II - Les "pays" : le "Pays de Béarn" ou
"Béarn XXI° siècle".
Deuxième espace projet issu de la
L.O.A.D.T., les "pays" constituent une deuxième forme
possible (et non contradictoire avec celle des réseaux de villes, au
contraire) d'aménagement, de développement et de recomposition du
territoire national. Le développement qui suit s'articule à
l'identique de celui concernant les réseaux de villes ; nous nous
intéresserons ensuite au "Pays de Béarn" ou
"Béarn XXI° siècle"
A) - Les "pays" définis par la loi A.T.R. et la
L.O.A.D.T.
- Les objectifs des "pays" : possibilités et
avantages.
La loi d'Administration Territoriale de la République (loi
A.T.R. du 8 février 1992, ou loi "Joxe"),
renforcée par la L.O.A.D.T., met en place, en France,
la politique de "pays". Réactivant et renforçant
l'échelle micro-régionale, le pays suppose pour se mettre en
place "une communauté locale d'intérêts
économiques et sociaux ainsi que, le cas échéant, les
solidarités réciproques entre la ville et l'espace rural".
Polysémique par essence, la notion de pays pourrait réanimer
à l'avenir les 329 arrondissements métropolitains actuels, ce qui
n'est pas sans rappeler aussi les quelques 300 pays géo-historiques
formés depuis l'époque gallo- romaine (les pagi gallo-romains) ou
médiévale.
Sans être pour autant un nouvel échelon
politico-administratif, de taille infra-départementale mais
supra-cantonale, les pays recouvrent donc grosso-modo les mailles
politicoadministratives des arrondissements, ces derniers correspondant souvent
aux bassins d'emploi définis par l'I.N.S.E.E. Le pays s'appuie ainsi
finalement sur les logiques fonctionnelles des territoires et sur les
solidarités de voisinage qui s'y développent. L'article 2 de la
L.O.A.D.T. d'ailleurs nous le confirme : les bases politiques
d'un pays peuvent être les suivantes : "un projet commun de
développement, une organisation du territoire fondée sur les
notions de bassin de vie, une constitution d'espaces cohérents et
homogènes".
Le pays, dans ses différentes configurations spatiales, se
développe parfois (mais rarement) à cheval sur plusieurs
départements (ce que n'interdit pas la loi). Citons par exemple :
-> le pays de "Redon et de Vilaine" se développe
à cheval sur l'Ille-et-Vilaine, le Morbihan et la Loire-Atlantique
(région Bretagne). Ses bases reposent sur des logiques
géo-historiques, d'où sa configuration actuelle.
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
-> le pays du "Plateau de Millevaches" se
développe à cheval sur la Corrèze, la Creuse et la
Haute-Vienne (Région Limousin). Il correspond en partie à une
réalité topographique (cf la géographie physique)
associée aussi à des réalités
géo-historiques.
-> le pays des "Cévennes viganaises" se
développe à cheval sur le Gard et l'Hérault (région
Languedoc-Roussillon). Il s'agit d'un espace ayant connu la reconversion des
industries du textile et la désertification rurale.
Le pays, espace d'identité, doit permettre, entre autres,
d'optimiser la gestion des services publics sur un espace homogène et
cohérent (relativement), et de permettre un développement local
tenant compte des gens et des élus concernés par la mise en place
du projet en question. Il s'agit donc d'articuler deux logiques
complémentaires, l'une venant d'en "haut", l'autre venant d'en "bas"
(démocratie participative).
- Des territoires à "mémoire de
forme".
Cependant une question se pose : la maille du pays
constitue-t-elle une maille parfaite ? Autrement dit, existe-t-il un optimum
dimensionnel pour le pays, un idéal scalaire permettant
d'appréhender au mieux les questions de développement local et
territorial ? Il existe en fait une multitude de tailles, mais toutes se
rapprochent plus ou moins des arrondissements précédemment
cités.
Or, il ne faut pas oublier que ces territoires sont, certes,
à "géométrie variable" (ou configuration variable),
mais qu'ils sont aussi, pour reprendre un phénomène de physique
appliquée, à "mémoire de forme". Ainsi, si la
politique des pays semble, a priori, relativement bien fonctionner,
c'est aussi parce qu'elle s'appuie sur d'anciens territoires qui sont
légitimés et vécus depuis longtemps, et qui reprennent
souvent d'anciennes limites provinciales (devenues départementales pour
la plupart avec la Révolution). En conséquence, ces territoires,
dans la mesure où ils ont été objectifs et
objectivés durant des siècles, contiennent en eux les germes de
leur future renaissance. Ces territoires à "mémoire de
forme" sont donc réactivés en cette fin de XX°
siècle, à travers certains territoires "projets" comme le pays.
Actuellement, le "Pays Basque", le "Pays de Béarn" et le
"Pays de Bigorre" réactivent ainsi les mailles des provinces et
des pays d'Ancien Régime auxquelles ils correspondaient.
Certains pays développent donc actuellement des limites
qui se développent à cheval sur plusieurs départements, eu
égard aux découpages départementaux qui dans certains cas
ont eu pour but de diviser les territoires auxquels nous faisons allusion (la
Bretagne a été, par exemple, découpée en cinq
départements). Il n'est donc pas incohérent de voir se former
aujourd'hui de nouvelles entités territoriales, de taille
infra-départementale, mais d'essence inter-départementale,
compte-tenu des limites qu'ils présentaient avant la Révolution
Française. Il en est de même pour les provinces
(principautés, pays, etc...) qui ont été regroupées
à la Révolution Française pour former des
départements : le pays basque et le béarn formèrent ainsi
le département des Basses-Pyrénées. Or aujourd'hui, nous
les retrouvons sous la forme d'espaces projet, des espaces de gestion pour
l'avenir.
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
- Inconvénients et limites des "pays".
Les pays recouvrent donc normalement des espaces polarisés
(pour la majorité d'entre eux), ce qui correspond bien aux
arrondissements sur lesquels ils se développent parfois. Ces derniers
sont aussi des territoires polarisés, reposant sur des bassins d'emplois
traduisant ainsi des relations de type "centre" et
"périphérie", d'où les réalités
fonctionnelles que nous observons.
Malgré tout, il n'en demeure pas moins certains
problèmes :
D'abord, comment articuler les pays (qui privilégient une
logique aréolaire) avec les réseaux de villes (qui
privilégient, au contraire, une logique réticulaire) ? Avons-nous
affaire ici à une contradiction (dialectique) supplémentaire, ou
au contraire à deux logiques, deux espaces projet complémentaires
? Dans ce dernier cas, comment mettre en place et développer cette
complémentarité ?
Ensuite, qu'en est-il des futures compétences
dévolues aux pays ? Se superposent-elles, ou autrement dit, y-a-t'il
interférence avec les compétences des principales mailles
politicoadministratives françaises, ainsi qu'avec les structures
intercommunales actuellement en place, ou y-a-t'il ici aussi
complémentarité ?
Enfin, remarquons que malgré les dispositions de la loi
à cet égard, les limites départementales et
régionales constituent encore une barrière difficile à
franchir dans le mise en place des pays ; sur les 42 pays test retenus, seuls
cinq se développent à cheval sur plusieurs départements,
alors qu'en réalité ils pourraient être plus nombreux.
Le "Pays de Béarn", que nous allons étudier
maintenant, est un projet en cours d'élaboration, ce qui suppose de
notre part et de celle du lecteur toutes les précautions
nécessaires quant à l'analyse et à l'interprétation
du développement qui suit. Néanmoins, il semble constituer,
toujours pour nous, un bon exemple de mise en évidence des
possibilités d'évolution et de modifications qu'offrent
indirectement les lois de 1992 et de 1995.
B) - "Béarn XXI° siècle" ou le
"Pays de Béarn".
Dans les Pyrénées-Atlantiques, et à
l'initiative du Conseil Général (depuis 1995-1996), une
démarche du type des pays vise à faire émerger "de
nouveaux projets sur la base d'un découpage territorial susceptible,
d'une part, de mettre en évidence les points forts et les lacunes des
différents types "d'espaces départementaux", d'autre part de
favoriser les collaborations locales en utilisant les périmètres
d'intervention comme autant d'outils d'incitation et de
développement".
L'ambition avouée des responsables est de "retrouver
et dépasser les territoires", en s'appuyant sur la base
territoriale que constitue le Béarn, dans ses limites historiques.
L'objectif est de proposer une organisation territoriale multi-scalaire,
l'agglomération paloise polarisant la quasi-totalité de l'espace
béarnais. Le pays (au sens de la loi de 1995), dans ce cadre,
"pourrait s'organiser sur la base d'un réseau de bassins de vie
".
Deux après, les initiateurs de Béarn XXI°
siècle se détournent du projet initial d'un "Pays
de Béarn" pour s'orienter plus vers un projet de "Cité
Béarn et Adour-Pyrénées", aux frontières
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
floues, à géométrie variable (les Pays de
l'Adour, par exemple), dont le but est de permettre de meilleures relations et
plus de contacts entre les acteurs locaux (idée de synergie). Ainsi, il
s'agit plus de favoriser l'organisation que la décision.
Cependant, cette idée nouvelle ne connait aucune existence
juridique et institutionnelle comme le pays. Son but est de permettre le
renforcement de la légitimité des acteurs locaux tels que les
maires, les conseillers généraux, les présidents de
syndicats intercommunaux..., plus que de renforcer celle des élus comme
François Bayrou ou André
Labarrère. La difficulté est de montrer que cette
idée de "cité Béarn et
Adour-Pyrénées" est tout aussi intéressante pour ces
deux derniers que le projet de "Pays de Béarn" qu'ils veulent
mettre en place. En fait, nous avons affaire ici à un problème de
communication et d'intérêts, François Bayrou
et André Labarrère désirant
surtout renforcer leur influence et leur pouvoir dans le cadre d'un projet qui
se développerait à l'intérieur de leurs espaces respectifs
de légitimité. C'est d'ailleurs pour cette raison que
François Bayrou déclare lors de la
conférence (en parlant du projet en question) : "Il faut un cadre
politique clair" (...) "pour savoir ce que l'on veut faire, il faut d'abord
savoir qui on est" (ce qui est incompatible avec un projet de "cité
Béarn et Adour-Pyrénées" aux frontières
floues, à géométrie variable !! !). Le projet en cours,
quant à lui, devrait se terminer d'ici fin 1998, mais compte-tenu du
retard accumulé, une prolongation est envisagée.
Si les deux exemples que nous venons de développer
constituent des espaces projet émanant d'en "haut", celui des Pays de
l'Adour procède de la logique inverse, à savoir qu'il tire
essentiellement son origine d'en "bas". De même, le niveau scalaire
retenu franchi ici un seuil par rapport à celui des pays, nous avons
ainsi affaire dans ce cadre à un méso-espace qui éprouve
de nombreuses difficultés à affirmer son existence, sa
légitimité et surtout sa reconnaissance. Peut-être est-ce
dû au simple fait que justement il émane d'en "bas" (?). Pour
autant, le "Pays de Béarn" et le réseau de villes
"Pau-Tarbes-Lourdes" sont aussi nés dans l'ambition d'animer
cette région des Pays de l'Adour...
|