B- Un titre de compétence
spécial: la compétence universelle
La compétence universelle se
justifie par l'adage latin « Ubi te invenero, ibi te
judicieuse » qui signifie littéralement, « où
je t'aurai trouvé, je te jugerai ». Elle se donne en droit
comme l'« aptitude reconnue aux tribunaux de tout Etat à juger
des faits commis à l'étranger, quels que soient le lieu de
l'infraction et la nationalité de l'auteur ou de la
victime »2(*)91. C'est
une technique de procédure pénale, qui permet à un Etat de
poursuivre et de juger des délits et des crimes qui autrement lui
échapperaient en vertu des critères traditionnels de la
compétence pénale. Elle est établie pour permettre la
répression de certaines infractions particulièrement graves et
qui violent certaines valeurs communes de l'humanité. Elle a pour
objectif d'assurer une répression sans failles des crimes d'une
extrême gravité, lesquels troublent non plus simplement l'ordre
public interne d'un Etat, mais celui de la communauté internationale
dans son ensemble. Concrètement, au titre du principe de
l'universalité, l'Etat sur le territoire duquel se trouve l'auteur
présumé d'une infraction internationale a compétence
juridictionnelle sur l'infraction qui n'a pas été commise sur son
territoire, alors que ni l'auteur ni les victimes n'ont la nationalité
de l'Etat, et que ni ses intérêts ni sa sécurité
n'ont été - du moins directement - mis en danger. C'est donc la
seule présence de l'auteur présumé sur le territoire de
l'Etat qui suffit à lui conférer compétence pour le juger.
Il s'agit en cela d'une compétence
« exceptionnelle » au regard de la problématique de
l'intérêt à agir. Ainsi, la volonté de lutter
contre l'impunité des crimes heurtant les valeurs communes à
l'ensemble des Etats a conduit à une extension pragmatique de la
compétence juridictionnelle de ces derniers. Assez
généralement, la compétence universelle peut être
simplement facultative2(*)92 ou
obligatoire. Elle est conférée dans les traités dans le
cadre de l'adage Aut dedere, aut judicare2(*)93, selon lequel l'Etat sur le territoire duquel se trouve
un individu, s'il ne l'extrade pas doit le poursuivre. Il convient de noter que
la compétence universelle se présente dans les conventions
antiterroristes comme une obligation subsidiaire2(*)94 conditionnée par l'absence d'extradition. En
matière de terrorisme, un pas est franchi dans l'exercice de la
compétence universelle2(*)95, en ce que ce titre de compétence extraordinaire,
n'est plus une simple faculté laissée à
l'appréciation de l'Etat de refuge sur lequel pèse
désormais l'obligation alternative de poursuite ou d'extradition des
présumés terroristes . La Convention de la Haye de 1970 pour la
répression de la capture illicite d'aéronefs serait ainsi la
première convention à obliger les Etats à établir
leur compétence universelle et poursuivre les terroristes sur ce
fondement, conformément à la maxime « Aut dedere, aut
judicare ». Le principe « Aut dedere, aut
judicare » constitue désormais le principe fondamental des
instruments de lutte contre le terrorisme, ce qui explique par ailleurs le
fait qu'il ait été réaffirmé par le Conseil de
sécurité dans sa Résolution 1373 (2001)2(*)96. L'établissement de la
compétence universelle, est donc une étape décisive dans
la lutte contre le terrorisme, d'autant plus que le criminel ne saurait ainsi-
théoriquement- trouver refuge auprès d'un Etat. Gardons toutefois
à l'esprit le fait qu'en matière de terrorisme, la
compétence universelle reste un titre de compétence
conventionnel, or tous les Etats ne sont pas liés par les conventions
pertinentes en vertu de la règle res inter alios acta. Au demeurant, Les
conventions antiterroristes, en obligeant les Etats de refuge à exercer
leur compétence universelle, constituent une entorse à la
souveraineté des Etats, d'où la difficulté de la mettre en
oeuvre en pratique2(*)97.
* 291 Voir Jean SALMON
(dir.pub.), Dictionnaire de droit international public, Bruylant,
Bruxelles, 2001, pp. 212-213
* 292 Comme c'est le cas
en matière de piraterie. La piraterie est un crime pour lequel le droit
international reconnaît une compétence universelle, autorisant la
capture des pirates en haute mer de tous les Etats. Cette règle a
été codifiée par la Convention de Genève sur la
haute mer de 1958 (articles 14 à 22), ainsi qu'à l'article 105 de
la Convention de Monte go Bay sur le droit de la mer (1982), qui autorise les
Etats à appréhender et juger les pirates en haute mer ou
« en tout autre lieu ne relevant de la juridiction
d'aucun Etat » (article 105). Il ne s'agissait jusque- là que
d'une simple faculté et non d'une obligation comme ce l'est maintenant
avec les conventions antiterroristes.
293 Nonobstant sa consécration
récente dans le droit international positif (à partir de 1970),
il est bien connu que l'adage a été préconisé par
Hugo de Groot dit GROTIUS dans son ouvrage monumental de 1625, De jure
belli ac Pacis (Le droit de la guerre et de la paix), Livre II,
Chapitre XXI, IV, 1, réed. PUF, Paris, 1999, p.513
294 Sur le caractère subsidiaire de la
compétence universelle en matière de terrorisme, se
référer aux explications fournies par le Professeur Paul
TAVERNIER, « Compétence universelle et terrorisme »
in SFDI, Les nouvelles
menaces contre la paix et la sécurité
internationales, journée franco-allemande, Pedone, Paris, 2004, pp.
237 et s., précisément p. 244. L'auteur note que l'analyse de
toutes les conventions qui établissent la compétence universelle
montre que celle-ci est subsidiaire à un double point de vue. Tout
d'abord la compétence universelle n'entre en jeu que s'il n'y a pas
d'extradition, (soit qu'elle n'ait été pas demandée, soit
qu'elle ait été refusée). Mais, par ailleurs, elle est
subsidiaire par rapport aux titres de compétence traditionnels que
l'Etat peut invoquer pour poursuivre les auteurs d'actes de terrorisme
* 295 Voir l'opinion
individuelle du Président Gilbert GUILLAUME dans l'Affaire du Mandat
d'arrêt du 11 avril 2000, Rec. CIJ, 2002, p. 38 paragraphe
7. « Un nouveau pas sera franchi (...) à partir de 1970 en vue
de lutter contre le terrorisme international. A cette fin, les Etats mirent en
effet sur pied un dispositif sur pied inconnu jusqu'alors : celui de la
compétence universelle, encore que subsidiaire »
*
*
* 296 Cette obligation y
apparaît implicitement à travers l'interdiction faite aux Etats
de « tolérer » sur leurs territoires respectifs
le terrorisme dans ses différentes manifestations (voir
préambule, avant dernier paragraphe).
297 Nous y reviendrons dans les développements
ultérieurs.
298 La règle de subsidiarité limite le
champ d'application des compétences internationales à tout ce qui
ne peut trouver de solutions dans l'ordre interne.
*
|
|