Troisième Partie :
Les solutions à envisager : une réforme
française est-elle nécessaire ?
"Il faut clarifier à la fois les compétences,
les moyens financiers, les rôles de l'État, des régions,
des départements, des communes et des différentes formes
d'intercommunalité. Une tâche difficile quand de nombreux
élus ont plusieurs casquettes sur la tête du fait du cumul des
mandats. L'État doit assurer une répartition équitable des
charges et des moyens. Nous avons souhaité renforcer le rôle des
régions parce qu'elles se trouvent à l'interface entre le
processus ascendant, qui émane des mobilisations locales, et le
processus descendant, qui équilibre et intègre au nom de
l'intérêt général". (...) "Le débat porte
moins sur les principes et la place des différents niveaux que sur
l'articulation très concrète des compétences et des
financements des différentes instances. Un débat très
complexe et qui demeure non tranché à bien des
égards".
Cette citation de Dominique Voynet faite dans le
cadre de la présentation de son avant-projet de Loi d'Aménagement
(et de Développement) Durable du Territoire (L.A.D.T.
du 11 juin 1998), souligne la nécessité de procéder
à une réflexion profonde et à un
rééquilibrage (une meilleure répartition) des
différentes compétences dévolues aux principales mailles
politicoadministratives actuelles, ainsi que de mettre en place et de favoriser
les espaces projet que proposent les lois de 1990, 1992, 1995 (et de 1998).
Cette troisième partie constitue en quelque sorte la
synthèse des deux premières parties développées
dans ce mémoire. Elle va nous aider, dans le cadre de la théorie
dialectique, à dépasser les paradoxes apparents qu'offre le
développement d'espaces projet, des espaces de gestion et d'organisation
de l'espace pour l'avenir, en parallèle, et parfois sur, des mailles
politico-administratives anciennes, souvent inadaptées aux
réalités factuelles du terrain socio- économique. Il
s'agit donc pour nous de vérifier la deuxième hypothèse de
notre mémoire, celle de la nécessité de procéder en
France à une réforme du maillage politico-administratif.
Ce faisant, et en partant aussi des solutions proposées
dans le cadre du secteur d'étude qui nous intéresse, plutôt
que d'envisager une réforme globale du maillage politico-administratif
français, nous nous intéresserons à certaines mailles
précises (départementales, et régionales dans une moindre
mesure), en nous demandant aussi quel est l'avenir de ces espaces projet.
Sont-ils des solutions de transition, de vagues embryons sans avenir, ou alors
les prémices d'une réforme plus globale et plus
générale ?
Le problème est que la multiplication des niveaux
politico-administratifs augmente les coûts de fonctionnement et allonge
les délais de décision, ce qui n'est pas fait pour satisfaire le
"simple" citoyen qui est souvent perdu dans cet ensemble complexe. Comme le
disait Dominique Voynet dans sa citation, nous avons en
réalité affaire à un problème de décalage et
non pas de hiérarchie.
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
A) - Les espaces projet français de la L.O.A.D.T.
de 1995 : exemples d'application entre Pau et Tarbes.
La Loi d'Orientation pour l'Aménagement et le
Développement du Territoire (L.O.A.D.T. du 4
février 1995), définit (et renforce) deux instruments en vue de
la recomposition du territoire national dans l'optique de la France de 2015.
Ces deux instruments, ou espaces projet, s'inscrivent donc sur une
période de 20 ans : il s'agit d'abord des réseaux de villes, et
ensuite des "pays".
I - Les réseaux de villes : le réseau de
villes "Pau-Tarbes-Lourdes" ou "Pyrénées
Métropole".
Après avoir retracé la genèse et les
objectifs, les nouveaux rapports de l'élu local à l'espace, et
apporté quelques critiques et limites à la notion de
réseaux de villes, nous nous intéresserons à
"Pyrénées Métropole", le réseau de villes
qui associe Pau, Tarbes et Lourdes, en retraçant ainsi les objectifs
poursuivis et les résultats obtenus.
A) - Les réseaux de villes définis par le
C.I.A.T. et la L.O.A.D.T.
- Les objectifs des réseaux de villes :
possibilités et avantages.
Définis lors du Comité Interministériel
d'Aménagement du Territoire du 5 novembre 1990
(C.I.A.T.), renforcés et consacrés par la
L.O.A.D.T., les réseaux de villes font l'objet en
France d'une politique d'État menée par la
Délégation à l'Aménagement du Territoire et
à l'Action Régionale (D.A.T.A.R.) depuis la fin
des années 1980. "Le C.I.A.T. décide que seront
élaborés : des programmes de réseaux de villes
destinés à concrétiser le rapprochement des villes
décidées, pour valoriser leurs atouts européens, à
mettre en commun leurs complémentarités pour :
-> renforcer la compétitivité
économique des territoires qu'elles irriguent, -> favoriser
leur ouverture vers l'Europe".
Les réseaux de villes s'inscrivent donc fondamentalement
dans une logique réticulaire d'organisation de l'espace, où sont
favorisées les relations et les inter-relations entre les points et les
lieux constituant cet espace. Les distances séparant les villes
constitutives des réseaux en question sont généralement
proportionnelles aux poids démographiques de ces mêmes villes, ce
qui explique que des villes parfois distantes de plusieurs dizaines de
kilomètres s'intègrent pourtant dans un tel projet.
Ce faisant, les réseaux de villes s'inscrivent aussi dans
la discontinuité géographique : "un réseau de villes
(...) peut être défini comme une alliance, sur des projets de
développement, entre des maires urbains dans une discontinuité
géographique". Le mot-clef ici est donc la
complémentarité, complémentarité qui doit permettre
aux villes "moyennes" (dans une perspective démographique,
c'est-à-dire dont la population est comprise entre 20.000 et 200.000
habitants), "intermédiaires" (par rapport aux échelons de la
hiérarchie urbaine européenne), et situées en
périphérie des grands pôles ou axes de
développement, de franchir un seuil de lisibilité, de monter dans
la hiérarchie urbaine française, et de mettre en place une
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
forme de "gouvernance locale". Les réseaux de
villes constituent ainsi une solution pour les espaces intermédiaires
qui veulent contrebalancer les poids de leurs métropoles
régionales respectives ; ils sont ainsi des leviers qui poussent
à l'alliance.
- Les nouveaux rapports de l'élu local à
l'espace.
Lors de la mise en place des réseaux de villes, le rapport
de l'élu local à l'espace (d'action et de
légitimité) s'en retrouve modifié :
Frédéric Tesson, dans sa thèse sur
"les réseaux de villes en France : recherche sur les
rapports de l'élu local à l'espace"pose comme
postulat de départ que "le rapport de l'élu local à
l'espace est un rapport lié au territoire, dans sa dimension
institutionnelle (politique, administrative, juridique et
électorale)". Son hypothèse (ou plus exactement sa
thèse) consiste à démontrer que ce rapport est en train
d'évoluer, compte-tenu notamment de la mondialisation des
échanges, des entreprises qui développent leurs stratégies
d'implantation et de développement en dehors des cadres
politicoadministratifs existants, et aussi pour les autres raisons que nous
avons développées dans les deux premières parties de ce
mémoire. Enfin, son hypothèse de terrain suppose que les
réseaux de villes peuvent nous montrer que ces relations
évoluent. Son travail lui a ainsi permis d'aboutir à plusieurs
conclusions, dont celle, primordiale, que les réseaux de villes bougent
beaucoup plus dans le discours que dans la pratique.
En effet, le discours constitue un rapport à l'espace pour
l'élu qui doit rapporter des voix en vue des futures
échéances électorales, le mode de fonctionnement de
l'élu étant conditionné par son espace de
légitimité, et non pas par l'espace d'action sur lequel repose un
réseau de villes, a fortiori quand il se développe
à cheval sur plusieurs départements ou régions (ce qui
d'ailleurs est souvent le cas). De même, le problème de
l'information (des citoyens et des habitants des villes concernées) et
la difficulté à rassembler en un lieu commun et à une date
commune des élus et des responsables dont les emplois du temps ne
coïncident pas toujours, constituent une conclusion supplémentaire
à laquelle aboutit l'auteur. Cette dernière permet d'expliquer en
partie l'échec des réseaux de villes en France, huit ans
après leur mise en place par le C.I.A.T. Car sur les 63
villes qui s'étaient associées en 19 réseaux de villes
différents (certaines appartenant même à deux
réseaux de villes contigus et/ou connexes), seule une petite
moitié fonctionne encore actuellement.
Néanmoins, "ce dernier (en parlant de
l'élu local) semble prendre conscience que l'avenir de sa commune
et, plus largement de l'agglomération que celle-ci dynamise, se joue
dans un territoire plus vaste et en tout cas non directement superposable aux
limites du territoire politico-administratif dans lequel elle s'insère.
Cette attitude le pousse à reconsidérer sa vision du territoire
pour se diriger vers une définition plus fonctionnelle, plus proche des
réalités de développement".
- Inconvénients et limites des réseaux de
villes.
Si le réseau de villes constitue un instrument, a
priori, efficace d'aménagement du territoire, il n'en pose pas
moins certains problèmes, surtout quand il se développe à
cheval sur plusieurs départements et/ou régions. Le premier
problème est directement lié à la conception même du
réseau de villes qui associe uniquement des lieux entre eux (des villes,
des agglomérations,...) : qu'en est-il alors des espaces interstitiels,
qui eux, au contraire, supposent une organisation aréolaire de l'espace.
Il ne faut pas oublier qu'en dehors des réseaux de villes, ces
dernières
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
polarisent et animent normalement une région (un espace
géographique périphérique) composée de petites
villes, de bourgs plus ou moins ruraux, d'espaces marginalisés,...
Comment concilier alors ces deux problématiques, a priori
contradictoires ?
Ensuite, il ne faut pas négliger non plus les
problèmes d'interférences avec les compétences des
départements et des régions. Un maire faisant partie d'un
réseau de villes interdépartemental ou inter-régional doit
faire face à de nouvelles compétences : "Ainsi, lorsque les
maires en réseau évoquent des dossiers tels que le tourisme ou
l'action économique, ils franchissent le cadre de leurs
compétences légales pour se positionner sur des sujets
dévolus à d'autres niveaux de la "hiérarchie territoriale
tacite" (département, région). De même, le fait de se
positionner clairement dans une problématique d'aménagement du
territoire, en s'adressant directement à l'État et à la
D.A. T.A.R., pose la question du rôle de la région,
court-circuitée ici, dans une de ses compétences
majeures".
Enfin, et cela constitue notre dernière limite, les
réseaux de villes en France n'intéressent (ou n'ont
intéressé) au maximum qu'une soixantaine de maires. Faible
proportion rapportée aux 36551 communes présentent sur l'ensemble
du territoire. Ces réseaux de villes ne sont-ils alors que le "jouet" de
quelques privilégiés, ou alors les prémices d'un futur
instrument plus large et plus global d'aménagement du territoire ?
En fait, si de nombreux maires se sont engagés il y a
quelques années dans une démarche de réseau de villes,
c'est beaucoup plus pour les apports financiers non négligeables
(émanant de la D.A.T.A.R., et utilisés par la suite à des
fins totalement étrangères au supposé réseau de
villes pour lesquels ils étaient normalement consacrés), que par
un véritable désir de s'associer à une structure dont les
objectifs (et les résultats) n'étaient alors qu'incertitudes et
suppositions. "Pyrénées Métropole" ou le
réseau de villes "Pau-Tarbes-Lourdes" constitue à nos yeux
un exemple qui confirme cet état de fait.
B) - "Pyrénées Métropole" ou
le réseau de villes "Pau-Tarbes-Lourdes".
Se développant à cheval sur la région
Aquitaine et Midi-Pyrénées, le réseau de villes
PauTarbes-Lourdes (ou Pyrénées Métropole) est né en
1991. Son objectif est le suivant : "Intensifier les échanges entre
les trois villes pour l'intégration progressive des bassins d'emplois
dans la perspective de l'émergence d'une métropole des
pyrénées au sein des Pays de l'Adour". Deux ans plus tard
(en juin 1993), une étude de faisabilité montre qu'il peut
s'appuyer sur des réseaux sociaux et économiques
préexistants, et met en évidence une
complémentarité possible entre ces trois villes.
Le niveau scalaire retenu et la position géographique des
trois villes à l'échelle du Sud-Ouest Français, justifient
d'autant les rapprochements et la mise en place de ce réseau de villes.
En effet, "à près de 200 kilomètres de leurs
métropoles régionales respectives, ces trois villes jouent
clairement la coopération dans une perspective aménagiste",
ce que l'on conçoit clairement au regard des densités de
relations qui s'établissent entre les trois villes. La limite des aires
d'influences de Bordeaux et de Toulouse étant prégnante, la
logique de la constitution du réseau de villes est relativement simple :
combler le vide dans l'armature urbaine de la France entre les deux
métropoles, en partant du principe que l'union, mais aussi la
complémentarité, fait la force.
"Pour une remise en cause du maillage
politico-administratif français ? - Exemple de la
limite départementale et régionale entre Pau et Tarbes."-
Lionel Dupuy, Mémoire de DEA, 1998.
L'idée d'un réseau de villes Pau-Tarbes-Lourdes est
une idée endogène au secteur d'étude
considéré, à l'inverse de nombreux autres réseaux
de villes dont la paternité et la genèse reviennent à la
D.A.T.A.R. Cette volonté d'aménagement du territoire est
sous-tendue par l'ambition d'animer une région, celle des Pays de
l'Adour. Cependant, le réseau de villes s'excentre largement vers le
sud-est dans le cadre géographique ainsi défini, ce qui pose des
problèmes, outre ceux de sa pérennité et de sa survie. Car
aujourd'hui, ce réseau de villes ne fonctionne plus.
André Labarrère (député-maire de
Pau) déclarait il y a peu de temps : "le réseau de villes
Pau-Tarbes-Lourdes est un échec". Les mêmes propos nous ont
été tenus récemment par Xavier Piolle,
bien qu'il y ait actuellement un essai de relance...
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