c'est quelqu'un qui à une vrai fibre commerciale au départ, il n'est pas là par hasard, alors que nous, nos jeunes sont choisis par hasard pour la mini, il se sont nommés eux, mais non pas forcément la fibre commerciale et les compétences hein, après les rôles ont été distribués d'un commun accord entre eux, mais pour autant, ils n'ont pas forcément euh un profil qui pourrait aller dans ce service là. Alors peut-être qu'effectivement ils peuvent se sentir dépassés par ça. En même temps c'est plutôt bon signe ça veut dire qu'ils prennent ça au sérieux. Et, il faut aussi relativiser. Ça je pense que oui, ça peut exister surtout quant un moment, ils sentent un peu qu'on leur bourre le mou là, on leur dit là, attention il faut réellement bosser cette étape la, sinon vous allez vous mettre en difficulté, vous ne serez pas dans les temps, etc., et la du coup, ça leur met une pression, peut-être que, cet état de fait, va engendrer par cette pression là. Hein ou alors des personnes fragiles psychologiquement, comme par exemple, (le PDG) qui est quelqu'un de bipolaire, qui a de gros, gros problèmes de personnalité, forcément pour lui ça peut poser un problème ».L 226-241 Le PDG, lui, éprouve des difficultés à se faire entendre et respecter : PDG : « Y en a qu'on s'fréquente à coté de l'E2C et on se fréquente aussi à la fois à l'intérieur et une fois qu'on a la mini entreprise parfois au niveau de l'autorité c'est pas trop enfin on arrive parfois à avoir de l'autorité mais c'est pas neutre eh avec quelqu'un qu'on fréquente régulièrement on a du mal à lui donner un ordre par exemple avec beaucoup plus de fermeté que si c'était par exemple comme dans une entreprise eh ben t a pas de contact ou de lien euhh entre l'employeur et ses subordonnés quoi » L 19-24 La responsable EPA pense que le formateur doit faire attention aux dérives des stagiaires et me dit que les statuts obligatoires ne leur donne pas le pouvoir sur l'autre. EPA : « Là aussi le rôle du formateur est important, il doit, faire attention qui en ait pas un qui prenne le pas sur l'autre, que finalement malgré les statuts qu'ils sont obligés d'endosser, ils sont tous au même niveau. C'est pour ça que le formateur est important surtout pour ce type de public, il doit vérifier, cadrer être toujours présent, parce que si la secrétaire ne remplit pas les courriers par exemple, et ben tout le groupe sera pénalisé forcément ».L108-112 Je profite de ce sujet pour raconter un événement que j'ai vécu lors d'une séquence avec les stagiaires pour la mini-entreprise. En effet, après 6 semaines d'absence, j'avais pour mission dès mon arrivée au sein de l'école, d'accompagner les stagiaires de la mini-entreprise. L'objectif premier de cette matinée était de passer à l'étape 2 de la procédure imposée par le projet qui consistait à trouver le futur Nom de la mini-entreprise. L'étape 1, à laquelle j'étais présent, était la mise en place du projet dans ses grandes lignes. Après avoir informé les stagiaires sur le déroulement de la matinée, je les laissais s'organiser entre eux tout en restant dans la salle. Pour ce faire, ils décidèrent de réfléchir en groupe et de noter leurs idées sur une feuille. Après quelques minutes d'hésitation de leur part, face à leur feuille blanche, je décidais d'intervenir afin de leur proposer une méthode plutôt bien adaptée à mon sens, pour ce type de recherche ; et qui fait appel à la créativité de chacun des protagonistes. Donc, je pris la parole en leur proposant de faire un Brain Storming de façon à produire une dynamique de groupe ceci afin que chacun donne un maximum d'idées. Tout allait bien, jusqu'au moment où, je me lançais dans l'explication et la méthode du Brain Storming. Subitement, le PDG de l'entreprise m'agressa verbalement. Je cite : « de quoi vous mêlez-vous, c'est notre entreprise, vous n'avez pas à nous casser les couilles, ce n'est pas vous qui décidez pour nous. Vous n'êtes qu'un stagiaire». Aussitôt, je voulais réagir et prendre la parole afin de m'expliquer, car il ne s'agissait pas pour moi de parasiter qui que ce soit, ou quoi que ce soit, mais plutôt de les aider à démarrer leur activité. Impossible de placer un mot, il étouffait ma voix à chaque fois que je voulais prendre la parole, en criant de plus en plus fort et en me menaçant de démissionner si j'intervenais encore une fois. Je cite : « si vous nous cassez encore les couilles, je démissionne et vous vous démerdez tout seul ». Le PDG avait parlé ! Son positionnement vis-à-vis de moi et du groupe était clair ; il a, je pense, voulu montrer que son statut lui donnait une légitimité d'homme responsable et respectable, car après tout, il avait postulé pour ce poste et c'est bien le groupe et l'institution qui avaient validé son statut de PDG de la mini-entreprise. Quelques minutes après, il se leva brusquement de table et alla au tableau en disant : « Ok, on va le trouver ce Nom, mais c'est moi qui écrit au tableau ». Il reprit sa place de PDG, mais en s'inscrivant dans une démarche non pas de vaincu, mais de vainqueur. Car encore une fois, c'est lui qui décida de reprendre les rênes, en allant au tableau. Il m'avait fait prisonnier d'une situation et voyant que les rôles s'inversaient, il anticipa sa fuite en emmenant le groupe avec lui. Tel le monarque, ses serviteurs et ses généraux, à l'aube d'une révolution imminente. Puis il tourna son regard vers moi et me dit : « c'est quoi votre Brai, machin truc ? » Après avoir expliqué ce qu'est le Brain Storming, chacun participa activement, pour finalement trouver le Nom de leur société « Mots' Délice ». Pour conclure, je pense avoir bien réagi en laissant le conflit s'atténuer. Dans ces moments là, la colère aveugle celui qui la porte en lui. La patience reste la meilleure solution et aide à la réflexivité. Il y avait dans cette situation de conflits, une volonté de retranchement derrière un pouvoir officiel qui mettait en péril tout un système. En effet, il y avait en face de moi un stagiaire E2C devenu PDG et légitimé par l'institution. Or, face à ce dernier et de son point de vue de PDG, il y avait un stagiaire formateur « étranger à l'E2C » et qui plus est, en formation. Cette confusion de rôle et de positionnement instituée, ressemblait à un labyrinthe dans lequel, aucune entrée et sortie n'avait été prévue. Le recul m'a permis de comprendre qu'une situation de travail de ce type (le conflit) n'est pas prescrite dans un guide. Il n'y a pas cette possibilité d'organiser l'imprévisible. Le réel, dans ce cas de figure, prend toute sa dimension lorsque le rapport à l'humain devient conflictuel. En effet, mon intention ce jour là d'aider le groupe à trouver le nom de leur entreprise, en prenant mon expérience comme référence, a créé une tension chez le PDG qui, de par mon intervention de professionnel, a perçu cette situation, non pas comme un accompagnement ou une aide, mais comme une prise de pouvoir de ma part, engendrant ainsi un déséquilibre hiérarchique vis-à-vis du groupe et provoquant une remise en cause de sa crédibilité, en tant que PDG. Comme le cite Mireille CIFALI dans sa conférence sur « les limites de l'accompagnement » du 22 novembre 2002 : « le professionnel vient avec ses outils, ses techniques, ses médiations, ses dispositifs ; c'est un professionnel bien intentionné qui voudrait que l'autre se transforme, évolue, quitte ses difficultés »37(*). Mais pour autant, pour prétendre aider l'autre suffit-il d'avoir des outils, des techniques etc, permettant ainsi de se positionner en tant que professionnel, pouvant ainsi anticiper les éventuels conflits ? A mon sens la réponse est « non » car, il n'y a pas que l'aspect matériel et technico-professionnel qui programme le bon déroulement d'une situation d'apprentissage ; mais il y a l'humain, avec toute sa complexité, dont l'humeur et l'état d'esprit du moment doit être pris en compte avec le milieu dans lequel la situation d'apprentissage se déroule. Accompagner l'autre, c'est aussi essayer de comprendre la situation dans laquelle on se trouve avec l'autre, ici et maintenant. J'ai compris dans cette situation, que des paramètres extérieurs non convoqués ce jour là, se sont infiltrés dans l'environnement de travail, provoquant ainsi un double déséquilibre entrainant, pour le coup, un conflit violent. En effet, outre le fait que le statut du PDG avait était remis en cause devant le groupe par mon intervention et ce, sans le vouloir de ma part, j'ai découvert avec le recul et lors du module « Relation, entre travail et formation », qu'une jalousie non justifiée amplifia la colère du PDG et donc, le conflit. En effet, il se trouve, comme je le précise dans le texte, que la directrice administrative de la mini-entreprise est également la « petite copine » dudit PDG. Or, ce dernier a sans doute, à mon sens, imaginé une concurrence entre nous et pour le coup, interprété mes attitudes et mon comportement que je qualifie d'attentionnés envers les autres, comme provocateurs. Je comprends aujourd'hui d'où vient ce conflit. En effet, j'ai occulté sans le vouloir l'individu et son statut dans le projet de la mini-entreprise. Rajouter à cela sa jalousie et mon manque d'expérience en terme d'accompagnateur, cette situation réelle m'a apprise que mon désir d'aider l'autre doit être également partagé réciproquement. Rogers dit concernant le facilitateur : « Il ne peut participer comme membre du groupe que lorsqu'il sent réellement que lui-même et ses étudiants se trouvent sur un pied d'égalité en tant qu'apprentis ».38(*) Mais pour autant, je comprends que si le statut et le rôle ne sont pas clairement identifiés dès le départ par les individus dans une situation de travail, le risque de confusion peut engendrer un conflit de pouvoir entre ces derniers. Mon statut de stagiaire en formation au sein de l'E2C a eu un effet « Boomerang ». Je n'étais qu'un stagiaire avec un statut inférieur, au regard d'un autre stagiaire devenu officiellement PDG, grâce à la magie d'un projet collectif organisé par l'institution. « Accompagner, c'est être sur cette tangente où l'on risque de basculer d'un coté ou de l'autre...... » « ..................or il faut permettre à l'autre de s'opposer à nous pour se retrouver ». Nous dit Mireille CIFALI dans sa conférence sur « les limites de l'accompagnement » du 22 novembre 2002.39(*) Le projet collectif de la mini-entreprise doit être préparé et organisé certes, avec des outils pédagogiques adaptés à ce type de public. Mais, ce projet doit faire également l'objet d'une réflexion d'un point de vue sociologique. Car, créer un dispositif, (la mini-entreprise) avec un public en difficultés, dans un dispositif (l'E2C) destiné à resocialiser ces derniers, demande quant à sa mise en oeuvre, une réelle réflexion de la part de l'institution, du formateur mais aussi des apprenants. Or, le projet de la mini-entreprise tel qu'il est prescrit aujourd'hui, impose un double statut aux apprenants : celui de stagiaire en insertion à l'E2C, et celui d'entrepreneur (PDG, Directeur etc) dans l'E2C. Cette situation qui au départ ce veut : « apprentissage, découverte de l'entreprise » créé chez certains apprenants une confusion psychologique dans ladite situation. Cependant, la réalité que j'ai vécue montre bien qu'il suffit d'un élément déclencheur (la jalousie, l'intervention du formateur) pour que l'apprenant mette le feu aux poudres et se proclame maître de la situation. Pourquoi cette confusion ? Il est important à mon sens de faire une différence non négligeable concernant le statut et le rôle dans ce type de projet. Parce que, dès la mise en place d'un tel projet, l'apprenant se voit dans l'obligation d'opter pour un statut tel que celui de PDG par exemple. Or, par rapport à un système social, l'entreprise est forcément impliquée elle-même, dans son propre système socio-économique réel. Donc, l'apprenant se doit également d'assumer un rôle en tant que PDG. Par conséquent, ce rôle englobe les attitudes, les valeurs et les comportements que la société lui assigne. La question que je me pose est : « comment le stagiaire au statut de PDG, peut-il remplir son rôle, alors que, que l'institution lui fait comprendre que ce rôle, n'est finalement qu'un jeu ? ». Or, cette même institution proclame paradoxalement, que ce projet « la mini-entreprise » n'est pas un jeu et qu'il s'agit ici, d'un apprentissage réel ; avec des statuts réels ; dans les conditions réelles à la création d'entreprise. Par conséquent, je peux en déduire par rapport à mon expérience vécue dans cette situation, que ce conflit a pris naissance non pas uniquement pas parce que j'étais dans la position d'un stagiaire formateur, face à un stagiaire PDG et qui plus est jaloux, mais que ce conflit aurait pu, sans aucun doute éclater avec un formateur référent et à n'importe quel moment. Car le rôle du formateur comme celui du stagiaire PDG, n'a pas fait l'objet d'une réflexion commune, pouvant ainsi instaurer un cadre de travail basé sur la confiance. Mon positionnement par rapport à cette situation est sans équivoque. Je me dois en tant que formateur dans l'accompagnement et dans l'insertion, être attentif à l'apprenant à qui je demande de s'impliquer dans un tel projet. On ne peut pas inventer un jeu où, le seul gagnant est celui qui prend le pouvoir sur l'autre. Autrement dit, un projet ne doit pas instaurer une hiérarchie dans une hiérarchie sans que les apprenants et les formateurs soient au clair sur les rôles de chacun. Qui fait quoi ? Comment et où ? Le cadre doit être posé au préalable. Rappel : Jean Vassileff nous explique que dans le cadre d'une pédagogie de projet « le concept de propriété de l'espace-temps formation40(*) » peut se concevoir uniquement si un état d'esprit de confiance et de liberté s'instaure entre le formateur et le formé. « Se projeter dans l'ici et maintenant de la formation, donner du sens par sois même à ses actes dans l'espace-temps immédiat de la formation, tout cela suppose que cet espace-temps soit considéré par les formés comme leur propriété ». Puis il rajoute concernant le concept de droit pédagogique que : « La question de la propriété de l'espace-temps formation pose le problème de l'organisation des pouvoirs dans les rapports sociaux entre formateurs et formés, c'est-à-dire, le problème du Droit qui va régir ces rapports. Comme il existe un droit Civil, un droit Commercial, un droit du travail, etc., il y a lieu d'élaborer un droit pédagogique : quels sont les droits pédagogiques des formés ? Quels sont les droits pédagogiques des formateurs ? Quels sont les obligations qui en découlent ? » Par rapport à la prescription de ce projet, théorique déclaré par l'institut comme : « Pédagogie du Projet » et la réalité de sa mise en oeuvre, il existe à mon sens, un écart beaucoup trop important pour que l'apprenant puisse apprendre dans de bonnes conditions. Car d'une part, l'aspect sociologique n'a pas suffisamment était pris en compte par rapport à ce type de public et d'autre part, dans le cas de la mini-entreprise, j'ai le sentiment qu'il ne s'agit pas d'une pédagogie de projet. En effet, la mini-entreprise s'appuie sur un concept clé en main, un guide dans lequel les stagiaires (et les formateurs) doivent obligatoirement suivre le cursus et remplir les objectifs prescrits par l'institution et non négociables. Ce projet qu'est la mini-entreprise ne laisse pas vraiment aux stagiaires l'initiative, et qui plus est, de par l'obligation d'endosser un statut, il (le projet) enferme le stagiaire dans un rôle ambigu et qui ne lui permet pas d'avoir un certain recul face à la situation ; même si ce dernier se porte volontaire dans ce type de projet. Ce n'est pas le projet du stagiaire, c'est le projet prescrit par une institution qui veut, paradoxalement, redonner des valeurs et des principes à des personnes en difficultés. * 37 Les cahiers de l'accompagnement. Edition CARIF 2002 Poitou-Charentes * 38 Carl ROGERS : Liberté pour apprendre. Paris : Dunod, édition 1999, p162 * 39 Les cahiers de l'accompagnement. Edition CARIF 2002 Poitou-Charentes * 40 La pédagogie du projet 1991. Jean VASSILEFF page 39. Edition Chronique Sociale. 131 pages. |
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