Les garanties-propriétés( Télécharger le fichier original )par Dieynaba Sakho Université Gaston Berger de Saint-louis - Maîtrise es sciences juridiques 2007 |
CHAPITRE II/ LES CONSEQUENCES DE LA CONSECRATION JURIDIQUE DES GARANTIES-PROPRIETESEn tant que technique nouvelle, l'avènement des garanties-propriétés a contribué à revoir certaines notions du droit civil et à ébranler certaines frontières préalablement établies. Ainsi, il en découle des conséquences aussi bien théoriques (Section 1) que pratiques (Section 2). SECTION 1/ LES CONSEQUENCES THEORIQUES DE LA CONSECRATION DES GARANTIES-PROPRIETES
A travers la technique des garanties-propriétés c'est la notion même de droit de propriété qui connaît des transformations. Considéré comme le droit réel par excellence, la propriété en tant que garant d'une créance présente des caractéristiques du droit personnel et du droit réel (Paragraphe 1). En outre le droit de propriété est un droit principal mais il est amené à jouer un rôle accessoire lorsqu'il garantie une créance (Paragraphe 2). Paragraphe 1/ Le droit de propriété entre le réel et le personnelDroit réel ou droit personnel, la garantie-propriété constitue un élément de discordance dans la classification traditionnelle droit réel/droit personnel (A). A ce propos, le débat doctrinal sur cette distinction trouve l'occasion de s'illustrer (B). A- La garantie-propriété, un élément de discordance dans la classification droit réel/droit personnel Par définition, le droit réel est celui qu'une personne exerce sur une chose. On l'oppose, généralement, au droit personnel ou droit de créance en vertu duquel une personne a le droit d'exiger d'une autre une prestation59(*). Traditionnellement le droit personnel est exercé contre le débiteur et porte sur le patrimoine de ce dernier. Il ne comporte ni droit de suite ni droit de préférence. Le droit réel est exercé sur une chose et est en principe opposable à tous. Cette opposabilité justifie qu'on empêche les tiers de troubler l'exercice du droit. Mais on note que lorsque la propriété permet de garantir une créance, il existe en même temps un rapport de droit entre le créancier et le débiteur, et un autre relation entre le créancier et le bien objet de la garantie. Sommes nous en présence d'un droit personnel, d'un droit réel, d'un droit réel accessoire, ou encore d'un acte entrant difficilement dans l'une de ces catégories? A l'instar de la France, la distinction des droits personnels et des droits réels est remise en cause dans la théorie du droit civil dans beaucoup de pays. Ce changement n'est pas une particularité de la théorie juridique française. C'est le cas aussi en droit allemand et anglais. Ce changement est reflété par le fait que l'importance de la perceptibilité de l'existence du droit, ainsi la possession ou bien la publicité, est devenue une question de premier ordre60(*). Les changements économiques, leurs conséquences, qui se présentent dans le droit réel et le droit personnel et en particulier dans la distinction de ces deux domaines influencent le domaine des sûretés réelles d'une manière apparente. A ce propos le Pr. Harmathy note que "l'effort de construire une conception unifiée des sûretés portant sur les meubles, les immeubles et les droits ne pouvait pas aboutir à une théorie relevant entièrement des droits réels ou des droits personnels généralement admise".61(*) L'incertitude de la distinction s'est agrandie en rapport avec l'extension de l'emploi des doits, des choses incorporelles comme objets des sûretés. Les sûretés traditionnelles ne présentant plus assez d'efficacité pour les créanciers de même que les solutions du droit des obligations, il a fallu user de la propriété pour des objectifs différents de sa fonction normale et l'essence de la distinction droit réel/droit personnel s'en est trouvée affectée. B- L'analyse des différentes positions doctrinales
La distinction droits réels/droits personnels a été critiquée en doctrine. Il faut noter que l'ensemble des auteurs qui ont critiqué cette distinction ont en commun de vouloir ramener à l'unité les deux sortes de droits. A ce propos deux thèses se sont affrontées. Selon la critique personnaliste, c'est la notion de droit réel qui est un faux semblant: un tel droit n'est qu'une forme particulière d'obligation. C'est l'opinion qu'a soutenu Planiol dès 189962(*). Planiol n'admet pas qu'il puisse exister un rapport de droit entre une personne et une chose. En effet "donner à l'homme un droit sur la chose équivaudrait à imposer une obligation à la chose envers l'homme, ce qui serait une absurdité"63(*). L'illusion tient à ce que le droit réel met au premier plan la possibilité matérielle qu'a un individu de détenir la chose et de s'en servir en maître. Mais cette possibilité n'est qu'un état de fait qui s'appelle la possession. Elle n'est pas le droit lui-même. Celui-ci réside dans la faculté attribuée à son titulaire d'imposer à tous le respect de sa situation, d'empêcher quiconque de le troubler dans l'exercice de la maîtrise qui lui est reconnue sur la chose. Dès lors la nature véritable du droit réel apparaît: au même titre que l'obligation, il est un rapport entre des personnes, et qui, comme tout autre droit, comporte un sujet actif, un sujet passif et un objet. Le sujet actif est son titulaire, le sujet passif, ce sont toutes les autres personnes obligées de respecter la possession du premier, l'objet est la chose elle-même. Le droit réel se ramène ainsi à une obligation passive universelle, c'est-à-dire une obligation existant entre un individu, comme sujet actif, et tout le monde sauf lui, comme sujet passif64(*). Il ne se distingue du droit personnel que par sa complexité plus grande, non par sa nature65(*). Selon Ribert et Boulanger, pour séduisante qu'elle soit, cette théorie ne paraît pas admissible. En premier lieu, il est certes vrai qu'une chose ne peut être qu'objet de droit, encore faut-il déterminer la mesure de ce droit; or la notion d'obligation passive universelle ne le permet pas parce qu'elle tend à définir le droit réel, considéré abstraitement et en soi, alors qu'il existe des droits réels qui se distinguent concrètement par l'ampleur et la qualité des pouvoirs que chacun confère sur la chose66(*). Cela oblige à réintroduire dans la définition du droit réel le rapport direct entre la chose et la personne. En second lieu, il n'est pas exact que toutes les personnes (le sujet passif universel) qui doivent respecter le droit réel soient tenues par là d'une véritable obligation. L'erreur de Planiol est d'avoir confondu opposabilité et obligation67(*). Il est en tout cas assez remarquable que ce soit à partir de cette notion d'opposabilité que les tenants de la théorie objectiviste aient abouti à une conclusion directement contraire à celle de Planiol. L'amorce de cette thèse apparaît chez Saleilles qui souligne la valeur économique que revêt l'obligation: valeur qui se détache de la personnalité des personnes engagées dans le lien de droit68(*). Ainsi le droit personnel prend-il son autonomie par rapport aux personnes. Il s'objectivise à la manière du droit réel lui-même. Ginossar a poussé plus loin l'analyse en observant qu'une stricte définition des deux droits ne fait pas apparaître de différence fondamentale entre eux. Le titulaire du droit réel a un pouvoir direct et immédiat sur la chose alors que celui d'un droit personnel n'a ce pouvoir que de manière indirecte et médiate. L'opposabilité n'est pas spécifique du droit réel. Le rapport d'obligation est lui aussi opposable aux tiers69(*). La garantie-propriété est-elle un droit personnel ou un droit réel? La question présente un double intérêt: d'abord, le titulaire d'une garantie-propriété, du fait de la propriété qu'il a sur le bien donné en garantie, dispose d'un droit direct et immédiat sur la chose même s'il ne la détient pas; ensuite, du fait de la garantie-propriété, il existe un rapport entre lui et le débiteur qui apparaîtra lorsque celui-ci se montrera défaillant. On remarque ainsi que la garantie-propriété présente à la fois des caractéristiques propres au droit réel et des caractéristiques propres au droit personnel. S'il est vrai que pour le droit réel, l'exécution dépend de la seule volonté de celui qui en est titulaire et que pour le droit personnel, cette exécution est conditionnée à la volonté du débiteur, dans le cas des garanties-propriétés des difficultés peuvent surgir. Le droit de propriété garde-t-il alors toujours son caractère principal ou devient-il un véritable accessoire de la créance? * 59 V. Guillien R. et Vincent J., Lexique des termes juridiques, 13ème édition, Dalloz 2002, p.220-221 * 60 V. Zénati F., Pour une rénovation de la théorie de la propriété, RTD civil 1993, p. 321-323 Sur l'ensemble de la question V. Duguit L., Les transformations générales du droit privé depuis le code Napoléon, éd. La mémoire du droit 1999 * 61 Harmathy A., Sûretés réelles entre droit réel et droit personnel in Mélanges en l'honneur de Denis Tallon, p. 285-291 * 62 Planiol, Traité élémentaire de droit civil, tome 1, éd. 1899, n° 2158 et s. * 63 Ribert et Boulanger, Traité de droit civil d'après le traité de Planiol, tome 2, Les obligations, 1957, p. 660 * 64 Michas, Le droit réel considéré comme une obligation passivement universelle, thèse Paris 1900 * 65 Demogue, Notion fondamentale du droit privé, 1911, p. 440 * 66 Ribert et Boulanger, op. cit. * 67 V. Aubert J.L., Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, 2ème édition 1986, p. 233 * 68 Saleilles, Essai d'une théorie générale de l'obligation, éd. 1890, p. 80 * 69 V. Ginossar M., Droit réel, propriété et créance, Paris 1960, p. 22 |
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