Les audiences publiques, tenues sur le projet et ses impacts,
ont révélé que la communauté Cries, dont la
démographie augmente rapidement, est divisée sur le projet. En
effet, il se dégage des audiences publiques que tous les Cris sont
attachés à leur culture et considèrent que la pratique de
la chasse, de la pêche et de la trappe constitue une valeur fondamentale
de la société Cri. D'autre part, une partie d'entre eux veut
s'inscrire dans la
modernité avec les modifications des valeurs
traditionnelles que cela entraîne. Le COMEX tient à souligner
qu'il est parfois difficile de séparer les causes des modifications
sociales profondes qu'ont connues ces communautés puisque ce projet de
développement hydroélectrique réalisé par le
promoteur a coïncidé avec l'arrivée de la
modernité.
À Chibougamau et Montréal, l'accent est de
préférence mis sur les retombées économiques d'un
tel projet par le biais des contrats octroyés et des emplois
créés ainsi que les opportunités de développement
régional et de développement de l'expertise qui en
résulteraient. Le COMEX comprend que ce projet, qui nécessite des
investissements de plus de quatre (4) milliards de dollars, représente
un moteur économique important et, dans certains cas, une bouffée
d'oxygène pour les régions éprouvées par le
ralentissement des activités dans d'autres secteurs de l'exploitation
des ressources naturelles. Rappelons que la perspective d'emplois liée
à ce projet a également suscité des espoirs auprès
de certains membres des communautés locales qui y voient une
possibilité de développement et une solution au manque chronique
d'emplois pour les jeunes dans la région. Cette réflexion n'a pas
fait l'unanimité au sein des communautés locales, puisque selon
Coalition Révérence Rupert le projet va probablement produire
plus d'effets négatifs que positifs à long terme sur la
société.
· Les impacts environnementaux et
sociaux
Ce projet entraîne une réduction du débit
de la rivière Rupert du PK 314 jusqu'à son embouchure. Cette
réduction de débit oscille entre 71 % au point de
dérivation et 51 % à l'embouchure dans la baie de Rupert par
rapport au débit moyen annuel. Malgré le maintien d'un
régime de débits réservés, la restitution d'un
débit correspondant à l'hydrogramme moyen naturel dans les
rivières Lemare et Nemiscau et la construction de neuf (9) ouvrages de
contrôle le long du tronçon à débit réduit,
il est indéniable que l'aspect de la rivière changera et que ces
modifications anticipées suscitent des questions et des
inquiétudes de la part des utilisateurs. Du point de vue des impacts
biophysiques, le promoteur a pris un
certain nombre d'engagements qui vont du suivi
environnemental à des mesures correctrices (aménagement de
frayères, ensemencement des berges, ouvrages de franchissement pour les
poissons, etc.) pour mieux définir ou corriger les impacts
anticipés. Le Comité d'Examen (COMEX) conclut que ces efforts
sont adéquats et vont dans la direction souhaitée,
c'est-àdire le maintien d'une rivière « vivante » et
attrayante du point de vue de la pérennité des espèces qui
s'y retrouvent actuellement ainsi que le maintien des multiples usages.
Le promoteur s'est engagé à respecter les
principes de la gestion adaptative pour le régime des débits
réservés écologiques prévu en aval du point de
dérivation de la rivière Rupert. Cette mesure
d'atténuation, qui est en fait partie prenante de la conception du
projet, a suscité beaucoup d'intérêt lors de l'analyse du
projet. Le COMEX reconnaît que l'exercice effectué par le
promoteur pour l'établissement d'un tel régime a
été très poussé et se situe au-delà des
efforts habituellement déployés dans les projets
d'aménagements hydroélectriques qui comportent une
réduction du débit dans un tronçon de cours d'eau. Par
contre, la nature même du projet et l'envergure des travaux commandent un
effort aussi considérable sur ce plan puisque la diminution du
débit dans 314 km de la rivière Rupert a des impacts
indéniables sur un ensemble de facteurs dont la faune piscicole, le
paysage, la navigation et la pratique des activités traditionnelles. Le
COMEX conclut que l'application du principe de gestion adaptative des
débits réservés permet, si besoin est, de réviser
ce régime pour corriger un impact détecté à
posteriori par les multiples suivis environnementaux que le promoteur doit
effectuer ou par les observations des usagers du territoire.
Les recommandations du COMEX concernant les impacts
biophysiques sont en grande partie axées sur le dépôt
auprès de l'Administrateur30 pour approbation des
différents programmes de suivi environnemental et des résultats
obtenus. Ces conditions d'autorisation feront en sorte que l'évaluation
des impacts réels et le succès des mesures
d'atténuation
30 La sous-ministre du Développement durable, de
l'Environnement et des Parcs agit à titre d'Administrateur provincial de
la Convention de Baie-James. Elle est chargée de prendre la
décision sur la délivrance du certificat d'autorisation.
seront constamment suivis par les instances responsables de
l'application de la Loi sur la qualité de l'environnement et du rapport
de la CBJNQ. Des ajouts ont cependant été faits par rapport aux
indicateurs de suivi que le promoteur avait retenus dans son étude
d'impact dans le but de compléter l'évaluation du milieu et des
impacts après la mise en exploitation des ouvrages. Afin de corriger en
partie les lacunes dans la diffusion de l'information récoltée
par le promoteur sur le territoire sur l'évolution des
écosystèmes, il est également demandé que le
promoteur incorpore les communautés locales dont les Cris dans la
planification, la réalisation et la diffusion des résultats des
différentes campagnes de suivi. Cette condition requiert deux objectifs,
soit la diffusion de l'information et l'apprentissage des nouveaux milieux
créés par le projet. Elle vise à corriger une situation
que les audiences publiques ont mise en lumière, soit la perception
très négative qu'ont les communautés locales sur la
pratique des activités traditionnelles dans les milieux modifiés
par les projets hydroélectriques antérieurs.
Le COMEX considère également que le promoteur
peut bénéficier des idées et des connaissances des Cris
dans la planification des programmes de suivi environnemental et dans la
réalisation des mesures d'atténuation. Cela pourra être
l'occasion pour le promoteur d'innover dans ce domaine, notamment pour les
mesures prévues d'atténuation et de compensation pour favoriser
la pratique de la chasse et de la pêche, en tenant compte du savoir
traditionnel. Cette entente incluant les parties concernées par le
projet s'efforce, dans la mesure du possible, d'harmoniser les processus
d'évaluation pour éviter le dédoublement et travaillent
ensemble afin d'assurer des évaluations efficaces et appropriées.
Cette stratégie de gestion va permettre aux décideurs d'obtenir
sans doute de résultats escomptés par rapport aux objectifs
économiques, sociaux et écologiques préalablement
définis. Dans les paragraphes qui suivent, nous présentons les
effets probables du projet sur la pratique des activités
traditionnelles. Nous analysons seulement les impacts du projet sur les
activités traditionnelles des communautés locales.
6.4.2.- Le processus d'analyse des impacts du projet
sur la pratique des activités traditionnelles
Au prime abord, nous avons réalisé le bilan des
principales composantes de l'utilisation des terrains, des pratiques
d'exploitation des ressources ainsi que des éléments susceptibles
d'être affectés par le projet à partir de documents qui
rassemblent de nombreuses entrevues de maîtres de trappe et
d'utilisateurs des lieux d'usages communautaires. Ces témoignages, qui
ont été recueillis lors des audiences publiques, ont servi
également à compléter ce bilan. À partir des
informations qu'a fournies le promoteur concernant les impacts attendus du
projet et les données spécifiques d'utilisation du territoire
tirées du bilan, nous avons réalisé une analyse des
modifications potentielles du territoire et des adaptations nécessaires
pour poursuivre nos commentaires.
Au résultat de cette analyse s'ajoutent les mesures
d'atténuation et de compensation que le promoteur ou les utilisateurs
ont proposées pour faciliter la poursuite des activités en
fonction des nouvelles conditions ou pour compenser la perte ou la modification
majeure de secteurs d'exploitation.
Enfin, la portée des nombreux suivis environnementaux
proposés par le promoteur permet d'évaluer l'importance de
l'impact résiduel. Ces suivis permettront non seulement de valider
l'importance des impacts et l'efficacité des mesures
d'atténuation, mais également de faire participer la population
locale aux relevés de terrains, d'informer ces derniers des
résultats concrets et d'encourager la réappropriation du
territoire modifié par les utilisateurs. Une part notable de l'analyse
finale repose sur la satisfaction des maîtres de trappe et des
utilisateurs du territoire. Ceux-ci se sont prononcés lors des entrevues
menées par le promoteur et au cours d'audiences publiques qui se sont
déroulées dans les communautés. Leurs commentaires
constituent une part importante de l'analyse finale puisqu'ils sont les
personnes indiquées qui peuvent le mieux évaluer les effets des
impacts du projet sur leurs activités traditionnelles
· Les impacts du projet sur la pratique des
activités traditionnelles des communautés locales
Concernant ces impacts, sept (7) terrains de chasse seront
directement affectés par la création des biefs Rupert. Les
informations relatives à la superficie totale de ces terrains n'ont pas
pu être précisées car les chiffres ne sont pas disponibles.
Les portions de territoires ennoyés, variant entre 0,13 % et 15,42 % des
terrains, ne seront plus disponibles pour la chasse et la trappe et
l'augmentation des concentrations en mercure dans les poissons risquent de
détourner les utilisateurs de ces secteurs pour une assez longue
période. Ces espaces ennoyés sont principalement
concentrés sur quatre terrains de chasse de la communauté de
Mistissini, lesquels sont assez grands pour que les utilisateurs puissent en
exploiter d'autres secteurs. Cinq (5) camps permanents et 36 camps temporaires
devront être déplacés et plusieurs lieux valorisés
seront affectés soit par l'ennoiement, soit par la construction
d'infrastructures. Quant à la rivière Rupert en aval de l'ouvrage
de contrôle, bien que les conditions de débit seront
différentes, les activités traditionnelles pourront se poursuivre
grâce aux ouvrages hydrauliques mis en place pour maintenir les niveaux
d'eau. Les modifications du territoire telles que l'exondation de certaines
rives et la baisse, plus ou moins importantes, du niveau d'eau dans certains
tronçons, exigeront que les utilisateurs adaptent leurs pratiques de
chasse et de piégeage en rive, leurs techniques de pêche et leurs
habitudes de déplacement. Des incertitudes subsistent quant aux effets
de la réduction du débit sur le site de pêche d'usage
communautaire de Smokey Hill, situé sur le territoire de la
communauté de Waskaganish. Dans le secteur à débit
augmenté, les conditions seront similaires à celles qui
prévalent à l'heure actuelle.
6.5.- Portrait du modèle de gestion
utilisé par l'entreprise « promoteur » du projet
Nous avons présenté précédemment
plusieurs commentaires à propos des modèles de gestion
utilisés, dont PIPO, GCP et GAR. Nous avons expliqué qu'ils ont
découlé de
l'analyse du cadre logique. Ces modèles ont la
même base méthodologique, soit celle de l'analyse des parties
prenantes.
Depuis nombreuses années, on continuait de croire que
la durée et l'importance des phases d'activités sont les seules
variantes qui différencient les projets entre eux. L'environnement
externe d'un projet a beaucoup évolué. Plusieurs variables
considérées domestiques dans le passé deviennent
actuellement externes par rapport au projet. Celles-ci risquent de compromettre
les objectifs de réalisation des projets et, conséquemment, les
facteurs environnemental et social deviennent la cible centrale à viser
par une entreprise pour acquérir un avantage décisif voire
concurrentiel (Persais, 2004).
Regroupées souvent les communautés locales,
l'implication des parties prenantes dans la gestion des processus de
décision est de plus en plus une nécessité. La
réussite d'un projet court un risque énorme aujourd'hui si la
planification se fait sans l'appui de ces acteurs stratégiques. Dans
cette optique, nous allons donc analyser le modèle de gestion
utilisé par une filiale d'Hydro-Québec et plus
particulièrement le cas du projet de l'Eastmain1-A et dérivation
Rupert. L'analyse porte particulièrement sur la stratégie de
gestion adoptée par ce promoteur vis-à-vis de ses parties
prenantes.