III - Inadaptation et remises en cause.
Avant de procéder aux remises en causes qui nous
intéressent, il nous faut définir quels sont les objectifs,
actuellement, que doit atteindre le maillage politico-administratif
français, compte-tenu des différentes évolutions que nous
avons décrites auparavant.
A) - Quelle doit être la pertinence et la
validité d'un cadre territorial actuel ?
A la lecture de nombreux ouvrages, et par l'observation des
changements qui s'opèrent autour de nous, il est évident, a
priori, que la pertinence et la validité actuelle d'un cadre
territorial (commune, département, région, etc...) est de bien
correspondre aux territoires pratiqués par la société
civile, c'est-à-dire d'accompagner et de favoriser les dynamiques et les
logiques de cette dernière. Il faut que ces cadres territoriaux (ou
mailles politico-administratives) correspondent au mieux aux multiples
territoires développés par les hommes, les biens et les
informations, tout en tenant compte de leurs échelles
géographiques respectives, afin qu'une large majorité d'entre eux
s'identifient à un espace commun, facilement repérable (dans la
mesure du possible).
Jean-Louis Guigou partage ce point de vue,
surtout lorsqu'il déclare : "Les communes, les départements,
les régions, les nations... sont des institutions qui "normalement"
régissent des espaces géographiquement, économiquement et
historiquement pertinents. Il devrait donc y avoir, dans un souci
d'efficacité, adéquation entre la "superstructure"
(l'institution) et "l'infrastructure" (l'économie réelle et
l'histoire vécue des territoires). Pour construire la France de 2015, on
peut retenir l'hypothèse que les circonscriptions établies en
1789 ne coïncident plus, ni avec l'histoire longue du Moyen-Age que les
révolutionnaires ont voulu détruire, ni avec les bouleversements
consécutifs à deux siècles de développement
économique".
Partant de là, le maillage politico-administratif
français est donc inadapté par rapport aux nouvelles
compétences de l'État et aux processus de redistribution du
pouvoir entre le national et les collectivités locales (et
territoriales). Les critiques et les remises en cause que
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
nous allons développer maintenant sont ainsi
significatives de cet état de fait.
B) - Trois échelles territoriales remises en
cause.
"La France, qui a toujours révéré ses
découpages internes historiques, constate aujourd'hui qu'ils s'adaptent
de plus en plus mal aux exigences économiques, sociales, voire
administratives. On déplore, selon les sensibilités et les
enjeux, un découpage communal archaïque, des départements
devenus trop petits et trop grands, des régions parfois sans logique, la
difficulté à faire entrer dans la réalité
institutionnelle des concepts tels que le "bassin de vie", les
réticences à créer des territoires transfrontaliers, en un
mot une forme d'exception française comme toujours aussi attachante
qu'exaspérante".
Les différents reproches formulés dans ce passage
soulignent bien le fait qu'ils sont issus de causes très
différentes : les échelles territoriales concernées
étant au nombre de trois, il est impossible d'aborder leur
résolution de la même manière d'un niveau scalaire à
un autre (effet d'échelle). En effet, ces trois niveaux territoriaux (ou
échelles territoriales) sont maintenant chargés d'avoir une
pertinence pour le citoyen, censé participer à sa gestion (cf les
lois de décentralisation), dans le cadre d'une perte de pertinence
(redistribution du pouvoir) du niveau national au profit des trois niveaux
inférieurs. Est-ce raisonnable alors de vouloir impliquer le citoyen
dans quatre niveaux à la fois (en comptant le niveau national) ?
1 - Les communes françaises.
Ainsi, par exemple, au Recensement Général de la
Population de 1990 (R.G.P. I.N.S.E.E.), les communes françaises sont au
nombre de 36551, ce qui faisait de la France en 1994 le pays qui
possédait à lui seul autant de communes que les 11 autres pays
alors constitutifs de l'Union Européenne. Ce "monument
d'archéologie administrative" constitue un record qui est souvent
critiqué, de nombreux pays européens ayant déjà
procédé à des regroupements de leurs unités locales
de base (le premier échelon de l'administration locale), le surnombre
devenant ingérable.
En effet, si au 18° siècle la majorité des
communes étaient polarisées par le chef-lieu, aujourd'hui ce
sont, entre autres, les nouveaux équipements qui polarisent l'espace et
remettent ainsi en cause les limites spatiales communales (il s'agit donc des
mailles communales), qui n'ont souvent plus de sens. Ainsi, certaines d'entre
elles coupent les tissus urbains d'importantes agglomérations urbaines
françaises, introduisant une discontinuité là où au
contraire une continuité (du bâti, par exemple) s'est
développée et établie. Les communes françaises,
considérées dans leur configuration actuelle, présentent
ainsi aujourd'hui un maillage anachronique, où le peuplement,
réduit à moins de 10 habitants parfois, leur ôte une grande
partie de leur signification.
Dans cette perspective, la pertinence des cantons est elle aussi
remise en cause. Ces derniers ne restent perçus qu'en milieu rural, et
la représentation des conseillers généraux favorise
surtout les cantons ruraux.
"Ni personnes morales, ni collectivités locales, les
cantons et arrondissements n'ont pas d'assemblée et d'administration
propres. Ils ont beaucoup perdu de leur importance. (...) Ces
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
deux unités semblent moribondes, vestiges de
l'organisation de la III ème République".
2 - Les départements français.
Les départements, quant à eux, sont accusés
d'être trop petits, compte-tenu notamment de la révolution des
transports, ainsi que d'être trop nombreux (pour les mêmes
raisons). A l'inverse, "laissant à la région son rôle
régional, il peut se consacrer pleinement à son rôle de
mise en solidarité des villes et des campagnes. Il doit pour cela avoir
une taille plus proche
de celle de nos 329 arrondissements métropolitains.
Bien des départements sont des rings ou des ménages à
trois. Pau et Bayonne, Rouen et le Havre qui ont déjà chacune
leur évêque, Montluçon, Moulins et Vichy et bien d'autres
villes peuvent devenir le coeur d'un petit département. Après
tout, le département de Belfort fonctionne très bien, et une
communauté urbaine ferait double emploi avec lui".
Jean-Pierre Worms, quant à lui, cite
quelques exemples qui remettent en cause la pertinence des découpages
départementaux (donc des mailles départementales) : "pur
artifice institutionnel de la Révolution, il ne correspond ni dans son
découpage, ni dans son mode de représentation, aux
réalités d'aujourd'hui. On ne compte plus les
agglomérations ou les "pays" qui se sont développés
à cheval sur plusieurs départements, voire sur plusieurs
régions, et dont les projets de développement posent
d'inextricables problèmes de coordination entre ces incontournables
partenaires. Parmi beaucoup d'autres, deux exemples d'inadéquation du
découpage départemental aux réalités
socio-économiques du terrain :
* le "pays de Redon" est à cheval sur trois
départements (Morbihan, Ille-et-Vilaine, Loire- Atlantique) et sur deux
régions (Bretagne et Pays de Loire) ;
* l'agglomération de Mâcon, en traversant la
Saône, passe du département de Saône-et-Loire à celui
de l'Ain et de la région Bourgogne à la région
Rhône-Alpes".
Dans la même logique, la banlieue (ou
l'agglomération) d'Avignon se développe à cheval sur le
Vaucluse et le Gard, sur les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et
Languedoc-Roussillon.
3 - Les régions françaises.
Enfin, les régions, d'essence récente, sont souvent
opposées aux autres régions européennes (cf les
länder allemands) ; elles sont souvent critiquées au niveau de leur
taille (trop petite parfois), d'être peu peuplées et arbitraires
dans leurs regroupements de départements ainsi que dans leurs limites
(leurs mailles, cf les remarques faites à l'encontre des
départements). Ainsi, le Morbihan, rattaché à Rennes,
regarde surtout vers Nantes ; à l'inverse, la Mayenne, rattachée
aux Pays de la Loire regarde vers la Bretagne. Dans la même idée,
comment se sentir appartenir à la région Centre, dont le nom et
la formation ne désigne que la position géographique de cette
dernière dans l'hexagone ? !!!
Ainsi, les nombreuses remises en cause du maillage
politico-administratif français résultent à la fois de la
modification des conceptions de l'État (et donc du pouvoir) dans la
manière de gérer et de contrôler l'ensemble du territoire
national, donc de l'espace socio-économique, et des modifications
même de ce dernier. Les années 1960 constituent par
conséquent un tournant majeur dans la logique établie depuis la
Révolution Française (et même avant), où le
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
développement, la gestion et le contrôle du
territoire part maintenant presqu'autant du bas (du local) que du haut (de
l'État). Il s'agit pour l'État (le pouvoir en place) de concilier
deux logiques a priori antinomiques, celle du jacobinisme (du centre
vers la périphérie) et celle du fédéralisme (de la
périphérie vers le centre). Nous assistons ainsi aujourd'hui
à une transition de l'une vers l'autre, transition qui s'est
amorcée dans les années 1960 et qui se poursuit actuellement.
L'objectif consiste donc à conjuguer (toujours a priori) ces
deux formes de contrôle et de gestion de l'espace socio-économique
français, et ce de la meilleure manière possible.
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