§ 2 : L'appropriation pénale des manquements
graves aux Codes de conduite privés des pouvoirs privés
économiques.
Il s'agit de la réponse du droit pénal à
la soft Law. L'intervention pénale dans ce domaine vise
à sanctionner les manquements les plus graves aux obligations souscrites
dans les Codes de conduites destinés aux partenaires de l'entreprise et
à préserver l'éthique minimale au sein d'un système
qui s'auto-régule et dont les Codes de conduite constituent une des
manifestations du pouvoir. Il est d'actualité que la majorité des
pouvoirs privés économiques, du moins celles qui disposent d'une
personnalité juridique ou présentent une structure
intégrée, ont élaboré un Code de conduite
destiné à encadrer les activités de leurs
différentes entités dans les différents espaces et
contiennent des prescriptions de comportements positifs139. Par
exemple, la firme Royal Dutch Shell rend obligatoires les
139 C'est ainsi que l'on trouve des Codes de conduite ou
chartes éthique, selon la terminologie employée par l'entreprise,
qui ont vocation à réguler les comportements de l'entreprise en
tout lieu et à s'appliquer à l'ensemble de ses activités.
Voir, M. BRAC, « Codes de bonne conduite : Quand les
sociétés jouent à l'apprenti législateur »,
dans E. CLAUDEL et B. THULLIER (dir.), Le droit mou : une concurrence faite
à la loi, Paris, Travaux du CEDCACE, 2004. Disponible à :
http://www.glose.org/cedcace.htm,
voir aussi, G. FARJAT, « Nouvelles réflexions sur les Codes de
conduite privée », dans J. CLAM et G. MARTIN (dir.), Les
transformations de la régulation juridique, Paris, L. G. D. J.,
1998, p. 15 1-164,
prescriptions énoncées dans son Code de conduite
à toutes ses entités140. Les Codes de conduites
privés à travers lesquels les entreprises proclament leurs
prédispositions à respecter la législation et à
mieux faire, en respectant par exemple les droits de l'Homme et
l'environnement, pourraient inspirer le juge répressif à prendre
les pouvoirs privés économiques aux mots pour réprimer
certains manquements graves à leurs engagements et ce, nonobstant le
lieu où le délit est commis.
L'appropriation pénale des Codes de conduites des
grandes entreprises a pour avantage qu'elle permettrait d'appréhender
pénalement les agissements qui échappent à la
répression par la stricte application ordinaire des principes directeurs
du droit pénal. Par exemple, l'application du principe de la
personnalité de la peine ne permet pas de réprimer
pénalement le groupe pour les activités de sa filiale
située dans un autre pays, à moins qu'il soit prouvé une
gestion de fait de la part de la maison-mère. Or, dans les Codes de
conduite, les groupes s'engagent à tout faire pour respecter au minimum
la règlementation et au mieux promettent de mieux faire. En
s'intéressant aux entreprises dont l'activité se déploie
ordinairement hors du territoire d'un Etat, les banques par exemple, on se rend
compte que certaines ne respectent pas à la lettre leurs engagements.
Prenant l'exemple de l'incrimination du blanchiment d'argent, il paraît
difficile de contrôler l'origine des fonds déposés dans
certaines filiales des banques de grandes renommées situées dans
les pays à faible système juridique ou dans certains paradis
fiscaux.
S'il est avéré que les groupes respectent la
législation dans les pays à systèmes économique et
juridique intégrés, les doutes sont permis lorsque les
mêmes activités se déploient dans les pays à faibles
systèmes juridiques. D'ailleurs, c'est dans ces pays que la plupart des
délits environnementaux et de corruption transnationale sont
reprochés aux pouvoirs privés économiques. L'appropriation
pénale des Codes de conduite aura pour effet de tenir pour
pénalement responsable le groupe pour les activités
délictueuses commises par ses filiales ou ses sous-traitants
intégrés dans la mesure où le Code de conduite,
émanation de
140 On peut y lire : « Nos valeurs fondamentales
d'honnrteté d'éthique et de respect d'autrui s'appliquent
à toutes nos activités et sont le fondement mrme des Principes de
conduite de Shell. Toutes les sociétés Shell doivent mener leurs
activités dans le respect de ces principes. Nous sommes jugés
d'après nos actes et notre réputation sera confirmée si
chacun d'entre nous agit dans le respect de la législation et des
principes éthiques énoncés dans nos Principes de conduite.
Chacun chez Shell doit respecter ces exigences qui s'appliqueront bien str
à différentes personnes à différents moments en
fonction de leur travail. La violation du Code peut conduire à des
mesures disciplinaires. Nous nous engageons à faire tout notre possible
pour vous aider à observer le Code ».
la volonté de l'entreprise de se comporter en
entreprise responsable interdisent de telles pratiques. Au civil, on se
souvient de l'affaire Nike où la multinationale s'était fait
condamnée pour non respect de la législation sur le travail des
enfants du fait de ses sous-traitants intégrés en Asie du
sud-est.
Le juge répressif pourrait s'inspirer de cette
jurisprudence civile pour réguler pénalement les grandes
entreprises qui manquent à leur promesse de se comporter de
manière responsable. Il pourra se fonder sur l'article L.121-1 du Code
de la consommation tel que modifié par la Loi n°2008-776 du 4
août 2008 portant modernisation de l'économie. Les articles 121-2
à 121-7 de ce même Code instituent une série de mesures
visant à réprimer et sanctionner les pratiques commerciales
trompeuses. La cessation de la pratique commerciale trompeuse peut être
ordonnée par le juge d'instruction ou par le tribunal saisi des
poursuites, soit sur réquisition du ministère public, soit
d'office. La pratique commerciale trompeuse est punie d'un emprisonnement de
deux ans au plus et d'une amende de 37 500 euros au plus, cette amende pouvant
être portée à 50 % des dépenses de la
publicité ou de la pratique constituant le délit.
Il est clair que si le juge répressif venait à
faire application de ce dispositif pour réprimer les manquements aux
prescriptions d'un Code de conduite d'une grande entreprise, les chefs
d'entreprise seraient à l'avenir plus respectueux des engagements qui y
sont contenus. Par exemple dans les affaires mettant en cause les entreprises
ayant souscrit de tels engagements, le fondement de la condamnation à
une peine pourrait être l'interprétation combinée de la
pratique commerciale trompeuse et de la volonté affichée du
défendeur à respecter certaines prescriptions et publiée
dans un document qui tient lieu de loi à son encontre. Par exemple,
l'article L. 121-1-1 (n° 3) du Code de la consommation réprime le
fait « d'affirmer qu'un Code de conduite a reçu l'approbation
d'un organisme public ou privé alors que ce n'est pas le cas
». Il s'agit d'une infraction formelle, qui ne suppose aucun
résultat. Une telle démarche pourrait être utile en
matière de répression de la délinquance environnementale
transnationale ou même de corruption d'agents publics étrangers
par une filiale d'un groupe.
De même, le juge répressif pourrait utiliser les
Codes de conduite comme un instrument pour rechercher les vrais
décideurs auxquels il faudrait imputer la responsabilité de
l'infraction. Dans le cadre des infractions trouvant leur source dans
les activités d'une grande complexité, l'exploitation des
Codes de conduite des différents associés de l'entreprise
présumée délinquante pourrait permettre de désigner
le véritable responsable ; l'entreprise au
profit de laquelle l'infraction est consommée ou
à la charge de laquelle elle sera imputée. Par exemple, dans le
Code de conduite l'entreprise Royal Dutch Shell, il est écrit à
propos des personnes qui doivent appliquer le Code : « Chaque
salarié, directeur ou responsable de chaque société
détenue entièrement par Shell et de chaque joint-venture
contrôlée par Shell doit appliquer le Code de Conduite. Le
personnel contractuel doit aussi observer le Code. Les sous-traitants ou les
consultants qui nous représentent ou qui travaillent pour notre compte
ou en notre nom, par I' externalisation de services, de processus ou de toute
activité commerciale, doivent se conformer au Code lorsqu'ils agissent
pour notre compte. Les sous- traitants et les consultants indépendants
doivent prendre connaissance du Code, puisqu'il s'applique aux relations que
notre personnel entretient avec eux Nous appliquons le Code dans toutes les
joint-ventures contrôlées par Shell. Lorsque nous participons
à une joint- venture qui n'est pas contrôlée par Shell,
nous encourageons la coentreprise à adopter des principes et des normes
similaires».
Les Codes de conduites s'avèrent donc comme un
véritable document pouvant rendre service au juge répressif pour
une répression efficace en droit économique
caractérisé par l'émergence des nouveaux pouvoirs qui
bouleversent la mise en oeuvre des règles pénales en
matière économique. L'émission d'un Code de
conduite devrait tenir lieu de loi à l'égard de son
auteur et permettre au juge de déterminer le contenu de l'obligation
à laquelle s'est engagé son souscripteur. Tout manquement
à ce contenu et qui heurterait une valeur sociale protégée
pourrait inspirer le juge répressif à réguler les pouvoirs
privés économiques. Le redéploiement efficace de la mise
en oeuvre du droit pénal à l'encontre des pouvoirs privés
économiques est dépend aussi de l'appropriation de ces normes
d'origine privée.
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