Section ÉÉ : Le préjudice et
le lien de causalité
Ce sont deux autres conditions classiques de la
responsabilité contractuelle. Ainsi nous analyserons dans un premier
temps le préjudice (§1) puis nous traitons le lien de
causalité dans un second temps.
§1 : Le préjudice
Il ne peut avoir responsabilité civile sans dommage.
C'est une condition sine qua non. Ainsi une faute non dommageable pour autrui
aussi grave soit-elle ne peut être civilement sanctionnée. Donc si
la victime doit toujours rapporter la preuve d'un dommage, il faut savoir que
tout dommage n'est pas réparable.
Ainsi le dommage peut être corporel, matériel
ou moral en droit commun de la responsabilité contractuelle. Pour ce qui
concerne le dommage corporel il n'aura pas en la matière. Par contre la
victime peut dans une certaine mesure demander la réparation d'un
dommage matériel ou moral.
Le dommage matériel est celui dont la
réparation est le plus souvent demandée. Le préjudice
matériel, encore appelé dommage économique s'analyse en
une lésion d'intérêts patrimoniaux appréciable
directement en argent. Il peut s'agir d'une perte subie ou d'un gain
manqué.
La perte subie ou « damnum emergens »
correspond à l'appauvrissement de la victime, dépenses utiles
effectuées par la victime par exemple.
Le gain manqué ou « lacrum cessans »
correspond à l'hypothèse dans laquelle la victime a
été privée d'un enrichissement qu'elle pouvait
raisonnablement espérer. Exemple : une bonne affaire manquée
par le client suite à un défaut de conseil de son banquier.
Le dommage moral est tous les dommages qui ne portent pas
atteinte au patrimoine, qui n'ont pas d'incidences économiques directes
et ne sont pas donc susceptibles d'évaluation pécuniaire. Ce
genre de dommage sera pourtant généralement réparé
par l'allocution d'une somme d'argent.
Pour être réparé le préjudice doit
présenter plusieurs caractères, il doit être certain et
prévisible. Le caractère prévisible du dommage ne pose pas
en la matière beaucoup de difficultés. Il suffit que le banquier
ait en conscience lors de la conclusion du contrat, des conséquences de
sa défaillance. En revanche, le caractère certain du dommage pose
en la matière plus de problèmes. En effet pour être
réparable, un dommage doit être actuel et certain. Il peut frapper
la victime directe ou bien par répercussion d'un premier dommage subit
par une victime directe, c'est le problème du dommage par ricochet.
Un dommage certain c'est un dommage qui n'est pas
hypothétique qui n'est pas éventuel, c'est celui qui est
tellement vraisemblable que le droit le prend en considération. Seul le
préjudice réel peut donner lieu à réparation, qu'il
soit présent ou futur. Si le dommage moral résultant du
défaut de conseil présente à l'évidence ce
caractère certain, il en va différemment pour le préjudice
matériel. En effet, lorsque le banquier n'a pas ou mal conseillé
son client, le dommage peut-il exactement être mesuré à
l'aune des pertes subies par celui-ci ? Du moment où le banquier
conseille le client, il ne fait que l'inciter. Rien ne dit que le client suit
le conseil, de même rien ne dit qu'aucun aléa ne serait venu
compromettre le succès de l'opération. Dès lors, le
préjudice subi par le client n'est pas de façon certaine
étendue à toutes les pertes ou manques à gagner. En ne
recevant pas le conseil auquel il avait droit, le cocontractant a seulement
perdu l'opportunité d'éviter les pertes et de ne pas voir le
risque se réaliser. De ce fait, le préjudice du client ne peut se
mesurer qu'à la perte de chance éprouvée. C'est l'avis
majoritaire de la jurisprudence.
Le préjudice réparable se résume alors
à une perte de chance subie par le client du fait de la
défaillance de la banque. D'ailleurs on trouve de nombreuses
décisions de différentes Cour d'appel qui considèrent que
le préjudice subis par le client est égal aux pertes qu'il a
éprouvé41. Elles décident que le client, s'il
avait reçu le conseil n'aurait pas subi ces pertes. Mais il semblerait
de ce point de vue que ce raisonnement pose des problèmes. Parce que nul
ne saurait prédire ce qui serait arrivé s'il avait
été conseillé. D'ailleurs la Cour de cassation a
corrigé cette jurisprudence dans l'arrêt du 10 décembre
199642. Il estime que le manque de conseil ne peut causer qu'une
perte de chance. Encore faut-il que cette perte de chance soit effectivement
due à la défaillance du banquier pour que le cocontractant
obtienne réparation. C'est la question du lien de causalité.
§2 : Le lien de causalité
L'appréciation du lien de causalité est
délicate.
La victime doit démontrer qu'il existe un lien de
causalité exclusif entre la faute et le préjudice subi.
Les difficultés relatives au lien de causalité
amènent le juge à se contenter d'une probabilité, faute de
preuve absolue. C'est le même cas en matière bancaire. A cet
égard, dans un arrêt en date du 29 avril 199943, la
Cour d'appel déclare que dans cette affaire, deux prêts avaient
été consentis a une société. Alors cette
dernière ne pouvant les rembourser, invoque le manquement de la banque
à son obligation de conseil dans l'octroi de crédit. La Cour
alors par un constat fait de la faute de la banque
décide : « que cette dernière a donc fait
preuve de légèreté dans l'octroi de crédit, ce qui
provoque sa condamnation à l'allocution de dommage et
intérêts ».
..................................
41 Voir par exemple : Versailles, 17 sept 1998,
juris data no 049717 ou Amiens, 21 mai 1996, juris data no
049433.
42 Cass.com. 10 dec. 1996, op.cit.
43 Dijon, 29 avr. 1999, _in Martin (D.-R), De la
causalité dans la responsabilité du préteur, Banque et
droit 1999, no 68, p.3.
Par un aperçu fait du livre « De la
causalité dans la responsabilité civile du
prêteur » de Martin44, nous serons amenés
à concevoir que l'analyse du lien de causalité est ici
artificielle. La Cour n'a fait que constater la faute de la banque et en
déduit une condamnation de la banque sans autre recherche.
Le lien de causalité, une fois prouvé par le
demandeur, permet de déterminer quel sera le préjudice
réparable. Ainsi donc cela suppose que seul le préjudice direct
pourra être réparé. Mais cela n'écarte pas
l'idée de savoir que le préjudice par ricochet peut être
réparé du moment où il présente un lien
nécessaire avec la faute commise. On peut citer à cet
égard deux arrêts de la Cour de cassation. D'une part, dans
l'arrêt du 2 juillet 199745, la Cour de cassation
décide que la faute de la banque dans l'octroi de crédit a
causé le défaut de paiement par l'emprunteur des charges
afférentes au bien immobilier acquis grâce à l'emprunt.
D'autre part, on peut reprendre l'arrêt de la Cour d'appel du 29 avril
199946. Une caution se plaignant du préjudice subi par
ricochet du fait de la faute de la banque dans l'octroi de crédit. La
Cour constate alors la faute de la banque. Puisque les cautions étaient
informées, elle décide que le préjudice causé
était égal à la moitié du prêt et condamne la
banque à payer des dommages et intérêts égaux
à cette part.
Cependant, la faute peut contribuer au préjudice
sans être toujours la cause exclusive. C'est la raison pour laquelle les
tribunaux prononcent parfois un partage de responsabilité.
Fréquemment, le professionnel invoque pour se
défendre, soit des circonstances conjoncturelles, soit la
passivité du client à réception des avis
opérés.
Un arrêt de la Cour de cassation est venu rappeler
que : « le client d'une société de bourse ne
commettais pas la faute en ne réagissant pas aux avis
d'opéré portant sur des montants anormaux dès lors
qu'ayant donné un mandat de gestion à la société,
il n'est pas tenu d'assurer la surveillance de l'évolution de son
compte, sauf s'il reçoit des mises en garde »47.
Plus récemment encore, la Cour de cassation a cassé un
arrêt d'appel qui avait retenu un partage de responsabilité entre
le banquier et le titulaire du compte au motif qu'il recevait
régulièrement des relevés faisant ressortir la nature des
opérations réalisées et aurait pu mettre un terme à
celles-ci en clôturant le compte48.
..................................
44 Martin (D.-R), De la causalité dans la
responsabilité civile du préteur, Banque et droit 1999, no 68,
p.3.
45 Cass.com. 2eme, 2 juillet 1997, Bull.
civ., II, no 212; Petites affiches 1997, no 120, p.9 note
Martin (D.-R)
46 Dijon, 29 avr. 1999, _in Martin (D.-R), De la
causalité dans la responsabilité du préteur, Banque et
droit 1999, no 68, p.3.
47 Cass.com 1ere fevrier1994
48 Cass.com 13 mai 1997
Les cas de figures concernant la responsabilité du
banquier sont extrêmement variés. Il est néanmoins certain
que l'évolution de la jurisprudence tend vers une plus grande
sévérité à son égard.
Conclusion
Tout d'abord dans notre introduction, c'était un
panorama de l'obligation de conseil que nous avions promis de dresser. Alors
puisque toute promesse constitue une dette selon l'adage, donc il est temps que
notre promesse soit exécutée.
L'obligation de conseil n'est pas un instrument
privilégié de la mise en jeu de la responsabilité
bancaire. Nous devons admettre ici que c'est un constat d'échec. En
effet, l'obligation de conseil parait alors vaste en ce qu'elle est
attachée à tous les contrats bancaires. Cependant
l'appréciation stricte de la qualité de profane, l'objet du
conseil restreint aux risques encourus par le client et le rattachement de
l'obligation de conseil au simple devoir de vigilance du banquier en font un
instrument sous contrôle, dépendant des autres obligations du
banquier.
Ainsi nous pouvons affirmer que la consécration puis
le développement de l'obligation de conseil du banquier constitue l'une
des évolutions majeures du droit de la responsabilité bancaire
comme le pense des auteurs49. En effet, et bien que la prudence
s'impose en la matière tant la jurisprudence manque encore de
clarté, on peut dire que le banquier dispensateur de crédit est
tenu, à l'égard de ses clients profanes, à une obligation
de conseil sur les dangers potentielles des opérations
envisagées. Cette obligation parait, en outre, quelque peu
renforcée si le banquier est détenteur de comptes ouverts au nom
de l'emprunteur, puisqu'il devra, dans ce cas, informer globalement ce dernier
sur les avantages et les inconvénients des diverses solutions qui
s'offrent à lui à la place du crédit, sans pour autant
s'intégrer dans ces affaires. Cette obligation risque, par ailleurs,
d'être fréquemment couplé, en pratique à une
obligation de vigilance, imposant plus particulièrement le banquier
professionnel de ne pas proposer de crédit disproportionné au
regard des facultés contributives de son client.
Cependant il est inutile de penser que l'obligation de
conseil tend à disparaître, elle apparaît encore
fréquemment à la charge du banquier.
Toutefois, l'analyse des arrêts rendus permet de constater
cette réalité.
Dès lors, un réaménagement de l'obligation
de conseil, consacré par le
..................................
49. D. LEGEAIS, l'obligation de conseil de
l'établissement de crédit à l'égard de l'emprunteur
et de sa caution, in Mélanges AEDBF-France, Banque éditeur 1999.
p.257.
législateur, n'est pas à exclure à
l'encontre du banquier dispensateur de crédit. Ce
réaménagement pourrait être réalisé par la
transposition en droit interne de
nouvelles directives permettant une meilleure prise en charge des
clients. Des directives exigeant à la charge du banquier une obligation
générale de conseil visant à n'offrir à son client
que le ou les types et montants de crédit qu'il serait en mesure de
rembourser, en tenant compte, entre autre, de sa situation
financière.
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