CHAPITRE PRELIMINAIRE
CONSIDERATIONS GENERALES SUR LA NOTION DE TERRORISME EN DROIT
INTERNATIONAL
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La notion de terrorisme est source
d'étonnement pour tout chercheur qui s'intéresse au sujet. En
effet, le chemin de la recherche d'une définition tangible de ce
phénomène semble parsemé d'embûches (Section 1), au
point même où certaines sciences sociales et humaines, à
l'instar de la sociologie, de la science politique ou de la philosophie
semblent avouer leurs limites eu égard aux confusions conceptuelles qui
sont parfois maladroitement entretenues entre cette violence et d'autres formes
de violence. Dans cette grisaille intellectuelle, le droit tente lui aussi,
tant bien que mal d'apporter des éléments de réponse par
un exercice de spécification de l'incrimination (Section 2).
Section 1 : L'émergence de
difficultés dans la recherche
d'une définition du
terrorisme
Face au caractère quasi
insaisissable du terrorisme (Paragraphe1), la nécessité de
parvenir à une définition consensuelle et acceptable du
phénomène en droit, a cédé le pas à la
tentation de qualifier diversement le phénomène criminel, non
sans créer des confusions (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Le terrorisme, une notion
insaisissable
Le concept de « terrorisme »
est bien difficile à appréhender et constitue une gageure
intellectuelle saisissante. Bien que familier, le mot est
« mystérieux » 1(*)9 et controversé2(*)0, utilisé pour signifier des situations
hétérogènes et disparates2(*)1. Il n'existe toujours pas du terrorisme une
perception unique, ni une définition recueillant l'assentiment
général. Le terrorisme serait l'un de ces concepts que l'on croit
connaître de prime abord mais qui se révèlent, à la
réflexion et une fois que la question de leur signification
posée, bien difficile à circonscrire2(*)2. Il s'agit là d'une
notion diffuse, aussi fuyante que complexe. Le mot n'a pas un sens constant et
n'a pas couvert, selon les époques, les mêmes
réalités2(*)3. Il est difficile de trouver les germes d'une
définition tangible de ce phénomène dans l'histoire car
l'actualité reflète largement les incertitudes du passé.
La science politique2(*)4
aussi bien que la sociologie ou la philosophie2(*)5 ne parviennent à fournir une
définition univoque du fléau. On constate ici des renversements
de significations, des querelles sémantiques réduisant ou
étirant la notion en raison de son potentiel émotionnel, de la
résonance affective du mot, et la conceptualisation du terrorisme semble
à plusieurs égards inaccessible. Le droit n'est pas non plus d'un
grand secours. Ici également, on constate l'échec d'une
définition générale du terrorisme (A) qui trouve sa
source dans des obstacles (B) liés au caractère relatif de la
notion qui reste, de toute évidence, un terrain d'affrontement des
idéologies et des intérêts corrélatifs des Etats.
A- Le constat d'échec d'une définition
générale et tangible du
terrorisme en droit International
A la question de savoir,
« existe-t-il une définition universelle du terrorisme
? », la réponse est probablement : non2(*)6. A l'instar de la notion
d'agression, la notion de terrorisme échappe depuis des décennies
au droit international, qui n'est pas parvenu à en donner une
définition généralement acceptée et faisant
autorité. La première tentative conventionnelle et internationale
d'organisation de la répression du terrorisme date de
l'élaboration par la SDN de deux conventions signées à
Genève le 16 novembre 1937. A la suite de sa saisine, le Comité
d'experts de l'Organisation élabore deux textes. L'un intitulé
« Convention pour la prévention et la répression du
terrorisme », l'autre « Convention pour la création
d'une Cour pénale internationale ». La Convention pour la
prévention et la répression du terrorisme offre une
première caractérisation de ces actes. L'article 1 alinéa
2 énonce que ce sont « les faits criminels
dirigés contre un Etat et dont le but ou la nature est de provoquer la
terreur chez des personnalités déterminées, des groupes de
personnes ou dans le public ». L'article 2 donne une liste des
différents actes qui constituent des infractions de terrorisme au sens
de l'article 12(*)7.
Cependant, le recours à la notion de terreur ne faisait qu'inscrire la
définition du terrorisme au centre d'un cercle vicieux. En effet,
n'est-il pas vrai que, caractériser un concept par un autre
imprécis relève de l'aporie2(*)8 ?, le mot « terreur »
étant lui même sujet à questionnement. En
définitive, il ne ressort de cette Convention aucune définition
tangible de l'acte. Une caractérisation aussi large peut fort bien
comprendre toute sorte de faits délictueux, même peu graves, dont
la nature serait de répandre la terreur. Néanmoins, elle offre
à la notion un premier critère concret ; l'infraction
nécessite effectivement l'emploi intentionnel de moyens de nature
à provoquer la frayeur. Ce caractère de l'acte servira à
déterminer les éléments de l'infraction terroriste2(*)9. Les critiques
formulées sur les travaux de Genève expliquent certainement que
ce texte n'ait pas abouti. Toutefois, son incidence politique est à
remarquer. En effet, les débats de Genève sont l'occasion d'une
condamnation internationale du terrorisme. La question de sa définition
a encore été posée dans le cadre des négociations
sur le Statut de Rome portant création de la Cour pénale
internationale. Une fois de plus, les difficultés consécutives
à toute tentative d'élaboration d'une théorie juridique du
terrorisme sont d'une telle importance, que les efforts déployés
tant par la doctrine que par les juristes, dans les congrès et les
conférences internationales sont restés vains. Cependant, comme
précédemment annoncé, cet obstacle n'empêche pas la
communauté internationale de condamner unanimement ce
phénomène3(*)0. Nous pouvons néanmoins regretter avec Madame
Marie-Hélène GOZI, que la facilité et l'opportunisme aient
cédé la place à la recherche nécessaire de la
nature juridique du terrorisme3(*)1. N'est-il pas étonnant de condamner un acte
sans lui avoir donné au préalable un contenu précis ?
Ainsi, de lege lata, Il n'existe à ce jour,
aucune définition de la notion de terrorisme qui recueille le consensus
suffisant pour permettre son insertion dans un texte conventionnel de droit
international général32. Du moins, le seul texte de
portée internationale en vigueur qui prohibe expressément et de
façon générale le terrorisme reste l'article 33 de la
Quatrième Convention de Genève, du 12 août 1949 sur la
protection des personnes civiles en temps de guerre. Cependant, il ne vise que
les cas des conflits armés internationaux. C'est pourquoi, il est
inadapté au terrorisme que vivent actuellement les Etats3(*)3. C'est de façon
très différente que la question du terrorisme et, dans une
certaine mesure de sa définition, a été abordée par
la suite par le biais de diverses conventions, souvent qualifiées de
« sectorielles »3(*)4. Du reste, les obstacles à
l'établissement d'une définition unanimement admise du terrorisme
ont principalement pour source sa subjectivité. C'est avant tout le fait
que le terme « terrorisme » est lourdement connoté
qui rend son utilisation problématique dans un contexte strictement
juridique, c'est-à-dire prétendant à une certaine
objectivité. Abordé la plupart du temps sous l'angle
idéologique, le terrorisme pose une nouvelle fois le problème de
l'infraction politique. C'est pourquoi l'ensemble des débats
internationaux portant sur ce fléau est marqué par un
désaccord des Etats s'agissant de sa définition.
B- Les obstacles : Les pierres d'achoppement et la
question des
* 19 Voir Jean Christophe
MARTIN, Les règles internationales relatives à la lutte
contre le terrorisme, Bruylant, Bruxelles, 2006, p. 20.
20 La controverse est nourrie par le relativisme du
concept. En fait, la décision d'appeler une personne ou de qualifier une
organisation de « terroriste » devient presque
inévitablement subjective, et dépend largement des rapports de
sympathie ou d'opposition que l'on entretient avec la personne, le groupe ou la
cause concernée. Si l'on s'identifie aux victimes de la violence, ces
actions sont alors du terrorisme. Si au contraire, on s'identifie à
l'auteur de ces actions violentes, on les considère avec plus de
sympathie, et sinon de manière positive ; il ne s'agit plus de
terrorisme. D'où l'adage populaire « terroristes pour les uns,
combattants de la liberté pour les autres ». Voir Bruce OFFMAN,
op.cit., p. 39.
21 La définition proposée par Mme
Isabelle SOMMIER rend bien compte de la difficulté d'aboutir à
une définition précise du terrorisme qui se présente pour
elle comme un ensemble de « modes d'actions
hétéroclites pouvant s'inscrire dans des stratégies
classiques autant que d'autres formes de violence ». Voir Isabelle
SOMMIER, Le terrorisme, Flammarion, Dominos, Paris, 2000, p. 11.
* 22 « Si nous
avons obscurément conscience de ce qu'est le terrorisme, il est
toutefois difficile de traduire explicitement ce savoir immédiat ?
», P. REGIMBALD, « Qu'est-ce que le terrorisme »,
Encyclopédie Syllabus (en ligne), 2005, site Internet :
www.cvm.qc.ca/encephi/Syllabus/Histoire/Articles/Terrorisme.htm
* 23 Monsieur Bruce HOFFMAN
évoque à ce propos des glissements de sens du mot dans une
perspective historique. « A la différence de son usage
contemporain, (...) le terme bénéficia d' une connotation
résolument positive pendant la Révolution française
où il fut vulgarisé ». Op.cit, p.18
24 Sans toutefois le définir, la science
politique va appréhender le terrorisme selon les finalités et les
modes opératoires. Ainsi, à l'aide de sigles, le terrorisme
à vocation révolutionnaire (TVR) est distingué du
terrorisme à vocation nationaliste ou indépendantiste (TVNI), le
terrorisme national (TN) du terrorisme transnational (TT)...Ces sigles sont
empruntés à l'étude de D. HERMANT et D. BIGO,
« Un terrorisme ou des terrorismes », in
Esprit, n° 94-95, 1986, pp. 23-27.
25 L'approche sociologique et philosophique du
terrorisme privilégie par exemple l'étude des causes
sous-jacentes du phénomène. Le droit semble
méconnaître une telle démarche, s'y refuse. Ceci est
perceptible dans l'ensemble des instruments de lutte contre le terrorisme qui
ignorent le problème des causes sous-jacentes du terrorisme. Celles-ci y
ont été expurgées. En fait, depuis les années 70,
alors que certaines délégations, notamment celles des pays du
Sud, voulaient favoriser la recherche de l'origine du terrorisme, d'autres, les
délégations des pays occidentaux privilégiaient
plutôt les mesures de répression du phénomène. La
position occidentale a finalement prévalu dans les conventions.
* 26 Voir Jean-Marc SOREL,
op.cit., pp.35 et s.
27 Il s'agit notamment des faits dirigés
contre la vie de chefs d'Etat, de la destruction de biens publics, de la
fabrication ou de la détention d'armes ou d'explosifs.
28 Voir Marie-Hélène GOZI, Le
terrorisme, op.cit., p. 73
*
*
* 29 Voir en
infra, sur la « spécification de l'infraction
terroriste ».
* 30 La preuve nous est
largement fournie par de nombreuses résolutions édictées
dans le cadre des Nations Unies, lesquelles condamnent fermement le terrorisme.
On citera à titre d'illustration, la Résolution 1368 du 12 sept.
2001 condamnant les attaques perpétrées la veille.
31 Op.cit., p. 71
32 Pour le Professeur Pierre KLEIN, en
réalité, l'affirmation selon laquelle aucun instrument juridique
à vocation universelle ne comporte de définition
générale du terrorisme, s'avère un peu radicale. ( C.f
Cours de l' Académie de la Haye, op.cit.). En effet, de plus en plus,
on trouve des esquisses de définition générale du
terrorisme dans certaines conventions régionales, mais également
dans la Convention de 1999 sur le financement du terrorisme, laquelle a une
prétention à l' universel. Nous y reviendrons.
*
* 33 A ce sujet, il est
à préciser que les actes de terrorisme ne peuvent pas se
concevoir de la même manière en temps de paix et en temps de
guerre. Dans ce dernier cas, ils relèvent du jus in bello et
consistent plus généralement en des pratiques inutilement
cruelles ou odieuses contre des populations civiles ou des prisonniers de
guerre. Les actes incriminées constituent dans de telles périodes
des violations du DIH. L'article 33 de la 4ème Convention de
Genève prohibe ainsi « les peines collectives, de même
que toute mesure d'intimidation ou de terrorisme »
(italique ajouté).
* 34 Voir en
infra, « L'approche sectorielle ».
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