Section II : Le recentrage autour des fraudes aux
intérêts publics.
On approuve tout à fait l'importante croissance des
acteurs économiques privés dans le sens d'une croissance
économique, mais à condition que les intérêts
publics ne soient pas sacrifiés à des intérêts
privés et particuliers, et que les intérêts publics ne
soient non plus dépendants de la puissance désormais
réelle des pouvoirs privés économiques. C'est
désormais une évidence que pour ces derniers, le droit
pénal est avant tout un risque qu'il faudrait contourner, car ils
n'apprécient pas la rigidité du droit pénal et souhaitent
être libérés de toute entrave. Reste que les
finalités du droit pénal ne permettent pas que les
intérêts de la communauté cèdent devant ceux d'une
catégorie d'acteurs.
C'est dans son rôle de répression des fraudes aux
intérêts de la communauté que le droit pénal
s'attachera à sévir contre les atteintes à la transparence
et au libre accès aux marchés publics (§ 1) et à
loyauté dans la pratique des affaires (§ 2).
§ 1 : La répression effective des atteintes
à la liberté d'accès aux marchés publics.
Les marchés publics « sont les contrats
conclus à titre onéreux entre les pouvoirs adjudicateurs
définis à l'article 2 et les opérateurs économiques
publics ou privés, pour répondre à leurs besoins en
matière de travaux, de fournitures ou de services ». Telle est
la définition qui ressort de l'article 1 du Code des marchés
publics dans sa version de 2006. On se rend compte qu'il s'agit d'une
opération dans laquelle la personne publique renonce à son
pouvoir unilatéral et se situe sur le champ contractuel face à un
opérateur économique public ou privé en vue de conclure un
contrat répondant à ses besoins de travaux, de fournitures ou de
services. Malgré la précision de la qualité publique ou
privée de l'opérateur économique, dans les faits, les
soumissionnaires aux marchés publics sont généralement des
opérateurs privés, des entreprises. L'opération de
marché public requiert une attention particulière de la part de
la communauté des citoyens tant il est vrai que c'est elle qui la
finance à travers l'impôt. C'est la raison pour laquelle, toute
atteinte aux exigences de concurrence et de libre accès ou de
transparence doit être réprimée.
Les marchés publics mettent en jeu les deniers publics,
le montant global de la commande publique dans la Communauté
européenne représentait 720 milliards d'euros en
137biens et service dans l'Europe des quinze, soit
11.5% du PIB des quinze pays réunis, et attirent les convoitises.
Certaines entreprises peu scrupuleuses sollicitent les acheteurs publics pour
obtenir des marchés et faussent les règles du jeu en la
matière. De mrme, l'accès aux marchés publics est un enjeu
majeur dans la mesure où les opérateurs économiques
dominants tels les pouvoirs privés économiques auraient tendance
à en priver les petites et moyennes entreprises par des pratiques
contestables. Pourtant, l'une des vocations des marchés publics est de
contribuer à la satisfaction de l'intérrt général
pour lequel le droit pénal est utilisé afin de sanctionner les
atteintes. Ceci passe généralement par une mise en concurrence
des candidats potentiels. Or les grandes entreprises sont suspectées par
les petites et moyennes entreprises de les écarter de l'attribution des
marchés en recourant aux pratiques contestables qui tombent sous le coup
des délits de favoritisme et de corruption. Celles-ci seraient fortement
intéressées par l'obtention des marchés publics dans la
mesure où elles procèdent généralement à la
sous-traitance toujours dans le cadre du groupe, à la faveur de la
diversification de leurs activités.
La pénalisation des marchés publics est donc un
moyen d'encadrer les pouvoirs privés économiques et d'emprcher
qu'ils ne spéculent au détriment des contribuables et n'utilisent
leur puissance financière pour constituer des « barrières
à l'entrée » pour la soumission aux marchés publics.
Les manquements au devoir d'impartialité et de transparence dans la
dévolution des marchés publics a une conséquence grave
dans la mesure où le seul perdant est en fait le contribuable,
car c'est lui qui finance les marchés et paie les «
pots-de-vin » dans les prix des adjudications faussées ou dans la
diminution de la qualité des travaux ou prestation attendus
l'opérateur. C'est la raison pour laquelle le champ de la
répression est large et atteint à la fois la personne
privée économique par l'incrimination de la corruption et le
fonctionnaire par l'incrimination du favoritisme. Cette répression ne
concerne pas seulement l'auteur ou le coauteur de l'infraction, mais
également toutes les personnes qui, à des degrés divers
(complice ou recel), ont commis les faits constitutifs des délits de
favoritisme, de prise illégale d'intérrts ou de
corruption138.
137 F. GESCAUD, Livre vert de la Commission : les
marchés publics doivent jouer l'ouverture, MOCI 19/26 décembre
1996, p. 15, cité par P. REIS, La concurrence et les marchés
publics, Thèse Nice, 1999, p. 9
138 Voir article 432-14 du Code pénal réprimant
le favoritisme: « Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros
d'amende le fait par une personne dépositaire de l'autorité
publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un
mandat électif public ou exerçant les fonctions de
représentant, administrateur ou agent de l'Etat, des
collectivités territoriales, des établissements publics, des
sociétés d'économie mixte d'intérêt national
chargées d'une mission de service public et des sociétés
d'économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le
compte
ans le cadre d'un marché globalisé, où un
opérateur peut approvisionner plusieurs personnes publiques sur des
espaces territoriaux différents, les risques sont encore plus grands et
les probabilités de commissions des infractions aux règles de
passation des marchés publics s'accroissent. C'est ainsi que dans le
cadre de l'OCDE, les Etats membres ont décidé
d'incriminer la corruption d'agents publics étrangers. Or les
marchés publics étrangers constituent l'essentiel des parts de
marché des grandes entreprises et l'enjeu majeur du commerce
international. Mais il semble que la convention de Paris du 17 décembre
1997 sur la répression de la corruption d'agents publics
étrangers ne résolve pas tout le problème dans la mesure
où elle n'incrimine que la corruption active et ne vise pas la
corruption passive du fonctionnaire étranger. Le fonctionnaire
étranger est jouit d'une certaine impunité dès lors que
l'acte se produit en dehors de la communauté européenne. Ce qui
peut faire dire que les risque pour les entreprises de se faire prendre sont
minces et que la convention n'est pas suffisante, mais les conséquences
pour l'entreprise qui se fait prendre sont énormes.
Il paraît opportun que la compétence du juge
répressif soit renforcée dans le domaine du contrôle des
actes de l'achat public afin de mieux encadrer les grandes entreprises par la
répression de leurs abus et favoriser l'accès des petites et
moyennes entreprises à la commande publique. Les marchés publics
peuvent donc être un domaine dans lequel le droit pénal pourrait
se focaliser à l'encontre des pouvoirs privés économiques
dans la mesure où les infractions qui y sont commises ne
requièrent pas généralement l'appréciation
concurrente d'une autre autorité : elles sont constituées
dès lors que l'acte matériel est caractérisé.
Investies d'une plénitude de compétence renforcée par
l'article 111-5 du Code pénal, les juridictions répressives ne
sont pas tenues de renvoyer les questions préjudicielles au juge
administratif et ont, par conséquent, le pouvoir de qualifier les
marchés publics à l'origine des poursuites.
Toutefois, pour que la répression pénale frappe
véritablement les personnes à l'origine des comportements
fautifs, le juge pénal, face aux pouvoirs privés
économiques devrait procéder par touches techniques, en puisant
dans le droit pénal les mécanismes pouvant lui permettre de
désigner le vrai responsable. Ainsi en sera-t-il lorsque le juge
pénal fera recours à la caractérisation de la
complicité pour sanctionner les centres de décision,
généralement la maison-mère du groupe. Dans ce domaine, la
justice américaine est en avance sur celle du
de l'une de celles susmentionnées de procurer ou de
tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte
contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant
pour objet de garantir la liberté d'accès et
l'égalité des candidats dans les marchés publics et les
délégations de service public ». Voir aussi l'article 432-11
du Code pénal sur la corruption passive et l'article 432-12 du
même Code sur la prise illégale d'intérêts.
reste des pays de l'OCDE dans la mesure où elle
réprime efficacement les entreprises américaines pour des faits
commis par leurs filiales à l'étranger alors, que dans d'autres
pays de l'espace OCDE, l'efficacité du droit pénal tarde à
se dévoiler. La pauvreté du contentieux dans le domaine des
marchés publics internationaux est le signe mrme de l'inadaptation du
droit des marchés publics à l'espace économique
transnational. Le renforcement de la compétence du juge répressif
en la matière viendrait remédier à la défaillance
ou à la carence des contrôles administratifs dans les
marchés de cette dimension. La pénalisation est donc un
instrument de dissuasion et de moralisation du processus de dévolution
des marchés publics. Il ressort donc de ce qui suit que le droit
pénal peut avoir pour champ de prédilection les marchés
publics et pourrait utiliser les qualifications de recel et de
complicité pour réprimer les pouvoirs privés
économiques. Mais le juge pénal pourrait aussi recourir à
d'autres procédés pour réguler les pouvoirs privés
économiques dans les domaines où les principes du droit
pénal ne facilitent pas la répression automatique des
comportements illicites : il pourra s'approprier les Codes de conduite
privés.
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