Section 2 : La répression pénale du
terrorisme
Cette section aurait pu s'intituler «
Répression judiciaire du terrorisme », et contenir le
problème de la responsabilité judiciaire des Etats pour soutien
au terrorisme, cette dernière étant essentiellement de nature
civile. Bien que cette question paraisse d'une grande importance à nos
yeux, nous l'avons occultée à dessein pour nous intéresser
principalement et essentiellement à la responsabilité
pénale des individus pour actes terroristes. Ce choix se justifie par
l'abondance de la doctrine en cette matière, étant entendu que
les développements précédents se sont largement appesantis
sur la mise en oeuvre de la responsabilité de l'Etat par des mesures
coercitives, et que nous réservons le traitement de cette
dernière question à la deuxième partie de nos travaux.
La délimitation de notre champ d'étude ayant
étant établie, nous entendons traiter dans la présente
section, successivement le problème de la répression du
terrorisme par les juridictions pénales nationales (Paragraphe
1) et celui de la répression par les juridictions
internationales pénales (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : La répression pénale du
terrorisme par les
juridictions nationales
La compétence est un aspect
important de la souveraineté. Aussi, consciente de l'importance de cette
question, la CPIJ avait énoncé que « tout ce que l'on
peut demander à un Etat, c'est de ne pas dépasser les limites que
le droit international trace à sa
compétence »2(*)77. De ce pas, les juridictions nationales sont
fondées à établir leurs compétences traditionnelles
aux fins de répression du terrorisme (A). Le caractère
particulier du terrorisme a en revanche nécessité
l'élargissement, dans les conventions internationales antiterroristes,
de la compétence des juridictions nationales à un titre de
compétence spéciale dit « compétence
universelle » (B).
A- Les titres de compétence traditionnels
Le droit international identifie
différents types de compétences classiques dont peut se
prévaloir un Etat en vertu de sa souveraineté, pour poursuivre
certaines infractions graves y compris le terrorisme. Le premier titre de
compétence est la compétence territoriale, c'est le titre de
compétence de base2(*)78, en ce que l'Etat est en principe compétent
pour tout ce qui se produit sur son territoire. Ratione loci, la
souveraineté de l'Etat s'étend sur la zone
géographiquement délimitée constituant le territoire
exclusif de l'Etat. Le principe de la compétence exclusive de l'Etat en
ce qui concerne son propre territoire est un principal cardinal du droit
international qui découle directement du principe de
l'égalité souveraine des Etats. L'Etat sur le territoire duquel
est commis un acte de terrorisme est compétent pour juger les auteurs
dudit acte, selon un titre général sans nul besoin qu'une
convention internationale n'ait à le prescrire. Les conventions
antiterroristes universelles mentionnent quasiment toutes2(*)79 la compétence
territoriale. C'est ainsi que la Convention de Montréal de
1971 établit cette compétence par une formulation on ne peut
plus claire: un Etat partie a compétence obligatoire « si
l'infraction est commise sur le territoire de cet Etat ». On notera
la spécificité de la Convention de 1999 sur le financement du
terrorisme, selon laquelle un Etat est aussi compétent si l'infraction
de financement avait pour but ou a eu pour résultat la commission d'une
infraction terroriste sur son territoire2(*)80. On note que Ces conventions internationales ne
définissent pas les conditions dans lesquelles un acte est
considéré comme commis sur le territoire d'un Etat, alors que la
notion de commission peut être interprétée de diverses
manières et viser la préparation, la consommation, les
effets...si certains Etats exigent que l'acte criminel lui-même soit
commis sur leur territoire2(*)81, beaucoup acceptent que leur compétence se
fonde seulement sur les effets que l'acte criminel - commis à
l'étranger - produit sur leur territoire2(*)82. L'autre difficulté qui apparaît
sous-jacente, c'est celle relative à la notion de double
incrimination2(*)83. Il
est certes vrai que les conventions internationales antiterroristes consacrent
la compétence territoriale des Etats en la matière, mais encore
faut-il que l'ordre juridique interne de l'Etat poursuivant incrimine comme tel
l'acte délictueux, sinon sur quel fondement établirait-il sa
compétence, quand on connaît la valeur du sacro-saint principe
nullum crimen nulla poena sine lege en matière pénale. A
supposer par exemple que les attentats manqués contre le 1er
Ministre ivoirien reçoivent après coup, les enquêtes ayant
livré leurs conclusions, la double qualification de terrorisme
aérien (Convention de Tokyo de 1963 sur la sécurité
aérienne) et d'attentat à l'explosif (Convention internationale
pour la répression des attentats terroristes à l'explosif du 15
décembre 1997)2(*)84. Sur quel fondement les criminels pourraient-ils
être poursuivis en Côte-d'Ivoire, quand on sait que l'ordre
juridique pénal ivoirien méconnaît le crime
terroriste2(*)85.
Qu'adviendrait-il alors en pareille hypothèse ? Pour ainsi dire, un
Etat pourra établir sa compétence territoriale en matière
de terrorisme pour autant que son ordre pénal interne le lui permettra,
c'est-à-dire en faisant de l'acte criminel une incrimination expresse.
De là, il appert que la compétence territoriale
se double d'un autre titre de compétence non moins essentielle, la
compétence matérielle (ratione materiae) dont les
conventions internationales antiterroristes sectorielles
précédemment étudiées ne sont que le reflet, les
manifestations. Lorsqu'un Etat ne peut fonder sa compétence sur le
critère territorial, il peut agir sur le fondement de la
compétence extraterritoriale dite
« personnelle » : ratione personae, certains
actes commis à l'étranger peuvent entrer dans la
compétence d'un Etat du fait de la nationalité des protagonistes
impliqués. La nationalité, en tant que lien d'allégeance
primordial et manifestation de la souveraineté de l'Etat, constitue un
titre à agir classique et légitime de l'Etat. Il faut à
cet égard distinguer néanmoins la compétence personnelle
dite « active » et celle dite
« passive », selon que le ressortissant de l'Etat est
auteur présumé de l'acte ou victime. En vertu du titre de
compétence personnelle active, l'Etat peut juger le comportement de ses
ressortissants à l'étranger. Ce titre de compétence est un
élément crucial du dispositif répressif car il permet
d'assurer la poursuite des criminels alors que de nombreux Etats refusent
l'extradition de leurs nationaux. En outre, la possibilité est offerte
aux Etats dans les conventions, d'étendre leur compétence
personnelle active pour des actes commis à l'étranger par des
individus qui n'ont pourtant pas leur nationalité. Tel est le cas de
l'apatridie qui révèle une acuité particulière en
matière de terrorisme dans la mesure où certains Etats
déchoient volontiers de leur nationalité certains ressortissants
reconnus comme terroristes notoires2(*)86. Les Etats dans lesquels les apatrides ont leur
résidence habituelle peuvent fonder leur compétence pour les
actes de terrorisme que ces derniers ont commis à l'étranger. Le
titre de compétence personnelle passive est celui en vertu duquel un
Etat est compétent pour juger les auteurs d'un crime commis à
l'étranger à l'égard de ses ressortissants2(*)87. Il s'agirait là du
titre de compétence le moins justifiable et le plus controversé,
ce qui explique d'ailleurs qu'il figure dans les conventions
antiterroristes2(*)88 en
tant que titre de compétence facultatif et non obligatoire. Enfin
plusieurs traités antiterroristes établissent la
compétence des Etats pour connaître des atteintes commises
à l'étranger contre leurs intérêts
« supérieurs » ou « vitaux ».
Ces atteintes portent plus généralement sur la
sécurité de ces Etats, leurs institutions. C'est la
compétence réelle ou de protection. C'est une
compétence « (...) liée aux éléments
fondamentaux de leur souveraineté et de leur
existence »2(*)89. Il est à ce propos intéressant de
relever que l'objet de la Convention de New York de 1973 relève de la
compétence réelle, puisque sont ici visées les infractions
commises contre les personnes jouissant d'une protection internationale y
compris les agents diplomatiques. Les Etats parties sont compétents
d'après l'article 3 paragraphe 1 (c) « lorsque
l'infraction est commise contre une personne jouissant d'une protection
internationale au sens de l'article premier, qui jouit de statut en vertu
même des fonctions qu'elle exerce au nom dudit Etat ».
Sur cette base, un éventuel attentat terroriste contre
un agent d'un Etat jouissant de la qualité officielle serait
aussitôt perçu comme une attaque contre l'Etat
lui-même2(*)90.
Du reste, certaines conventions permettent aux Etats de
connaître des actes terroristes sur la base d'un titre de
compétence exorbitant, extraordinaire et spécial : la
compétence dite universelle.
* 277 CPIJ, Affaire du
Lotus, 1927, Rec. CPIJ, série A, n° 10.
* 278 Comme la CPIJ l'a
constaté, « (...) le principe de la territorialité du
droit pénal est à la base de toutes les
législations » : Lotus, 7 septembre 1927, Rec.
CPIJ, Série A, arrêt n° 10, p.20
* 279 A l'exception de la
Convention de Tokyo de 1963 dont l'article 3 n'oblige que l'Etat
d'immatriculation de l'aéronef à établir sa
compétence, et de la Convention de la Haye de 1970 pour la
répression de la capture illicite d'aéronefs (article 4)
« pour laquelle la question ne se posait
guère » : l'objet de cette convention est en effet
limité aux aéronefs en vol. Cette convention assimile ainsi,
selon une fiction juridique acceptée, l'aéronef en vol au
territoire de l'Etat d'immatriculation voire de l'Etat d'exploitation.
280Cf. article 7 § 2, a.
*
* 281 Notons que la
décision-cadre du Conseil de l'Union européenne relative à
la lutte contre le terrorisme (13 juin 2002) précise en son article que
le principe de territorialité couvre l'infraction commise ou
préparée ou en partie dans un Etat membre, sans toutefois retenir
le critère des effets.
* 282 La CPIJ avait par
ailleurs constaté qu' « (...) il est constant que
les tribunaux de beaucoup de pays, même de pays qui donnent à leur
législation pénale un caractère strictement territorial,
interprètent la loi pénale dans ce sens que les délits
dont les auteurs au moment de l'acte délictueux se trouvent dur le
territoire d'un autre Etat, doivent néanmoins être
considérés comme ayant été commis sur le territoire
national si c'est là que s'est produit un des éléments
constitutifs du délit et surtout ses effets » : CPIJ,
Aff. Lotus, Rec.CPJI, Série A, n° 10, p. 23
* 283 Le problème
de la double incrimination des faits est plus perceptible en matière de
procédure d'extradition. Elle en est la règle de base. En effet,
« l'exigence d'une qualification pénale par la loi de l'Etat
requérant apparaît s'imposer au nom du bon sens » , voir
FOURNIER repris par André HUET et Renée KOERING-JOULIN,
Droit international pénal, Thémis, PUF, Paris,
2ème éd, 2001, p. 347. Et on imagine mal que l'Etat
requis extrade un individu pour un comportement que son système
juridique ne pénalise pas.
* 284 Supra, note de bas de
page 29.
* 285 Il faut souligner que
l'actuel code pénal ivoirien n'incrimine pas de façon expresse le
terrorisme. Cependant on peut noter que l'incrimination de certains actes
graves correspond bien à la qualification d'actes terroristes de la
convention antiterroriste de l'OUA. Il s'agit notamment des atteintes à
la sûreté de l'Etat, des insurrections armées.
* 286 C'est notamment le
cas d'Oussama BEN LADEN, déchu de sa nationalité saoudienne en
1994 et qui en situation d'apatridie.
* 287 La Convention de
Tokyo de 1963 est encore plus extensive en ce qu'elle prévoit en son
article 4 (b) qu'un Etat peut avoir compétence pour connaître
d'une infraction commise par ou contre « une personne ayant sa
résidence permanente » dans cet Etat.
* 288 Voir Jean Christophe
MARTIN op.cit, p. 138
289 Voir Brigitte STERN, « A propos de la
compétence universelle... », Liber amicorum Mohamed
Bedjaoui,
Kluver Law International, La Haye-Londres-Boston, 1999, p.775,
cité par Jean Christophe MARTIN ibidem.
290 Cinq autres conventions proposent aux Etats
d'établir leur compétence réelle : la Convention de
Tokyo de 1963 (art. 4, c) si l'infraction « compromet la
sécurité dudit Etat » ; les Conventions de New
York de 1997 (art. 6 par.2, b) et 2005 (art.9 paragraphe 2, b) quand
« l'infraction est commise contre une installation publique dudit
Etat située en
dehors de son territoire, y compris une ambassade ou des
locaux diplomatiques ou consulaires dudit Etat » ; la Convention
de New York de 1999 (art. 7 par. 2, b), quand « l'infraction avait
pour but, ou a eu pour résultat, la commission d'une infraction (... )
contre une installation publique dudit Etat située en dehors de son
territoire, y compris ses locaux diplomatiques ou
consulaires » ; et la Convention de l'OUA (art. 6 paragraphe e)
si « l'acte est commis contre la sécurité de cet Etat
partie ».
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