Le témoignage dans la procédure pénale au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Jean-Marie TAMNOU DJIPEU Université de Douala - DEA 2006 |
SECTION II : LA RESPONSABILITE PENALE DU TEMOINLe témoignage ne peut valablement aider le juge dans la manifestation de la vérité que lorsqu'il est franc et sincère. Tout mensonge risquerait d'égarer la justice et d'amener le juge à prendre une décision désastreuse. Raison pour laquelle le témoin est exposé aux poursuites pour faux témoignage (paragraphe1) et le législateur et la jurisprudence ont aménagé les conséquences que cette fausse déclaration peut avoir sur la procédure. (2) Paragraphe I : La sanction du défaut de sincérité : le faux témoignageLe faux témoignage se réalise par une déposition assermentée faite en justice et contraire à la vérité. C'est l'une des fautes les plus graves que l'homme puisse commettre. Il est formellement interdit par le 8e commandement donné par Dieu à Moïse dans le désert du Sinaï en ces termes : « Tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain ». La loi et la jurisprudence se sont efforcées de préciser les éléments constitutifs (A) ainsi que la sanction encourue par le contrevenant (B) A- La magnanimité excessive du législateur dans la détermination des éléments constitutifs du faux témoignage. Aux termes de l'art 164 du CP, le faux témoignage n'est caractérisé que lorsque la déposition est devenue irrévocable et qu'il pouvait influencer la décision68(*). De cet article se dégagent deux éléments constitutifs cumulatifs de l'infraction auxquels la jurisprudence a ajouté un troisième : le témoignage assermenté68(*). 1- La spécificité des éléments constitutifs de l'infraction En plus de l'exigence du serment, le faux témoignage doit être irrévocable et déterminant. Cette condition supplémentaire est contenue dans l'article 164 du Code pénal. Ce qu'il faut noter, c'est que le faux témoignage doit être à même d'exercer une influence sur la décision. Par raisonnement à contrario, l'infraction n'est pas consommée si ce témoignage ne pouvait pas influer sur la conviction du juge, ce qui n'est pas facile à prouver. De plus, le témoignage doit être irrévocable, c'est-à-dire maintenue jusqu'à la clôture des débats68(*). La déposition mensongère n'est punissable que lorsqu'elle n'a pas été rétractée en temps utile avant la clôture des débats, laquelle clôture marque la limite au-delà de laquelle la rétractation est considérée comme tardive et le délit consommé68(*). Le législateur a voulu inciter le faux témoin à se rétracter en lui offrant une exemption de peine68(*), la décision n'étant pas encore prononcée. Lorsqu'on se penche sur cet article pour l'étudier profondément, on constate que le législateur secondé par la jurisprudence fait preuve d'une indulgence démesurée dans la proportion où le faux témoin est tellement ménagé et pour cause : Pour être répréhensible, le faux témoignage doit pouvoir influencer la décision du juge. Ce qui veut dire que les délinquants sont à l'abri des poursuites lorsque leur déposition bien que fausse ne peut avoir aucun impact sur le dénouement du procès. Ce qui n'est pas facile à démontrer. Dans un système d'intime conviction, il est souvent difficile de connaître par avance les éléments de preuve qui serviront de base à la décision. La liberté du juge dans l'appréciation des dites preuves et l'absence d'une hiérarchie des modes de preuves ne permettent pas de savoir avant que la décision soit rendue qu'un témoignage l'influencera. De plus, l'exigence du caractère irrévocable et définitif pour la répression du faux témoignage donne au témoin une grande marge de manoeuvre dans ses déclarations. En effet, le faux témoignage doit être maintenu jusqu'à la fin des débats. Rétracté en temps utile, il n'est pas punissable. N'est-ce pas là donner une opportunité au témoin de se moquer de la justice et d'attendre un moment pour se dédire ? En plus certains témoignages viennent souvent recentrer les débats. Quelle sera la conséquence de cette rétraction sur la suite des débats si ce n'est une remise en cause totale de ce qui a été dit jusque là ? N'est ce pas là introduire une insécurité juridique dans le déroulement de l'audience ? De plus, s'il faut admettre ce caractère irrévocable, nous serons tentés de penser que c'est une infraction où la tentative n'est pas punissable puis que le repentir actif du délinquant sera toujours la bienvenue avant la clôture des débats. Une autre condition cette fois-ci dégagée par la jurisprudence est celle du témoignage assermenté. Les fausses déclarations faites à titre de renseignement ne sont passibles d'aucune poursuite même si elles ont influencé la décision. C'est au regard de toutes ces remarques que nous pensons que la répression du faux témoignage n'est pas tellement dissuasive pour empêcher la commission de cette infraction, ce qui rend d'ailleurs difficile la poursuite des faux témoin comme il sera démontré. Le faux témoignage peut être poursuivi incidemment devant la juridiction répressive ou faire l'objet d'une poursuite postérieure au jugement de l'affaire principale. Dans le premier cas, le président peut soit d'office, soit sur réquisition du ministère public ou à la demande de l'une des parties faire observer au témoin qu'il a fait une fausse déclaration et qu'il peut la rétracter68(*) . Il a le pouvoir de le placer sous surveillance ou ordonner son arrestation. Mais peut également y surseoir en prévision d'une éventuelle rétractation. Dans le second cas, lorsque le faux témoignage est poursuivi non pas incidemment à l'affaire principale mais postérieurement au jugement de celle-ci, la poursuite obéit aux règles de droit commun.69(*). Tout compte fait, le constat n'est pas satisfaisant et pour cause la loi n'est pas rédigée en terme impératif. Le président du tribunal et même le ministère public ont la latitude de poursuivre le faux témoin. La loi ne leur donne aucune injonction. Ils "peuvent" le faire ou non. Lorsque l'infraction est commise, les magistrats généralement sont dans l'embarras ne sachant pas s'il faut arrêter le délinquant immédiatement ou surseoir, encore que rien ne garantit que celui-ci sera présent à la prochaine audience.70(*) Et même il faudra toutefois attendre la décision finale pour voir dans le motif quelles sont les preuves qui ont servi de base à la décision avant de savoir si la déposition mensongère a été déterminante. Enfin, les magistrats brillent par leur laxisme dans la poursuite de ces délinquants. Généralement, ils cherchent juste à connaître de quel côté se trouve la vérité et ne sont pas très regardant sur le faux témoignage même lorsque celui-ci est flagrant. Très souvent ils se bornent à avertir la personne qu'elle a fait un faux témoignage et qu'elle peut la rétracter à tout moment. Et quand celle-ci réussit à sortir du tribunal, elle n'est plus prête à revenir. Autant de choses qui ternissent l'image de ce mode de preuve et sont à même d'empêcher aux juges d'atteindre la vérité objective tant recherchée. C'est fort de ces argument que nous pensons que Le faux témoignage devrait être une infraction instantanée punissable dès qu'il serait avéré que le témoin a délibérément fait une fausse déposition sans attendre qu'il soit irrévocable et définitif. De plus, parce que l'on ne peut savoir avant que le délibéré ne soit vidé et la décision rédigée quels sont les éléments de preuve que le juge a utilisé pour la motiver, le caractère déterminant du témoignage devrait également être abandonné. Le procès pénal ne reposant que sur les preuves produites, il serait absurde de faire parade d'une légèreté aussi frappante à l'endroit de ceux qui auront choisi d'égarer les juges. Une telle réorganisation facilitera la tâche aux juges souvent embarrassés et permettra sans aucun doute de rehausser l'image de cette preuve aux yeux du public. Par cet effet plus dissuasif, les consciences collectives seront plus intimidées. Comme le disait MONTAIGNE " on ne corrige pas celui qu'on pend, on corrige les autres par lui". 2- Les modalités du mensonge dans le témoignage Comment savoir que la déposition est contraire à la vérité ? Dans la pratique, les juges ont quelques manières de déceler. C'est par l'affirmation d'un fait inexact ou la négation d'un fait véritable. Les faits tels qu'ils ont été constatés et les éléments de preuve recueillis jusque là sont en contradiction avec la déposition. Enfin, le faux témoignage est également constitué lorsque le témoin dissimule volontairement certains aspects des faits ou se contredit dans ses déclarations, variant d'une déclaration à l'autre. Mais, ces éléments ne suffissent pas pour caractériser le délit, encore faut-il remplir les conditions de l'art 74 du CP c'est-à-dire qu'il soit intentionnel. Son auteur doit avoir délibérément choisi d'égarer les juges par ses propos. A l'inverse et interprétant restrictivement cette donnée, il est clair que la personne qui fait une fausse déclaration qu'elle croyait pour vraie ne peut être condamnée, ceci à cause de sa bonne foi. Mais, si les éléments constitutifs sont réunis, le témoin encourt une sanction plus ou moins sévère. B- La sévère répression du faux témoignage.Avant d'aborder la question de la répression proprement dite, il est important de souligner que le faux témoignage peut être commis devant le juge saisi d'une contestation aussi bien en matière civile que pénale. Une fois consommé, une procédure est déclenchée pour poursuivre et punir le coupable. Ce qui ne manque pas d'avoir une incidence sur la décision déjà intervenue ou à intervenir. 1- Une sanction rigoureuse Notons de prime abord que le faux témoignage peut être poursuivi incidemment à l'affaire principale devant une juridiction statuant en matière pénale ou postérieurement à celle-ci. Dans le premier cas et aux termes de l'article 383 CPP, le témoin qui fait délibérément une fausse déposition peut soit d'office par le président du tribunal, soit sur réquisition du ministère public mis en état d'arrestation s'il persiste sur ses déclarations. Mais, le tribunal peut également surseoir à cette arrestation en prévision d'une éventuelle rétractation. Relativement à la poursuite postérieure à l'affaire principale, elle se réalise quand le faux a été découvert postérieurement à la décision et que soit le ministère public soit la personne lésée a initié la poursuite. Dans toutes ces hypothèses, la personne qui sera aux termes des poursuites reconnue coupable de faux témoignage risque une peine d'emprisonnement qui varie suivant les circonstances de la commission et peuvent même s'aggraver pour des raisons prévues par la loi71(*) . La peine est un emprisonnement de 3 mois à un an et une amende de 5 000F à 50 000F si la procédure est une information terminée par la décision de non lieu. L'emprisonnement est de 6 mois à 3 ans et l'amende de 5000F à 100 000F en cas de contravention, un an à 5 ans et une amende de 10 000F à 500 000F en cas de délit et de 5 à 10 ans et d'une amende de 50 000 à 2 millions en cas de crime. Le faux témoin risque même jusqu'à l'emprisonnement à vie s'il a commis son forfait pour une affaire où la peine encourue était la peine de mort. Comme circonstances aggravantes, la loi prévoit que les peines et les amendes sont doublées si le témoin a agréé des promesses ou reçu des dons. Son donateur est également passible des poursuites pour fabrication des preuves71(*). Au regard de l'importance de l'obligation dont l'inobservation est stigmatisée, ces sanctions sont indispensables pour l'efficacité de la preuve testimoniale. Tout en condamnant durement tous ceux qui auront égaré les juges, elles ont également un rôle dissuasif dans la mesure où elles sont à même d'inciter les témoins à dire la vérité.
2- L'incidence légitime de la poursuite du faux témoin sur la décision Toute décision étant basée sur les preuves fournies et débattues pendant l'instance, c'est de bonne cause qu'une preuve qui s'avère ou s'est avérée fausse ait une incidence directe sur la décision à rendre ou déjà rendue. C'est donc juste que le faux témoignage lorsqu'il a été prouvé entraîne une conséquence sur l'instance. C'est pour cette raison que lorsque le faux témoignage est poursuivi incidemment devant une juridiction statuant en matière criminelle, la décision sur le faux témoignage doit précéder celle de l'affaire principale. Ceci est normal puisque le délinquant doit être déclaré coupable ou non pour que l'on soit fixé sur l'utilisation ou non de cette preuve dans le procès principal. De plus, lorsque le faux témoin a été poursuivi et condamné après que la décision de l'affaire principale ait été rendue, plusieurs cas de figures peuvent se présenter. Le plus intéressant reste quand même le recours en révision de la décision rendue sur la base d'une preuve révélée fausse. Sous l'empire du CIC, l'article 443 al 3 prévoyait explicitement cette éventualité. La révision du procès pouvait être demandée lorsqu'un des témoins entendu aura été postérieurement à la condamnation poursuivi et condamné pour faux témoignage contre l'accusé ou le prévenu. La rédaction du CPP a également retenu dans d'autres termes cette possibilité en son article 535 al 171(*). Vu que la révision n'a pas de délai, la personne innocemment condamnée sur la base d'un faux témoignage peut croupir pendant plusieurs années en prison. Et même si la révision est recevable, la victime de cette erreur malgré une éventuelle indemnisation aura subi un préjudice quasi irréparable. C'est dire qu'en matière pénale, la découverte de la vérité est certes bien, mais la découverte de la vérité en temps utile est encore mieux. * 81 Article 164 alinéa 1 CP) * 82 Cs arrêt n° 99 du 18 Février 1969 * 83 Les débats sont clos lorsque toutes les personnes susceptibles d'être entendues l'ont été, les avocats plaidés, le Ministère public entendu en ses réquisitions et le prévenu en sa défense. * 84 Cass crim 24 Février 1949 * 85 PRADEL (J) Procédure pénale op.cit page 353 * 68 Article 383 CPP * 69 Sur plainte de la personne condamnée sur la base du faux témoignage ou par le ministère public qui on le sait a l'opportunité des poursuites. * 70 Ceci parce que toutes les audiences ne sont pas faites pour audition des témoins. * 89 Article 164Cp * 90 Article 168 al 1b Cp * 91 La révision du procès peut être demandée lorsque après une condamnation de nouvelles pièces ou des faits nouveaux de nature à établir l'innocence du condamné sont découverts |
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