CHAPITRE PREMIER
LA PROBLÉMATIQUE
Dans un rapport publié sur l'environnement, Brundtland
a défini (1987) le concept «développement durable »
comme étant un développement pour tous et à tous. Ce qui
veut donc dire :
« C'est un mode de développement qui
répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des
générations futures de répondre aux leurs ». (Source
: CMED, 1987).
Depuis sa parution officielle, le concept de
développement durable a énormément évolué et
fait l'objet de multiples interprétations surtout de la part de ceux qui
le manipulent. Pour certains auteurs, il permet la croissance et, pour
d'autres, il prend conscience de la limite des ressources c'est-à-dire
qu'il tient compte de l'aspect équité dans l'exploitation des
ressources (Huong, 2005). Ce concept suppose un équilibre entre
l'économique, le social et l'écologique. Cet équilibre
repose sur trois (3) grands principes: le principe d'équité entre
les peuples et les générations; le principe de précaution
; et le principe de participation qui induit de nouveaux modes de gestion, a
précisé la professeure Dontenwill (2005). Se limitant à
ces définitions et principes, le concept nous renvoie dans un monde
idéal, un monde où l'on pourrait concilier le profit
économique, la protection du patrimoine et le développement de
façon harmonieuse.
Boutaud, (2001), dans une étude, a cependant
proposé deux grandes approches. L'approche éco-centrée
(durabilité forte) reflète l'esprit de l'écologiste qui a
inspiré la notion et part du principe que le développement de nos
sociétés passe par un environnement sain. Une seconde approche
économico-centrée (durabilité faible) pense au contraire
que le progrès social et la protection de l'environnement sont
conditionnés par la prospérité économique. Elle
génère alors plus de richesses et donc plus de bien-être
aux hommes et aux femmes, et va permettre de faire les investissements
nécessaires pour préserver l'environnement.
Dans plusieurs autres publications sur le
développement durable, le sens donné à l'adjectif durable
varie considérablement, non seulement selon les auteurs, mais
également selon le contexte dans lequel le terme est utilisé.
Dans certains cas, la logique économique prédomine (Dierickx et
Cool, 1989; Barney, 1991). L'idée étant, pour ces chercheurs,
d'énoncer les conditions d'un maintien, sur le long terme, d'un avantage
concurrentiel (sustainable competitive advantage) ou d'un niveau de
performance (sustainable performance). Si toute autre
problématique en est exclue, la notion de durabilité est alors
associée à l'existence d'objectifs purement économiques et
financiers. Dans d'autres cas, le terme durable, par analogie au concept
défini dans le rapport Brundtland (1987), recouvre un sens beaucoup plus
large. Son utilisation dépasse le cadre de la sphère
économique pour englober des préoccupations d'ordre
sociétal. Krause, Kennelly et Gladwin (1995) ont montré que la
performance économique à long terme est désormais
indissociable de la performance écologique et sociale. C'est que,
l'obtention de résultats financiers ne peut donc pas se faire au
détriment des milieux naturels et du bien-être social.
Selon une vision adoptée, la quête à la
durabilité constitue, tantôt un objectif, tantôt un moyen
permettant de réaliser cette ambition. Dans le premier cas,
l'idée n'est pas cependant de remettre en cause la finalité
économique de l'entreprise, mais plutôt d'y adjoindre un certain
nombre de missions complémentaires, s'analysant comme des contributions
normales de la société, par exemple la participation au
progrès social et la préservation des milieux naturels. Freeman a
précisé (1984) ce qui suit: «la firme existe, non seulement
pour ses actionnaires, mais également pour un ensemble de parties
prenantes dont il convient d'intégrer leurs préoccupations».
L'approche exclusivement financière du résultat devient
inadaptée, puisqu'elle ne rend compte que des intérêts
d'une catégorie d'acteurs, soit les actionnaires. Il est donc
nécessaire d'élargir le champ d'évaluation de la
performance afin d'englober, plus généralement, des
considérations écologiques et sociétales (Graves et
Waddock, 1994). En 1999, Freeman, Ogden et Watson sont arrivés aux
mêmes conclusions.
Dans le second cas, l'idée part du principe que la
performance économique (objectif) est subordonnée à une
attitude positive et volontariste dans le domaine écologique et social
(moyen). Sans être un véritable but, la définition d'une
politique de développement durable dans une entreprise est une condition
sine qua non de la réussite économique et
financière. Cette politique, qui autorise finalement des
différentes lectures, s'accommode bien de points de vue à priori
divergents. Une des critiques majeures adressée à l'encontre de
la notion de développement durable est son manque
d'opérationnalité qui s'explique par les caractéristiques
mêmes de cette notion qui se veut d'ailleurs « globale »,
« universelle » et « transdisciplinaire ».
Qualifiée, à raison sans doute, de concept « flou »,
« valise », et « mou », le terme développement
durable se prête du coup, de la part de ceux qui le manipulent, à
de multiples interprétations. Boiral et Croteau (2001) le qualifient de
concept « caméléon ». Dans certaines recherches
antérieures sur la question, l'incidence de la performance
environnementale sur la réussite économique a fait l'objet de
débats animés au sein de la communauté scientifique.
Waddock et Graves (1997) ont montré que par exemple l'existence d'un
lien positif entre la performance sociétale3 et la
performance financière. Selon eux, les projets qui satisfont les
attentes de leurs parties prenantes4 sont perçues comme plus
risquées par les promoteurs et ces projets subiront des coûts qui
viennent grever leur profitabilité. Or, Williams et Siegel ont conclu
(2000) dans une étude qu'il n'y a aucun lien entre performance
économique et réussite sociétale.
En guise de complément, Porter et Linde (1995) ont
montré qu'une stratégie éco respectueuse favorise la
compétitivité de l'entreprise. La pollution est une manifestation
de l'inefficience des systèmes de production. Les coûts
engagés en faveur de l'environnement lors de la mise en oeuvre des
programmes et projets sont largement compensés par les
bénéfices tirés d'une démarche
pro-environnementale. L'environnement est un moyen d'acquérir un
avantage décisif au sein d'un marché. À l'opposé,
Palmer et Oates (1995) ont rapporté dans la même période
que l'augmentation des pressions environnementales ne
3 Expression qui signifie la capacité à satisfaire
les parties prenantes d'une entreprise (Clarkson, 1995).
4 Terme désignant « tout groupe ou individu qui peut
affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs
d'une entreprise » (Freeman, 1984).
conduit pas systématiquement à une croissance
du niveau de profit des entreprises. S'agissant des compensations, les
dépenses consenties par les organisations pour la protection de
l'environnement dépassent, en règle générale,
largement les ressources générées pour la mise en oeuvre
d'une politique de développement durable. Dans les faits, les
entreprises ne sont pas toujours financièrement
récompensées d'une démarche pro environnementale, et ni
sanctionnées en rapport de leur attitude à l'égard des
milieux naturels.
Persais (2004) a par ailleurs rapporté dans son
article publié sur l'excellence durable que les mécanismes de
régulation s'avèrent souvent insuffisants pour compenser les
conséquences négatives que les décisions
managériales font peser sur la société. Bien qu'il soit
généralement admis que le développement économique
doive se faire davantage en harmonie avec les valeurs sociales et avec le
respect de l'environnement, il faut cependant souligner que peu d'organisations
ont atteint le stade de l'excellence écologique. Shrivastava & Hart
sont également arrivés en 1996 à des conclusions
identiques.
1.1.- Le problème spécifique
Depuis les années 90, la gestion de projet est devenue
un mode de management très répandu au sein des organisations. Les
questions d'environnement et du développement durable sont au coeur de
la plupart de nombreux grands débats et requièrent toute une
reconfiguration du processus de gestion au sein de nos entreprises. Les
théories traditionnelles de la gestion de projet, convergeant vers des
concepts comme ceux de la planification, de l'exécution et du
contrôle, proposent souvent un ensemble de méthodes et de
processus issus de l'environnement d'un projet. Mais une des dimensions de
l'environnement du projet a pris une importance considérable pendant ces
dernières années. Nonobstant, les mouvements sociaux sont donc
venus modifier de façon drastique le contexte dans lequel
évoluent ces entreprises.
Dans l'ouvrage de Sadler et Jacobs (1990), intitulé
« le développement durable et évaluation environnementale
», il est rapporté que les priorités environnementales dans
un projet s'inscrivent généralement et spécifiquement dans
le cadre des études de faisabilité environnementale, lesquelles
visent à intégrer les considérations écologiques et
sociales à l'exercice de développement et de réalisation
du projet. Ainsi, l'intégration du volet environnemental dans la gestion
de projet permet de prendre en compte les relations réciproques
qu'entretiennent les chefs de projet avec l'environnement externe pour
évaluer et choisir finalement les actions stratégiques qui
répondent le mieux aux objectifs sociaux et écologiques (Allouche
et Schmidt, 1995). D'autres études rapportent par contre que les
entreprises accordent une importance relativement faible aux études
d'impact environnemental. Dans son ouvrage intitulé « La
faisabilité de projet », O'Shaughnessy a souligné (1992) que
les études d'impact étant exceptionnellement effectuées
dans des situations où par exemple, une subvention gouvernementale est
donnée, dans le cas où le projet prend l'allure d'un débat
politique ou suscite une controverse de la part de la population, ou dans un
but d'améliorer l'image de l'entreprise.
Par ailleurs, de nombreux d'événements ont mis
en évidence ces problématiques diverses qui affecteraient la
planète aujourd'hui. C'est la satisfaction actuelle des besoins qui est
maintenant compromise par les problèmes environnementaux et sociaux que
connaît le XXIe siècle (par exemple : la crise
alimentaire en Afrique et en Haiti, les victimes de l'ouragan Katrina, les
ravages du Tsunami, la perte de biodiversité, la raréfaction de
la ressource halieutique et le renchérissement des matières
premières, les pollutions, ...). Il ne s'agit plus d'anticiper les
problèmes mais de les résoudre. Le développement durable
pourrait alors laisser place à la notion de «développement
désirable» qui regroupe l'ensemble des solutions
économiquement viables aux problèmes environnementaux et sociaux
que connaît la terre. Ce nouveau mode de développement, facteur de
croissance économique et d'emplois, serait une véritable
«économie verte», basée sur l'économie sociale
et solidaire, l'éco-conception, les matières
biodégradables, le bio, la dématérialisation, le
réemploi-
réparation-recyclage, les énergies
renouvelables, le commerce équitable, la relocalisation des
entreprises.
Fort de ces constatations, qui ne cessent de s'imposer aux
gouvernements, aux entreprises et aux citoyens du monde entier, il est donc
difficile, voire impossible, de concevoir qu'une entreprise puisse
s'échapper de la notion du développement durable qui, selon une
idée difficilement contestable, prône un développement qui
répond aux besoins du présent et des générations
futures.
Dans le Guide PMBOK (2004), l'approche traditionnelle de
gestion des parties prenantes, qui consistait à ne considérer que
les employés, les actionnaires, les clients et les fournisseurs, s'est
donc considérablement élargie pour tenir compte de
l'émergence de groupes environnementalistes, d'écologistes,
d'associations locales, de médias, de gouvernements et autres qui sont
concernés par les projets et programmes élaborés. Ces
acteurs stratégiques exigent un droit de participation et exercent de
plus en plus de pressions sur les entreprises afin qu'elles ajustent leurs
décisions stratégiques en fonction non seulement d'une
rationalité économique, mais également d'une
réalité sociale, droit qui leur est donc reconnu dans la
littérature scientifique mais les modalités d'application de
celui-ci ne font jusqu'à présent aucun objet de synthèse
et de recherche pertinentes. Hénault et Spence (2004, p-30), dans un
article publié sur les entreprises face aux pressions sociopolitiques,
ont montré le rôle joué par les groupes de pression (ONG,
par exemple) dans les processus qui conduisent très souvent au boycott
de certains produits ou de certaines marques pour des raisons d'ordre
éthique.
Pour qu'un projet puisse être réalisé
avec le maximum d'efficacité5, il faut donc que celui-ci soit
suffisamment supporté par les parties prenantes internes et perçu
favorablement par les parties prenantes externes. Le succès d'un projet
dépend donc de la prise en compte de son impact potentiel sur les
individus ou groupes qui partagent un enjeu ou un intérêt dans sa
réalisation et qui exigent ainsi leur intégration dans le
processus de formulation et
5 Selon l'auteur O'Shaugnhessy (1992), qui signifie le
résultat obtenu en fonction des buts et objectifs visés par le
projet, tiré dans son livre intitulé « La faisabilité
de projet ».
de développement du projet (Malenfant, 1996).
D'après les études d'Igalens et Joras (2002), le
développement durable est l'option qui suscite un regain
d'intérêt de la part des entreprises qui sont tenues de s'exprimer
sur cette question dans leur rapport annuel, tout comme d'un plus large
ensemble de parties prenantes. L'intégration des intérêts
de la nature dans le développement des projets requiert des
communications constantes entre les chefs de projet et les parties prenantes
pour évaluer et choisir les actions stratégiques qui
répondent le mieux aux objectifs sociaux et écologiques.
Autrement dit, un chef de projet d'aujourd'hui doit définir son projet
en fonction des intérêts convergents et divergents, qui
proviennent des parties prenantes influentes, pour atteindre les objectifs de
réalisation du projet.
Comparativement il y a deux décennies, le contexte de
déroulement des projets a cependant changé et devient plus
exigeant. Comme souligner précédemment, la gestion de projet
nécessite de nouvelles techniques et d'outils modernes de gestion pour
assurer la réussite des projets actuels. Il parait de plus en plus
évident que les meilleurs résultats des entreprises sur le long
terme seront assurés par celles qui apporteront quelque chose de plus :
des valeurs, du sens et une responsabilité vis-à-vis des
populations présentes et des populations futures. Mais il est clair que
cette responsabilité n'a de raison d'être et de
pérennité que si elle ne s'inscrit pas dans une approche «
gagnant - gagnant ».
Il est essentiel pour un chef de projet de modifier ses
méthodes traditionnelles de gestion et d'adopter une nouvelle approche
de gestion qui s'apprête à intégrer les
intérêts de tous les acteurs concernés par son projet. Ce
qui lui permettrait toutefois de mieux répondre aux attentes
sociopolitiques et de faire accepter collectivement et socialement son projet
dans les collectivités locales. Dans les entreprises, les discours en
faveur le développement durable sont de plus en plus fréquents.
Nul n'est contre la vertu, mais il n'est pas toujours évident
d'intégrer le développement durable dans les processus
décisionnels. Ce n'est pas des intentions et de volontés qui font
défaut. Mais comment intégrer les questions d'environnement et du
développement durable dans l'ensemble des méthodologies de la
gestion de projet? Quel avantage a-t-il pour une entreprise qui aurait choisi
une
méthodologie de gestion de projet qui soit
respectueuse des principes de développement durable? Comment satisfaire
alors les intérêts des promoteurs, du personnel et les clients
tout en répondant aux attentes des parties prenantes, qui exigent
désormais de savoir comment le projet agit avec l'environnement et de
participer aux décisions que celui-ci prend et qui affecte
l'environnement physique? Entre d'autres termes, de quelles manières
qu'un projet peut-il être «socialement et écologiquement
acceptable» tout en créant davantage de valeur? Alors que les
intérêts des acteurs concernés par le projet sont souvent
divergents, voire contradictoires. Autant de questions qui méritent des
réponses en vue d'une reconfiguration des approches de gestion au niveau
des entreprises.
Ces interrogations mentionnées
précédemment sont les principales questions auxquelles cette
étude va tenter d'apporter comme réponse en terme de solutions
pratiques ou d'actions à entreprendre dans le quotidien des entreprises.
Si la réponse à ces questions peut sembler innovante ou au
contraire déjà expérimentée par d'autres
chercheurs, sa mise en perspective doit aider le chef de projet à
construire et développer très concrètement la
légitimité de l'entreprise en matière environnementale, et
à intégrer opérationnellement les intérêts de
tous les acteurs concernés par le projet dans l'ensemble des
méthodologies de gestion. Cette nouvelle vision, axée sur les
courants de pensée de « développement durable », aidera
par conséquent le chef de projet à améliorer les chances
de succès de son activité. Mais les réponses à ces
interrogations premières ne seront possibles que dans le cas où
certaines questions pertinentes auront été répondues
préalablement. Sinon, le chef de projet sera incapable d'appliquer
correctement une politique respectueuse de l'environnement. Les plus
pertinentes sont les suivantes : Sur quelle méthodologie un chef de
projet va-t-il opérer l'identification et la classification de tous les
acteurs et partenaires économiques et sociaux, internes tant
qu'externes, concernés par le projet? Pourquoi doit-il considérer
certaines entités comme parties prenantes stratégiques? Comment
doit-il alors se comporter à l'égard de ces parties prenantes?
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