Section ÉÉ : Les limites du droit de
conseil du banquier
Dans son expression la plus simple, le conseil est une mise
en garde. Il peut être aussi positif. C'est le fait donc d'indiquer
à une personne la voie à suivre. Alors le conseil peut-il aller
jusqu'au refus de contracter ? Devant les risques engendrés par
l'opération, le banquier doit-il refuser de contracter ou d'obéir
aux ordres du client ?
Le refus de consentir ou d'exécuter l'opération
est-il la phase ultime de l'obligation de conseil ? A notre avis nous ne
le croyons pas. Au contraire il nous semble que le refus de contracter marque
la limite de l'obligation de conseil. D'autre part, comme nous l'avons
déjà remarqué, le conseil contient nécessairement
une information. Dès lors, on pense automatiquement au secret bancaire
lorsqu'on parle d'information délivrée par le banquier. Le
conseil connaît donc deux obstacles ou limites. Une limite tirée
du refus du banquier de contracter et une autre, tirée de l'information
délivrée par le banquier.
§1 : Le refus de contracter ou d'exécuter les
ordres du client
Il est à noter que le problème relatif au
refus de contracter a le plus souvent existé en ce qui concerne l'octroi
de crédit. Il nous semble cependant qu'il peut être important de
l'étudier sous l'angle d'une obligation de conseil
générale pour des raisons diverses. D'abord nous n'avons eu le
constat d'aucune différence au contenu du conseil en matière
d'octroi de crédit, il peut néanmoins se révéler
dans les autres domaines également. De ce point de vue, leur
étude pourra aider à apporter de la lumière à cette
difficulté.
Diverse auteurs font assimiler, particulièrement en
matière d'octroi de crédit, l'obligation de conseil et le refus
de contracter. Pour les uns, il n y aurait pas d'obligation de conseil en
matière d'octroi de crédit mais seulement une obligation de ne
pas consentir un emprunt risqué pour le client. Parmi ces auteurs on
pourrait en citer Gourio27 et Legeais28.
Par une consécration de l'obligation de conseil
à la charge du banquier, la Cour de cassation a ouvert une porte de
réflexion. En revanche on part de la règle selon laquelle, le
banquier est tenu de conseiller le client sur l'opportunité du
crédit lorsque ce dernier est disproportionné, trop important par
rapport aux ressources du débiteur. A partir de là, il n y aura
pas de difficulté pour affirmer que le banquier est alors tenu de
refuser le crédit
..................................
27 Gourio (A.), Le prêteur est-il
réellement tenu d'une obligation de conseil envers le particulier
emprunteur ?
28 Legeais (D.), L'obligation de conseil de
l'établissement de crédit à l'égard de l'emprunteur
et de sa caution, Mélanges AEDBF, 1999 p. 257.
sollicité. En effet, selon ces auteurs, de nombreux
arguments militent en faveur d'une telle analyse. D'abord, on comprend mal voir
inconcevable pourquoi le banquier malgré le risque manifeste du fait que
le crédit ne soit pas remboursé, consentir le crédit.
Cet argument ne peut perdurer. D'autre part, selon Legeais,
l'obligation de conseil perdrait de son efficacité s'il n'était
que conseil et s'il n'imposait pas du même coup au banquier de refuser
l'emprunt. En outre, selon Gourio, cela ne correspond pas à la
réalité du processus de formation du prêt. En effet selon
lui, l'emprunteur « potentiel » va voir son banquier
non pas pour solliciter un conseil mais une décision : celle
d'accorder le crédit ou de ne pas l'accorder. Il ajoute enfin que la
véritable faute que sanctionne la Cour de cassation, c'est l'octroi
excessif de crédit, que le banquier est tenu de refuser le
prêt.
Le raisonnement en fait ici, c'est que le banquier se verra
sanctionner du moment où il octroie un crédit excessif.
Il ne nous semble pas aussi que cette solution puisse
perdurer pendant très longtemps et ce pour plusieurs raisons.
L'obligation de conseil est mise à la charge de la banque dans
l'intérêt de l'emprunteur, le client. C'est par une protection de
l'emprunteur contre le banquier que la Cour de cassation a mis à la
charge du banquier une obligation de conseil. Dès lors, du moment
où le banquier a donné son conseil au client, il est
déchargé de toute responsabilité. Le client sachant alors
les risques qu'il encourt, le banquier est déchargé de sa
responsabilité. S'il n y a pas de jurisprudence où un client,
malgré les mises en garde du banquier s'est malgré tout
engagé dans l'emprunt, il existe cependant de nombreuses jurisprudences
où l'emprunteur connaissait les risques inhérents à
l'opération. Dans ces espèces, la Cour de cassation ne sanctionne
pas le banquier parce que l'emprunteur, le client connaissait le risque
inhérent sans rechercher par ailleurs si l'opération de
crédit était ou non excessif. Dès lors, ce n'est pas un
refus de contracter que la Cour de cassation impose au banquier.
Le conseil, s'il est une incitation ne doit rester qu'une
incitation. Le refus de contracter est donc la première limite
posée au conseil du banquier. Il existe une autre limite, il s'agit du
secret professionnel ou bancaire.
§2 : Le refus d'établir le secret
bancaire
Planiol définit le secret professionnel
comme « l'obligation du secret imposé à un grand
nombre de personne pour les choses qu'elles ont connues dans l'exercice de leur
profession ou fonction »29.
Si le banquier est tenu du secret professionnel, il se trouve
parfois dans une situation embarrassante : est-il obligé de faire
une entorse à son devoir de
..................................
29 Planiol, traité élémentaire de
droit civil, tome 2, no 828
discrétion afin de respecter son obligation de
conseil ?
En effet le banquier qui remplit une mission de conseil
devra nécessairement délivrer une information. En d'autre terme,
celui qui conseille de faire ou de ne pas faire doit expliquer les raisons de
son choix et par la même fournir des informations à son client. Le
conseil inclut donc forcément une information. Or, le banquier, dans
l'exercice de sa profession n'a pas une entière liberté de
parole. Il est au contraire tenu à un devoir de discrétion
autrement dit secret professionnel ou bancaire. De même le banquier est
détenteur d'informations confidentielles sur ces clients voire sur des
tiers.
C'est pourquoi, plus qu'à un simple devoir de
discrétion, des auteurs notent que « tout un courant
doctrinal 30 certains décisions de justice 31, la
pratique bancaire » considéraient que le banquier était
assujetti à un véritable secret professionnel.
Notons que les informations confidentielles sont les informations
précises souvent chiffrées. Sont également des
informations confidentielles, celles qui révèlent du secret des
affaires et celles relatives à l'organisation d'une entreprise, ses
projets d'exécution, d'investissement...
Les informations non confidentielles sont celles d'ordre
général ou public. Ainsi par exemple en est-il d'information sur
la solvabilité d'un client, sur l'existence de chèque
impayé, de protêts, etc....Le banquier, à l'occasion du
conseil, peut délivrer les informations non confidentielles
c'est-à-dire celles qui sont d'ordre général mais doit
passer en silence les informations confidentielles à l'exemple des faits
non publics que le client ou un tiers les a confié.
Donc seules les informations reçues par le banquier en
cette qualité seront garanties par le secret bancaire.
Apparemment, les exceptions au secret professionnel sont
peu nombreuse, cette obligation renforçant la foi du public dans le
système bancaire. Cela sème le doute sur la possibilité
d'un conseil à la charge de ces professionnels, en particulier dans le
domaine des garanties, car l'essentiel de l'obligation de conseil consiste
à transmettre au client des informations qui sont susceptibles
d'être couvertes par le conseil.
Lorsque le banquier formule son conseil, il exécute
son obligation de conseil. Le client est alors libre d'en tenir compte ou non.
S'il est désintéressé, il ne pourra y avoir sanction
à l'encontre du banquier. Alors ça sera le moment ou l'on parlera
de la question de la sanction de l'obligation de conseil.
..................................
30 Ch. Gavalda et J. Stoufflet, Droit bancaire,
précis Dalloz, 5e édition, no 174.
31 CA Pais, 6 Février 1975, 318.
Chapitre ÉÉ : Les sanctions
envisagées à l'absence de l'obligation de conseil du
banquier
La sanction du défaut de conseil est à
rechercher ailleurs.
C'est sur le terrain de la responsabilité contractuelle
qu'il nous faut rebondir. La responsabilité contractuelle est en effet
l'instrument entre les mains du juge pour condamner le banquier. Nous nous
contenterons donc d'étudier, au titre de la sanction de l'obligation de
conseil, le régime de la responsabilité contractuelle. D'une
manière classique, nous l'analyserons en deux temps. Nous verrons
d'abord les conditions de la responsabilité, puis la mise en oeuvre de
la responsabilité contractuelle.
Hormis l'hypothèse dans laquelle le banquier s'est
engagé contractuellement à atteindre un niveau de performance
précis dans le cadre par exemple d'une gestion de portefeuille, il ne
supporte qu'une obligation de moyens, c'est-à-dire l'obligation de se
comporter comme un professionnel normalement digne de la place. Dès lors
c'est au client mécontent ou déçu par les résultats
de la gestion qu'il appartiendra de rapporter la preuve d'une faute,
c'est-à-dire d'une violation d'une obligation.
La responsabilité du banquier sera contractuelle s'il ne
respecte pas une obligation d'origine contractuelle.
D'une manière générale, la
responsabilité civile désigne l'obligation de réparer le
dommage causé à autrui. La responsabilité civile
contractuelle est la variété de responsabilité civile qui
s'applique lorsque le dommage en question a été a
été causée par l'inexécution ou la mauvaise
exécution d'une obligation contractuelle.
La responsabilité du banquier peut être aussi
délictuelle si l'on est en présence d'une violation
imposée par la loi, un décret ou une réglementation
financière ou bancaire.
Le client victime de la violation d'une obligation doit
démontrer l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de
causalité entre ces deux éléments conformément au
droit commun de la responsabilité.
Nous étudierons d'abord la faute du banquier puis
nous verrons le préjudice subit par le créancier et le lien de
causalité.
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