III - Les Pays de l'Adour : espace en devenir ?
A) - Les Pays de l'Adour : entre mythe et
réalité.
Les Pays de l'Adour constituent un espace géographique
vaste de 15200 km2 qui se développe entre la boucle de l'Adour au nord,
les Pyrénées au sud, l'Océan Atlantique à l'ouest
et le plateau de Lannemezan à l'est. La région ainsi
formée, au sens géographique du terme, repose comme l'indique
l'intitulé, sur l'association de plusieurs pays qui cohabitent tous dans
le bassin hydrographique de l'Adour. Quatre pays principaux composent cet
ensemble :
* Le Béarn
* Le Pays-Basque
* La Bigorre
* La Gascogne de l'Adour
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
Le Béarn est un État ancien, une principauté
qui fut indépendante politiquement et juridictionnellement à
l'intérieur du royaume de France, du X° siècle jusqu'en
1620, date de son incorporation définitive au sein du domaine royal. Les
limites du Béarn sont restées intangibles durant cette
période.
Le Pays-Basque (Français) est composé de trois
provinces, la Basse-Navarre, le Labourd et la Soule. Ces trois dernières
n'ont jamais constitué un État à part entière comme
le Béarn. En fait c'est la pratique d'une langue commune, des coutumes
et une architecture particulières qui donnent à cette
micro-région une unité culturelle forte.
"Le comté de Bigorre apparaît en 820 avec
l'organisation féodale". Ce pays ne présente pas cependant
de véritable unité, qu'elle soit culturelle, linguistique ou
autre... En fait dans l'Histoire, la Bigorre est souvent associée au
Béarn, d'où la difficulté d'individualiser facilement
cette troisième micro-région. Mais depuis la Révolution
Française, la Bigorre fait partie d'un autre département, et
récemment d'une autre région, avec une ville-centre qui lui est
propre : Tarbes.
La Gascogne de l'Adour se développe à
l'intérieur de la boucle de l'Adour, le Pays Basque, le Béarn et
la Bigorre constituant la frontière méridionale. Respectivement
d'est en ouest, le Bas-Armagnac, le Tursan, la Chalosse et le Bas-Adour forment
cet ensemble de terres gasconnes que l'on qualifie Gascogne de l'Adour.
Ainsi, alors qu'il est relativement aisé de dégager
les Pays de l'Adour de l'ensemble plus vaste dans lequel ils s'inscrivent (le
grand sud-ouest de la France ou l'Aquitaine par exemple), notamment parce que
le fleuve Adour est une limite naturelle très visible et bien
marquée, il est cependant plus difficile de déceler une
véritable unité dans cette région, tant la
diversité des ensembles (ou pays) présentés est forte.
L'unité des Pays de l'Adour dépend donc plus de ses limites
(extérieures) que de la forte cohésion de ces mêmes pays au
sein de l'ensemble préalablement défini. "Ce qui fonde les
Pays de l'Adour, c'est leur situation périphérique,
leur marginalité par rapport à l'espace
national et aux deux grandes métropoles voisines, Toulouse et
Bordeaux".
En effet, sur une carte des densités de population, les
Pays de l'Adour se manifestent par une densification propre au piémont
pyrénéen qui s'oppose aux déserts landais et gersois.
Autrement dit, c'est la Haute-Lande, entre autres, qui fait émerger
l'identité aturienne.
Réalité naturelle mais non historique, les Pays de
l'Adour émergent dans les discours (de politiques, universitaires,
etc...) à partir des années 1960. Construction sociale et
intellectuelle de cette réalité naturelle, les Pays de l'Adour
constituent aujourd'hui, pour certains, un véritable territoire,
territoire que d'autres voudraient régionaliser administrativement (et
politiquement).
B) - Les tentatives de création d'une
région "Pyrénées-Adour".
En 1994-1995, Michel Inchauspé,
député basque R.P.R., propose de découper le
département des Pyrénées-Atlantiques en deux
départements, créant ainsi un département
"Béarn" et un autre "Pays Basque-Adour", et d'associer ces
deux derniers aux Hautes-Pyrénées pour former une nouvelle
région politico-administrative, appelée alors
"Pyrénées-Adour".
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
Cette idée datant des années 1960 (cf les Pays de
l'Adour) repose sur le fait que cet espace tendant à se
régionaliser (géographiquement et économiquement) est
marginal et marginalisé par rapport aux deux grandes métropoles
du sud-ouest de la France que sont Bordeaux et Toulouse. S'appuyant sur des
arguments physiques (des "barrières naturelles" telles que le
plateau de Lannemezan ou encore "le désert landais"), des
infrastructures de transports déficientes (l'absence, alors, d'un
véritable tronçon autoroutier entre Pau et Toulouse, ou encore
d'une bonne liaison routière entre Pau et Bordeaux), sur une (pseudo ?)
identité des Pays de l'Adour, etc... le député profite
aussi d'un référendum effectué à ses frais pour
remettre sur la scène ce projet dont il est le seul à vouloir
réellement voir le jour. Finalement, et sans surprise,
l'Assemblée Nationale rejette en bloc peu de temps après ce
projet, qui aura eu au moins pour mérite de relancer le débat sur
la pertinence des mailles départementales et régionales. De
même, et indépendamment des querelles politiques sous-jacentes
(François Bayrou et André
Labarrère s'étaient alors associés contre ce
projet), le projet met aussi en évidence les nombreuses
complémentarités entre Pau et Tarbes que la région ainsi
formée aurait, normalement, pu accroître et favoriser.
Il n'en demeure pas moins que "la région des Pays de
l'Adour semble adopter une géoconfiguration située entre le
réseau, composé de lieux inter-reliés, et le territoire
homogène". Ainsi, si un réseau de villes
"Pau-Tarbes-Lourdes" et un "Pays de Béarn" se
développent actuellement, même avec certaines difficultés,
c'est aussi parce que les Pays de l'Adour s'articulent donc selon une logique
de réseau (organisation réticulaire de l'espace) et une logique
de territoire, plus ou moins polarisé (organisation aréolaire de
l'espace).
Les deux premiers espaces projet que nous avons décrits
constituent ainsi des instruments complémentaires d'aménagement
et de développement de l'ensemble du territoire national. Ils sont
complémentaires car ils procèdent de deux logiques
différentes d'organisation de l'espace, l'une aréolaire (pour les
pays), l'autre réticulaire (pour les réseaux de villes), et c'est
peut-être là que résident leur force et leur
capacité à durer sur une longue période. Le
troisième exemple, celui des Pays de l'Adour, est aussi un espace
projet, mais sa régionalisation (politico-administrative) se heurte
à des conflits d'intérêts, ce qui lui confère une
place à part dans les processus de recompositions territoriales. Le
niveau scalaire appréhendé précédemment est
essentiellement infra-départemental (pour les réseaux de villes
et les pays, notamment dans le secteur d'étude qui nous
intéresse), sauf pour les Pays de l'Adour où il devient largement
supra-départemental.
Pour qu'un espace projet émanant d'en "haut" soit efficace
et qu'il dure, il faut qu'il convienne aussi aux différents
gouvernements succédant celui qui en est l'initiateur, ce qui
malheureusement difficile en France, compte-tenu des nombreux changements de
majorité. A priori, Dominique Voynet semble
vouloir conserver les propositions faites par Charles Pasqua
dans le cadre de sa L.O.A.D.T., ce qui laisse présager
de bonnes augures quant à l'évolution future et à
l'utilisation de ces espaces projet (réseaux de villes, pays et
agglomérations) d'ici les années à venir.
Il n'en demeure pas moins que ces derniers, aussi bons
soient-ils, ne constituent pas la panacée en la matière. En
effet, d'autres propositions peuvent être faites, sans pour autant
être contradictoires et antinomiques avec les propositions de 1995.
La deuxième sous-partie va s'efforcer de retranscrire
quelques unes de ces propositions, en analysant les avantages et les
inconvénients qu'elles apportent, ainsi que les possibilités
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
supplémentaires qu'elles offrent aux espaces projet de la
L. O.A.D.T.
B) - La nécessité d'une véritable
réforme.
La nécessité de recomposer le territoire national
est incontestable. Ce faisant, il faut alors associer à la
rationalité économique et sociale la représentation
politique, ce que malheureusement l'inertie des grands corps d'État et
le poids du maillage politicoadministratif actuel ne permettent pas
facilement.
L'objectif visé est de couvrir l'ensemble du territoire de
pays et d'agglomérations (ainsi que de réseaux de villes, tout
ces instruments étant complémentaires). En effet, "ceux qui
s'organisent en pays ou en agglomération seront des partenaires reconnus
de l'État et des régions dans les procédures de contrat de
plan". Ces espaces de développement doivent ainsi organiser les
milieux ruraux (pour les pays) et les milieux urbains (pour les
agglomérations ; une agglomération = une ville-centre, la
banlieue et les communes rurales qui gravitent autour). Au nombre de 400
environ pour les premiers et d'une centaine pour les seconds, ces espaces de
développement doivent favoriser la gouvernance, avoir un pouvoir
élu au suffrage universel direct (un maire d'agglomération par
exemple, le conseil général devenant le Sénat des pays et
des agglomérations), et doivent enfin favoriser la consultation directe
locale.
Comme nous l'avons indirectement souligné auparavant,
l'idée est aussi de faire coexister et coopérer ces espaces de
développement (pays, agglomérations, quartiers...) avec les
espaces d'autorité que constituent les communes, les cantons, les
départements et l'État français.
De nombreux auteurs (autres que les politiques) proposent des
découpages tenant compte aussi des nombreux espaces que pratiquent
quotidiennement les hommes, les biens et les informations. Après avoir
retranscrit leurs souhaits (nous avons retenu ici quatre auteurs parmi tant
d'autres, car leurs propositions représentent à nos yeux une
bonne synthèse de ce que nous pouvons lire actuellement dans la
littérature relative à ce sujet), nous montrerons les points de
convergence et de divergence avec les propositions de la
L.O.A.D.T., et nous conclurons sur les éventuelles
possibilités qu'offre la conjugaison de ces différentes
propositions avec celles de la loi de 1995.
I - Les propositions de Jean-louis GUIGOU.
Jean-Louis Guigou propose quatre niveaux de
recomposition des territoires, qui pourraient ainsi organiser l'espace
français d'ici à 2015 : "cette recomposition des territoires
en quatre niveaux - européen, systèmes urbains, pays et quartiers
- est admise pour la majorité des pays européens. Une
dernière question se pose : quand et comment institutionnaliser ces
niveaux, compte-tenu de la présence, voire de la résistance des
niveaux antérieurs, la nation, les départements, les communes ?
En particulier, on ne saurait délibérément ignorer une
excessive vision hexagonale et continentale même revue à l'aube de
l'Europe".
Par exemple, en Angleterre il y a ainsi 36 agglomérations
et 325 pays, en Allemagne, 86 agglomérations et 426 pays. Ce qui
signifie donc, compte-tenu du niveau scalaire retenu, que le principe
d'organisation de l'espace en pays et en agglomération est un principe
qui a fait ses preuves.
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
De même, il propose de transformer les 22 régions
actuelles en cinq ou sept grandes régions (correspondant aux grands
bassins de peuplement français) et de clarifier les compétences
des communes et des départements, ces derniers ayant alors pour objectif
de mettre en solidarité les villes et les campagnes (ce qui correspond
ainsi à une bonne articulation entre les pays et les
agglomérations).
Ses propositions reprennent ainsi en partie celles faites par la
L.O.A.D.T., la seule différence c'est qu'il introduit
deux niveaux scalaires supplémentaires de recompositions territoriales,
celui des systèmes urbains et le niveau européen. Une question se
pose cependant : le niveau des systèmes urbains est-il le même que
celui des réseaux de villes ? Il s'agit en fait d'appréhender la
métropolisation des villes françaises dans sa globalité
(dans la mesure du possible), d'accompagner cette dernière, et de
permettre une meilleure gestion des zones de fortes densités de
population en France.
Il s'agit donc de tenir compte des espaces et des territoires
pratiqués par les hommes, les biens et les informations, ce qui revient
à retenir trois types de bassins, comme le suggère l'auteur :
* les bassins de vie quotidienne. Au nombre de 4000 environ, leur
taille correspond grosso- modo aux cantons français, mais leurs limites
ne se superposent pas toujours,
* les bassins d'emplois. Au nombre de 350 environ, leur taille
correspond grosso-modo aux arrondissements français, mais là
aussi leurs limites ne superposent toujours pas les unes aux autres. Ce sont
sur ces bases là que se forment normalement les pays,
* les bassins de peuplement. Il y en a cinq ou sept en France.
Ils correspondent aux grandes zones de peuplement observables sur une carte
"qui décrit le dynamisme des communes françaises depuis 40
ans". C'est à partir de ces bassins de peuplement que pourraient se
construire les grandes (ou super) régions que nous évoquions
auparavant. Ces dernières pourraient ainsi rivaliser
économiquement et démographiquement avec les länder
allemands, avec lesquels elles ont souvent été
comparées.
Les propositions de Jean-Louis Guigou sont donc
complémentaires de celles de la L.O.A.D.T., et comme
nous pouvons le constater, l'auteur tient compte surtout des
réalités factuelles de l'espace socio-économique,
privilégiant ainsi et aussi une démarche empirique.
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