Partie ÉÉ : La mise en oeuvre de
l'obligation de conseil du banquier
Nous avons déjà compris que le banquier et
son client sont donc dans une situation où un contrat a
été formé ou est envisagé. Alors le client est un
profane et le banquier un connaisseur, il est de ce fait tenu d'une obligation
de conseil. Le banquier doit prendre ainsi l'initiative de conseiller son
client et non pas attendre son client demande son conseil et ce pour plusieurs
raisons. D'une part cela tiens à la nature même de l'obligation de
conseil qui est le but de notre étude. C'est une obligation accessoire
au contrat qui a été conclu entre les deux parties. Leurs
volontés, comme nous l'avions déjà vu, n'ont pas
porté sur le conseil mais sur la prestation de service. Dès lors,
on en conclut que l'obligation de conseil est d'ordre public. Elle s'impose
donc au banquier, partie la plus forte du contrat qui se trouve être le
débiteur du conseil. D'autre part, le créancier de l'obligation
de conseil est un profane. C'est parce qu'il est ignorant que le banquier doit
le conseiller. De par son incompréhension, son ignorance, on voit
particulièrement mal comment on pourrait exiger de lui qu'il demande le
conseil. Ainsi on a déduit que celui qui sollicite le conseil pressent
au moins les dangers qui le menacent. En conséquence, le plus faible,
celui qui ne comprend même pas que le contrat présente des
difficultés, ne pourrait plus bénéficier de l'obligation
de conseil. On arriverait dans ce cas à une situation extrêmement
paradoxale.
C'est donc le banquier qui doit prendre l'initiative de
mettre en oeuvre l'obligation de conseil. Ça sera alors le moment de
l'exécution de l'obligation de conseil (chapitre I). S'il prend cette
initiative et garde le silence, il manquera à son obligation de conseil
et commettra une faute. C'est alors le moment de la sanction de l'obligation de
conseil (chapitre II).
Chapitre É : L'exécution de
l'obligation de conseil du banquier
L a formulation du conseil peut indifféremment
être effectuée sous la forme orale ou écrite, étant
précisé que la forme écrite gagne cependant du terrain sur
le plan probatoire. Notons toutefois que la pratique bancaire est orale :
le conseil sera donc plus sûrement oral. Cependant, comme nous l'avons
dit, les problèmes liés à la preuve que nous verrons plus
tard, feront préférer la forme écrite.
Le droit contemporain des obligations est marqué par
une profonde évolution jurisprudentielle tendant à accorder
à l'obligation de conseil un rôle considérable. Mais notons
toute fois que l'appréciation du conseil pose quant à elle,
l'incontournable question de l'objet de l'obligation de conseil. Même si
la question parait simple, on a toujours loisir de répondre que l'objet
de l'obligation de conseil, c'est le conseil. Mais a-t-on alors vraiment
répondu à la question ? Le conseil est une notion complexe
dans la mesure où il n'existe pas, à notre connaissance du moins
de définition du conseil en jurisprudence. La Cour de cassation ne nous
donne que des fragments, des indices. Il est revenu à la doctrine de le
définir. Cependant du fait du nombre d'application qui sont faite de
l'obligation de conseil, il apparaît difficile de conclure une
interprétation générale. Malgré tout, la doctrine
s'y est essayée.
Il nous faut donc définir l'objet de l'obligation de
conseil, c'est-à-dire le conseil. Puis nous tracerons les limites du
conseil du banquier.
Section É : La détermination de
l'obligation de conseil du banquier
Pour tenter de définir le conseil du banquier, il
faut s'interroger notamment sur deux questions.
D'abord, dans le conseil du banquier, il y a le terme conseil.
Alors qu'est ce qu'un conseil. A première vue la question se
révèle facile. Le Larousse nous propose une définition
simple. Le conseil c'est alors « une opinion exprimée pour
engager à faire ou à ne pas faire ». Par contre si
cette définition est claire, elle aura oublié de prendre en
compte les formes de l'expression humaine ainsi que la diversité des
situations. De ce fait on pourrait s'interroger sur les recommandations et les
avertissements, s'ils sont ou non des conseils. Il convient donc d'analyser la
notion de conseil (§I). C'est après que nous allons nous pencher
sur le contenu du conseil du banquier (§II).
§1 : La notion de conseil
Le conseil se justifie de trois manières. L'un est
d'ordre conceptuel : le conseil des établissements de crédit
se distingue de l'information tant par son contenu que par ses modalités
d'exécution. Il ne peut être rempli par la simple exécution
de l'information. En effet cette dernière ne suffit pas à
optimiser le choix du client. Cependant le conseil des banques se distingue peu
de la mise en garde. Celle-ci serait l'une des composantes du conseil. Elle
constitue la forme juridique du conseil.
Au plan contractuel le conseil du banquier serait la
révélation d'une volonté jurisprudentielle de créer
une sorte d'ordre public de protection en faveur de la partie faible au contrat
c'est-à-dire le client. C'est une règle établie et qui se
généralise en droit commun des contrats. En effet, la
complexité et la multiplication des opérations bancaires
réduisent l'efficacité de l'information à protéger
le consentement de la banque. La simple fourniture d'une information ne suffit
pas à protéger le consentement du client profane,
inexpérimenté car celle-ci est difficilement utilisable pour lui.
Il ne peut voir les implications ni même en comprendre la portée.
La lucidité du consentement de l'établissement de crédit
demande donc en plus une interprétation de l'information et cela passe
par le conseil.
Au plan extra extracontractuel, le conseil répond
à une nécessité économique et professionnelle. Il
est aussi un instrument de sécurisation du secteur bancaire et de la
fidélisation de la clientèle. Il trouve de plus un
élément de justification dans la compétence du banquier en
tant que professionnel de banque et la confiance qu'elle engendre chez le
créancier du conseil, le client. Celui-ci jouit en effet d'un statut
légal strictement réglementé et d'un monopole
d'exercice.
Outre la confiance qu'inspire le statut du banquier,
celui-ci est tenu aux devoirs professionnels relatifs à l'exercice de sa
profession et qui exige dans une certaine mesure, pour être
respectés, de prodiguer conseil. Ainsi, le conseil se voit-il comme le
complément des devoirs de transparence et de la diligence qui s'imposent
aux banquiers et l'une des composantes du devoir de prudence.
En effet le contrat entre la banque et le client engendre une
obligation de conseil à la charge du banquier. D'une création
jurisprudentielle le conseil se déclenche dès l'entré en
relation avec le client et perdure tout au long de l'exécution du
contrat. Dans la phase précontractuelle, elle peut porter aussi bien sur
un conseil positif que sur une mise en garde contre les risques
inhérents aux opérations bancaires envisagées ou
déjà effectuées. En revanche une fois le contrat conclu le
conseil se limite à une simple mise en garde. Lourd dans son contenu, ce
conseil n'est toutefois pas absolu. La jurisprudence a en effet bien
veillé à ce que le conseil ne dépasse pas l'objet du
contrat liant le banquier à son client. Elle l'a en plus limité
aux opérations réalisées sur le secteur bancaire.
Outre les types de contrat de service conclus entre le banquier
et son client, l'étendu du conseil du banquier varie en fonction de la
qualité des cocontractants, sujet de l'obligation. Le client constitue
la colonne vertébrale de l'obligation de conseil en sa qualité de
bénéficiaire de la protection assurée par cette
obligation. Fondé sur la disparité entre la banque et son client,
le conseil n'est cependant du à ce dernier que lorsqu'il est profane,
autrement dit ignorant des techniques bancaires auxquelles il participe.
Cependant l'exécution du conseil soumet les parties
contractantes à un ensemble d'exigences. Le banquier est tenu d'utiliser
des moyens adéquats pour parvenir à remplir correctement son
obligation. Pour que le conseil prodigué produise les effets
escomptés, le banquier doit d'abord s'enquérir de la situation et
de l'expérience financière du client ainsi que des objectifs de
son placement et des risques admis par lui. Le client pour sa part doit
collaborer activement avec le banquier. Une fois le conseil
élaboré, le banquier est alors tenu de le transmettre au
client.
§2 : Le contenu du conseil du banquier
Quant aux éléments constitutifs de
l'obligation de conseil du banquier, ils se définissent autour d'un
élément matériel et d'un élément moral.
L'élément matériel de l'obligation de conseil du banquier
est essentiellement un fait pertinent. C'est-à-dire un fait qui se
rapporte à l'objet des services demandés, utile pour le client.
La divulgation de conseil doit de plus être licite, de sorte que
l'exécution de l'obligation de conseil ne porte pas atteinte aux
principes supérieurs tels que le respect du secret professionnel et de
la confidentialité bancaire. Si le conseil remplit les deux conditions,
il doit être prodigué nonobstant l'absence d'une
rémunération spécifique. Quant à
l'élément moral, il consiste, d'une part, en la connaissance par
le banquier de l'importance du conseil pour le client et du contenu du conseil
lui-même. L'ignorance de contenu du conseil est sanctionnée par
une double présomption de connaissance et de compétence pesant
sur le banquier. L'ignorance est donc réputée illégitime
et assimilée à la connaissance. L'élément moral
consiste d'autre part en l'ignorance de l'investisseur du contenu du conseil.
Seul le client profane est créancier d'une obligation de conseil
vis-à-vis du banquier. Sa qualité de profane s'apprécie in
correcto à la lumière de sa profession et de son
expérience en la matière. Lorsque les deux éléments
constitutifs de l'obligation de conseil son réunis, la réticence
est fautive et des sanctions très variées sont encourues.
L'obligation de conseil comprend ainsi deux obligations.
D'une part, une obligation de résultat : transmettre le conseil au
client. D'autre part, une obligation de moyen : le conseil transmis doit
être pertinent de sorte que le client le reçoive et le comprenne.
L'obligation de conseil ne comprend en revanche pas l'obligation que le client
suive le conseil qu'il a reçu et compris.
Cependant l'obligation de conseil apparaît être de
résultat quant à la fourniture matérielle du conseil, il
appartient au débiteur du conseil, le banquier de prouver qu'il l'a
dispensé. Toutefois, l'obligation de conseil ne serait qu'une obligation
de moyens s'agissant de sa portée.
Par une allusion faite au notaire, on pourrait dire que ce
qui est exigé à ce dernier, c'est qu'il fournisse à son
client des informations sur les meilleurs moyens de satisfaire les besoins qui
sont les siens et qu'il l'éclaire sur les conséquences et la
portée de l'opération à réaliser. Mais ces
éléments d'informations demeurent des conseils : c'est au
client, le seul qu'il incombe de décider.
La Cour, dans un arrêt du 27 Octobre 1995, a d'ailleurs
rapporté que « si un notaire est en principe garant de
l'efficacité, notamment juridique, de ses actes, il est cependant tenu
d'une obligation de moyen »26.
Cette réserve s'applique aussi à l'obligation
de conseil du banquier. L'obligation de conseil consiste en une obligation de
moyens en ce qui concerne sa pertinence et son étendue. Il ne peut
s'agir d'une obligation de diligence et de prudence, d'une part parce que tout
conseil est aléatoire, d'autre part parce que l'état de droit ou
la situation du client peuvent évoluer. Or, l'alea est le critère
en référence duquel on reconnaît une obligation de
moyens.
..................................
26 CA Rennes 27 Octobre 1995, JCP 1996iv, 1906
|