Les impacts des incitations monétaires sur l'effort des salariés: positifs ou négatifs?( Télécharger le fichier original )par Pheakdey VIN Université Lumière Lyon 2 - Master 2 Recherche 2007 |
2- Le modèle à paiement différé
Le modèle à paiement différé est une explication de la croissance de la rémunération avec l'ancienneté. Toutefois, cette assimilation peut porter à confusion dans le cas français où la rémunération à l'ancienneté est associée à des augmentations de salaires systématiques catégorielles sans liens avec la performance individuelle. Le contrat à paiement différé est interindividuel et consiste à récompenser a posteriori le niveau d'effort consenti par des augmentations de salaires irréversibles36(*). Ce type de contrat permet de pallier les inconvénients d'une relation d'emploi marquée par une asymétrie d'information où le travailleur est susceptible d'adopter l'attitude du tire-au-flanc. Selon Lazear [1995], le contrat à paiement différé permet également à la firme de motiver les employés qui sont enfermés dans une position particulière et sont pratiquement certains de rester là sans promotion pour le reste de leur carrière. Ce contrat doit rendre les augmentations des salaires futures dépendantes de la performance courante. Par conséquent, même si le poste du travail de salarié ne change pas, il peut encore être récompensé sous forme de salaire croissant. Ce genre d'arrangement incitatif est très semblable à un salaire à la pièce parce que la performance de salarié est observée et alors il est compensé sur la base de cette performance. Cependant, Lazear [1995] indique deux différences entre ces deux contrats incitatifs. Premièrement, la période dans laquelle l'évaluation de la performance est faite est habituellement plus longue avec le cas de contrat à paiement différé qu'avec le cas de salaire à la pièce. Quand les travailleurs sont payés à la pièce, ils reçoivent généralement le paiement pour le travail effectué pendant un intervalle très récent comme une période de deux semaines. Par contre, dans le modèle à paiement différé, l'intervalle est habituellement beaucoup plus long, une année ou un certain nombre d'années. Ici, les augmentations de salaires sont données pour la bonne performance dans le passé. La deuxième différence principale entre la compensation différée et les salaires à la pièce est que le travailleur doit continuer à être employé afin de retirer les avantages d'une augmentation des salaires pour la bonne performance. Avec le salaire à la pièce, la performance passée de travailleur est récompensée sous forme de paiement immédiat qui n'est pas contingent de l'emploi futur. Avec la compensation différée, le travailleur doit rester dans la firme afin de capturer les récompenses pour la bonne performance dans le passé. Le principe du modèle à paiement différé consiste à exiger du travailleur un niveau d'effort conséquent au cours d'une première période, ce dernier étant récompensé au cours d'une seconde période [Lemistre, 2000b]. Autrement dit, le mécanisme dans ce modèle incite les travailleurs en les payant moins que leur contribution productive quand ils sont jeunes et plus que leur performance quand ils sont âgés. Les travailleurs plus âgés sont bien rémunérés, pas tellement en raison de la performance supérieure lorsqu'ils sont âgés mais plutôt parce que leur compensation élevée sert à les motiver pendant les premières années de leur carrière [Lazear, 1995; 1999; 2000a]. Par conséquent, le salarié qui ne souhaite pas perdre les bénéfices futurs de l'effort fourni en première période est incité à ne pas adopter l'attitude de tire-au-flanc. La rémunération à l'ancienneté apparaît alors comme un mécanisme incitatif, les salariés étant récompensés a posteriori des efforts passés. Figure 5 : Le paiement différé et la date optimale de départ en retraite Caution Rente W, Pm W Pm temps T t* 0 Par ce graphique, le contrat de long terme, établi sur le cycle de vie du salarié, se déroule comme suit. Dans la première période de sa carrière, allant de 0 à t*, le salarié reçoit moins que ce qu'il produit (le salaire W est inférieur à la productivité marginale Pm). Il y a le dépôt progressif d'une caution qui lui sera progressivement restituée au cours de la seconde période de sa carrière (de t* à T, où W excède Pm)37(*). Le salarié n'a pas intérêt à tricher de 0 à t* parce que, s'il est licencié, il ne récupérera pas sa caution. Dans ce cas, les valeurs actualisées de la rente et de la caution doivent être égales. Dans un tel système de rémunération, le salarié est incité à être productif [Gautié, 2002] car cela permet de garantir un comportement honnête et sérieux des salariés dans le travail [Milgrom et Roberts, 1997]. Selon Dohmen [2004], ce contrat est susceptible non seulement d'inciter les travailleurs à augmenter leur productivité, mais également de réduire le turnover dans l'entreprise. Pour l'employeur, le souci de ne pas compromettre sa réputation ce qui rendrait difficiles les recrutements à venir, l'incite à se comporter loyalement de t* à T. Le mécanisme de paiement différé n'est donc viable que si l'employeur est en mesure de promettre aux salariés de verser, en fin de carrière, des salaires supérieurs à leur productivité marginale et donc supérieurs à ce qu'ils pourraient gagner ailleurs. D'ailleurs, le modèle à paiement différé permet également de résoudre le problème de sélection adverse car si le salarié est moins productif que prévu, il est probable que la caution ne lui sera pas restituée. Le travailleur a donc tout intérêt à révéler la valeur exacte de sa productivité s'il veut percevoir la rente de fin de carrière [Lemistre, 2000b]. Ex post en T, la rémunération perçue est encore supérieure à la productivité marginale du salarié dont l'intérêt immédiat est de continuer à travailler. Mais si le travailleur ne quitte pas son poste en T, le total des rémunérations perçues dépasse sa contribution productive pour toute la carrière et le contrat n'est plus un optimum de premier rang. C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de définir à l'avance les conditions du départ à la retraite. Selon Stankiewicz [1999], ce modèle établit les fondements de pratiques, destinées à fidéliser le personnel, telles que la cotisation de l'entreprise à des fonds de pension (Etats-Unis) ou l'octroi d'une prime substantielle lors du départ en retraite du salarié (Japon). En conséquence, la rémunération croissante avec l'ancienneté permet de régler le problème d'aléa moral (incitation à ne pas tricher et à augmenter le niveau d'effort au travail) et un problème de sélection adverse parce que, d'une part, un salaire de départ faible aboutit à l'auto-sélection des candidats qui ont le projet de rester dans l'entreprise et, d'autre part, si la productivité observée est moins importante que prévue au moment de l'embauche, il risque de perdre sa caution. De plus, ce modèle aboutit à réduire le turnover du personnel dans la firme. En conclusion, le système de la rémunération à la performance et le contrat à paiement différé sont les incitations monétaires à la performance absolue qui poussent les travailleurs à faire des efforts pour augmenter leur productivité au sein de la firme. Ces deux systèmes peuvent donc régler le problème principal-agent et fonctionnent à condition que la performance des salariés soit mesurable. Bien que les rémunérations basées sur la performance soient efficaces, au moins dans une certaine mesure, se pose quand même le problème de la mesure de la performance quand celle-ci n'est pas facilement observable ou quantifiable. Dans la section suivante, nous présenterons les situations dans lesquelles la performance individuelle est difficilement mesurable. Et puis, nous proposerons également certaines solutions possibles pour ces situations. * 36 Lemistre, P. [2000b], « Modèle à paiement différé, effort individuel et évolution des préférences intertemporelles », La note du LIRHE n° 327, Université de Toulouse I, p. 2. * 37 Stankiewicz, F. [1999], Economie des ressources humaines, La Découverte, Paris, Coll. Repère, p. 36. |
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